VIDEO – The Bells of Death de Griffin Yueh Feng

Posté le 13 mai 2024 par

Les éditions Spectrum Films poursuivent leur exploration du gigantesque catalogue de la firme hongkongaise Shaw Brothers, en proposant un coffret de trois films éclectiques. Revenons dès à présent sur le film de sabre et de vengeance de The Bells of Death de Griffin Yueh Feng, l’un des réalisateurs les plus influents de la société de Run Run Shaw dans les années 1960.

Une famille est décimée par une bande de trois brigands. Le fils, absent au moment des faits, entreprend de se venger en apprenant les arts martiaux auprès d’un grand maître rencontré sur le chemin de l’errance. Affublé de la clochette qui appartenait à sa mère, ses tintements indiquent que son dessein est en marche et sonnent le glas pour les ignobles tueurs…

Connu dans le milieu du cinéma hongkongais pour ses opéras majestueux rivalisant avec ceux de Li Han-hsiang, Griffin Yueh Feng était un metteur en scène vétéran de la Shaw Brothers, dont les films disposent de grandes qualités techniques et artistiques, tant d’un point des prises de vues que de la direction artistique – pensons aux couleurs chatoyantes de The Lotus Lamp, de toute beauté. La fin des années 1960 marque l’avènement des films de héros martiaux vengeurs à la Shaw Brothers, depuis l’empreinte laissée par Chang Cheh en 1967 avec Un seul bras les tua tous, premier opus de la trilogie du Sabreur manchot. Yueh Feng passe donc aux films de wu xia et en 1968, et accouche du singulier The Bells of Death, qui témoigne de son savoir-faire de metteur en scène.

Loin des scènes de combats sur-cutées telles que le cinéma hongkongais s’en fera une spécialité bien plus tard, le cinéma d’arts martiaux des années 1960 n’atteint pas encore atteint sa pleine forme technique, qui ne viendra qu’au début des années 1970. Le captation des chorégraphies n’était pas toujours flamboyantes et demandait une réflexion plus large sur comment impulser de la tension dans un film d’action. Pourtant, Yueh Feng parvient dans The Bells of Death, avec ses propres méthodes, à insérer du rythme, à travers des cadrages savamment pensés et en caméra à l’épaule pour l’essentiel dans les scènes de combat. Technique pas complètement inédite par la suite – mais plus rare, la caméra à l’épaule sera plus utilisée pour de légers moments de tension dramatique en amont des vrais combats -, le réalisateur en exécute ici une utilisation qui lui est assez propre, souvent en décor extérieur par ailleurs, permettant au film de jouir, pour ces séquences d’action, d’une aire aux distances palpables entre les protagonistes. Les combats à mort du personnage principal face à ses ennemis jurés sont particulièrement prenants.

Là où à la Shaw, y compris dans des récits épiques et aux enjeux dramatiques, il demeure souvent une part de grotesque un tantinet comique – les rires sardoniques des vilains, les armes baroques avec des mécanismes cachés, etc. – ce Bells of Death s’en écarte au plus haut point et fait figure de film d’action Shaw Brothers parmi les plus élégants qui existent. Les héros arborent une figure grave tout le long du film, émanation aussi bien des souffrances qu’ils ont endurées que de leur détermination sans faille ; là où les adversaires font montre d’une certaine panique particulièrement convaincante quand leur trépas survient. Yueh Feng est le réalisateur de la Shaw qui s’éloigne le plus des gimmicks préconçus pour offrir des œuvres à la finesse de fabrication et à l’intensité dramatique maximale, du moins pour la partie film d’action, qui ne représente qu’une petite partie de sa carrière, la toute fin.

Yueh Feng est un cinéaste à redécouvrir et The Bells of Death est une excellente porte d’entrée à son cinéma. Wu xia intense aux héros charismatiques et aux adversaires aussi faillibles que dangereux, le film étonne par son style racé.

BONUS

Commentaire audio de James Mudge (1h24, durée du film). Le commentateur, critique chez Easternkick et producteur, dresse le portrait de tous les acteurs intervenant dans chaque scène avec le détail du nombre de films auxquels ils ont participé et quelle était leur aura au moment du film. Il valorise les scènes de combat, toutes différentes les unes des autres. Il explique la singularité du film vis-à-vis des autres productions de l’époque, de son métissage entre le western classique, le western italien, le chanbara et l’authentique wu xia, ainsi que son propos, une méditation sur la vengeance.

Présentation du film par Arnaud Lanuque (12 min). Notre commentateur habituel du cinéma hongkongais des éditions Spectrum Films réalise le portrait de Griffin Yueh Feng, de son travail de metteur en scène à Shanghai dans les années 30 jusqu’à son départ à Hong Kong à la fin des années 40, et son parcours à la Shaw Brothers dans les années 50 et 60. Il explique pourquoi, bien qu’il soit l’un des plus importants réalisateurs de cette époque, les cinéphiles occidentaux n’ont pas retenu son nom, en particulier à cause de sa carrière dans les opéras huangmei et la disparition de ses œuvres shanghaiennes. Arnaud Lanuque revient ensuite sur le film, en évoquant ses influences venant du chanbara japonais et du western italien, tout en mettant en exergue la spécificité du film : la caméra qui se jette au milieu des combats, bien éloignée du montage des scènes d’actions menées par les chorégraphes, technique de mise en scène qui faisait alors école dans les studios de Clear Water Bay.

Griffin Yueh Feng par Paul Fonoroff et Frédéric Ambroisine (17 min). Dans cet entretien de 2005 réalisé à Hong Kong, le spécialiste des cinémas hongkongais et chinois retrace la vie et la carrière de Griffin Yueh Feng, de l’origine de son pseudonyme à ses deux grands pans de carrière, à Shanghai et Hong Kong. Fonoroff se révèle extrêmement précis sur les détails (en allant par exemple jusqu’à citer 2 films que Yueh a tourné à Hong Kong pendant sa période shanghaienne). Dans les locaux du tournage de la vidéo, les dires de Fonoroff sont agrémentés d’images de sa collection personnelle, notamment de posters d’époque, toujours judicieusement insérés dans le déroulé par le montage fluide de Frédéric Ambroisine. Bourré d’éléments biographiques minutieux et d’analyse de l’œuvre de Yueh Feng (de ses sous-textes anti-japonais dans les années 30 à la part belle qu’il donne aux actrices dans les années 50), ce module se révèle extrêmement qualitatif, surtout en ouvrant une fenêtre sur les trop rarement analysés cinémas shanghaien et hongkongais précoces.

Maxime Bauer.

The Bells of Death de Griffin Yueh Feng. Hong Kong. 1968. Disponible dans le coffret Shaw Brothers The Bells of Death/Legend of the Fox/Portrait in Crystal paru chez Spectrum Films en mars 2024.

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