VIDEO – The Beast de Lee Jeong-ho

Posté le 20 juillet 2024 par

Gaumont Vidéo ajoute un inédit de la production sud-coréenne récente à son catalogue avec The Beast, réalisé par Lee Jeong-ho. Sorti en 2019, le film est une relecture de 36 Quai des Orfèvres d’Olivier Marchal qui intrigue sans totalement tenir la distance.

Après la découverte du corps violemment mutilé d’une jeune fille, deux détectives en conflit sont obligés de faire équipe pour élucider ce crime odieux.

Il y a toujours une certaine curiosité à voir la manière dont les spécificités de genres et de thèmes sont adaptés d’un pays à l’autre. Sur cet aspect, The Beast s’avère très inspiré. Le long-métrage s’approprie le matériau d’origine en y appliquant aisément l’obsession de l’élévation sociale dans la société coréenne, comme les problèmes de corruption qui sous-tendent bon nombre des productions du genre. Lee Jeong-ho ne recherche pas la copie mais plutôt la variation, une proposition reprenant un certain nombre d’éléments-clés tout en imposant une patte profondément coréenne dans son style et sa narration. Le film nous entraîne sur un terrain prometteur avant de décevoir, à force de trop vouloir en mettre et en montrer.

The Beast renvoie dos à dos deux capitaines de police (interprétés par les toujours excellent Lee Sung-min et Yoo Jae-myung), personnages certes archétypaux mais chacun comportant assez d’ambivalence pour rendre leurs évolutions respectives crédibles. Cette rivalité, dont on ne saura pas grand chose hormis qu’elle est encouragée par leurs supérieurs, est le point de tension et le cœur du conflit moral dont résultent les meilleures scènes du film. The Beast aurait largement tenu sur ce seul fil dramatique qui devient, hélas, bien filandreux au cours des 2h06 que dure le film. En effet, le long-métrage de Lee Jeong-ho ne cesse de faire des allers-retours entre une enquête policière brumeuse visant à retrouver un serial killer découpeur d’adolescentes, et le meurtre d’un dealer dans lequel le personnage principal est impliqué. Tout ceci saupoudré de moult trahisons d’indics, bavures policières et corruption à tous les étages. Il pourrait résulter de ce mélange, une certaine jubilation mais le film produit souvent l’effet inverse, comme s’il ne cessait de créer des entraves à son potentiel. The Beast ne parvient ainsi jamais vraiment à compenser son désordre narratif, par un sens du ludique ou une hauteur de propos. Au contraire, il s’enfonce dans l’opacité et se noie dans une noirceur sur-signifiée par une surenchère de violence et de glauque.

La déception est d’autant plus forte que la réalisation est très loin de manquer de savoir-faire et d’intérêt, ménageant une atmosphère de thriller cracra plutôt convaincante et parvenant à créer quelques sueurs froides grâce à son découpage soigné, des jeux sur le son assez malins et un sens de la tension maîtrisé. The Beast croule cependant sous les citations (à son crédit, totalement évidentes et assumées) des films bien supérieurs qu’il ne cesse d’invoquer, en vrac The Chaser, Memories of Murder ou encore Sans pitié

Reste tout de même une ou deux belles trouvailles, qu’on aurait aimé voir davantage exploitées : tout d’abord, le choix de placer l’action dans la ville d’Incheon, sorte de hub impersonnel dont The Beast tire formidablement parti avec ses labyrinthes de routes et de quartiers en déréliction. Ensuite, la dernière scène, tout en sobriété et bien plus parlante que les deux précédentes heures de fureur et de sang.  Si seulement les meilleures idées du film avaient pu prendre l’avantage sur ses pires instincts, on aurait tenu là une œuvre sacrément mémorable.

BONUS

Peu de suppléments mais des suppléments de qualité. Dans un entretien de plus de 45 minutes, Bastian Meiresonne, spécialiste du cinéma coréen et auteur d’Hallyuwood, nous offre un éclairage passionnant sur le genre du polar noir coréen avant de parler davantage du film et de son travail d’adaptation (ou relecture, terme qu’il préfère favoriser dans le cas de The Beast). Informant à la fois sur le film et son réalisateur, cette présentation à la fois instructive et personnelle est la très bonne idée de cette édition, emmenée par Meiresonne dont l’enthousiasme nous ferait presque changer d’avis sur le film.

Une courte pastille fait office d’introduction à l’entretien et glisse l’annonce d’un prochain ajout coréen au catalogue, The Target. À guetter donc.

Claire Lalaut.

The Beast de Lee Jeong-ho. Corée du Sud. 2019. Disponible en Blu-ray et DVD chez Gaumont Vidéo le 19/06/2024.