VIDEO – Bonus du coffret Ozu Yasujiro

Posté le 24 mai 2024 par

Pour célébrer comme il se doit les 120 ans de la naissance d’Ozu Yasujiro, l’éditeur Carlotta Films propose un coffret regroupant des films rares et inédits du maître japonais. Une collection de films qui vient compléter celui sorti il y a deux ans qui rassemblait ses long-métrages les plus connus. Et comme pour ce dernier, si les films sont toujours passionnants à revoir ou découvrir, les bonus qui les accompagnent le sont tout autant.

Carlotta Films a organisé son coffret de manière à regrouper de façon claire et pertinente les films avec les documentaires qui leur sont rattachés. Pour Femmes et voyous, c’est Pascal-Alex Vincent qui prend la parole pour présenter le film de gangster muet du réalisateur ; pour Il était un père ainsi que Les Sœurs Munakata, c’est Jean-michel Frodon qui vient apporter son point de vue sur ces deux œuvres. Sans oublier Jean Douchet sur Il était un père. On trouve également une vidéo mettant en avant la passion du réalisateur pour les plans de paysages de campagne ou de ville en construction, indissociables de son cinéma.

Au détour de ces passionnants entretiens, on apprend qu’Ozu n’a pas été seulement réalisateur, mais aussi scénariste, et ce pour d’autres metteurs en scène, comme Tanaka Kinuyo. Une immense comédienne qu’Ozu a dirigé à de nombreuses reprises et avec qui il a noué une relation aussi amicale que bienveillante et supportrice, d’un point de vue professionnel. Lorsque la comédienne décide de passer derrière la caméra, si certains réalisateurs comme Mizoguchi ne se sont pas cachés pour manifester leur scepticisme, Ozu Yasujiro a immédiatement pris le parti de Tanaka Kinuyo et l’a accompagnée dans son nouveau parcours de réalisatrice. Mieux encore, il lui a écrit un scénario qui deviendra le film La Lune s’est levée. Mais Ozu n’a pas écrit que pour le grand écran et en 1963, il co-écrit le scénario de La Cloche de la jeunesse a sonné pour la télévision. Et grâce à Carlotta Films, il est possible de découvrir ce film, présenté au passage par Pascal-Alex Vincent.

De ses débuts jusqu’à la fin de sa carrière, Ozu Yasujiro n’aura tourné qu’avec le grand studio de la Shochiku, sauf à de rares exception comme la Shintoho pour lequel il tournera Les Sœurs Munakata. Une carrière exclusivement tournée vers le grand écran. Mais dans les années 60, l’explosion de la télévision dans les foyers japonais amène les grandes sociétés de production japonaises à multiplier les œuvres pour le petit écran. Un médium que Ozu regarde de loin, lui6même n’ayant pas de télévision chez lui. Cependant, en 1963, la mythique NHK lui propose de co6scénariser avec Satomi Ton le film de Hatanaka Tsuneo, La cloche de la jeunesse a sonné. Une comédie douce-amère qui porte la marque du maître.

A Kyoto, Yamaguchi et Ogawa sont deux vieux messieurs qui voient grandir et s’émanciper Chizuru, la fille d’un de leur amour d’antan. Libre et encore jeune, la demoiselle n’envisage pas de se marier. Pour se changer les idées, elle part pour Tokyo, accompagnée des deux hommes. 

Tout le cinéma et les thèmes chers au cinéaste sont de toute évidence présents dans ce film. Les premières générations qui voient leurs successeurs s’émanciper des coutumes et traditions devenues presque désuètes dès la fin de la guerre, les conflits entre ces générations également, mais surtout, et c’est un sujet que finalement Ozu n’aura pas tant abordé que cela, les désillusions de la jeunesse et l’éclatement de certains de leurs rêves. Chizuru rêve de Tokyo, symbole de réussite et d’épanouissement social et culturel, mais se heurte à une réalité on ne peut plus déceptive. Elle rêve des néons et du tourbillon de fête du quartier de Roppongi, mais une fois arrivée sur place, sa soirée commence dans un petit restaurant de ramen et termine en beuverie dans un bar en compagnie du chauffeur de Yamaguchi. Son idéal de vie vole définitivement en éclat lorsqu’elle retrouve son amie, mariée à un homme qui ne la respecte pas, la décourageant de facto à se trouver un mari et fonder un foyer. Le constat pour Chizuru est sans appel, aucun mode de vie ne semble lui convenir, et ce n’est pas l’amour à sens unique qu’elle semble éprouver pour le chauffeur de son ami qui va la réconforter. A travers le personnage de Chizuru, Ozu Yasujiro dessine le portrait d’une génération qui certes a réussi à s’affranchir des vieilles coutumes et carcans sociaux traditionnels du Japon d’avant-guerre, mais qui fait preuve ici d’une naïveté ainsi que d’un manque d’assurance et de sérieux qui au final ne lui apporte que des déceptions. Une désillusion personnelle d’une part car Chizuru réalise rapidement que l’oisiveté et la douce inconscience de la jeunesse ne sont pas compatibles avec une vie sociale et professionnelle digne de ce nom, et également une déception de la part de ses aînés, consternés de la voir rentrer ivre à des heures indues. Mais il ne faut pas oublier que le scénario est écrit par Ozu, et comme à son habitude, le metteur en scène ne juge pas ses personnages et finit toujours par poser sur eux un regard à la fois tendre et bienveillant, avec ici un soupçon de marivaudage et de complicité dans le mensonge entre deux personnages qu’un quiproquo va rapprocher. Une séquence à ce sujet vient clôturer les mésaventures de Chizuru à Tokyo et permet à Ozu de clairement affirmer que l’ancienne génération, souvent si prompte à juger ses descendants et ses écarts de conduite, n’en est pas pour autant irréprochable. Les amoureux du cinéma d’Ozu passeront un très agréable moment devant ce téléfilm qui a cependant un défaut qu’on ne peut totalement mettre de côté : sa facture technique et sa mise en scène assez quelconques. Nous ne sommes clairement pas devant un film d’Ozu  avec ses célèbres cadrages au ras du tatami et ses incontournables plan des visages de ses comédiens, et l’aspect très ‘téléfilm NHK’ de l’ensemble peine souvent à magnifier le scénario du maître, avec une direction d’auteurs qui peine parfois à faire naître une émotion.

Enfin, en plus des six films, de leurs bonus respectifs et du téléfilm, le coffret propose également un livret de 80 pages écrit par Pascal-Alex Vincent qui revient sur la production de chacun des films proposés. Entre anecdotes et détails passionnants, Pascal-Alex Vincent remet chaque film dans son contexte historique et social ainsi que dans la carrière d’Ozu Yasujiro, sans oublier de parler de quelques-unes de ses collaborations avec ses comédiens et comédiennes comme Tanaka Kinuyo ou Iida Choko. 

En conclusion, le coffret proposé par Carlotta Films s’avère absolument indispensable, autant pour les amoureux d’Ozu Yasujiro qui pourront ici revoir ses films les plus rares dans une qualité irréprochable, que pour les plus curieux des cinéphiles qui aimeraient découvrir la filmographie du maître japonais.

Romain Leclercq.

Coffret « 6 films rares ou inédits » d’Ozu Yasujiro chez Carlotta Films le 19/03/2024.