EN SALLES – Comme un lundi de Takebayashi Ryo

Posté le 8 mai 2024 par

Y a-t-il pire, dans la vie d’un salaryman japonais, que de voir une semaine de travail s’étirer jusqu’à en perdre toute énergie et joie de vivre ? A cette question, le réalisateur Takebayashi Ryo dans Comme un lundi, ose la pire des répliques : oui, il y a pire, et c’est revivre inlassablement la même semaine de galère encore et encore, sans aucune explication. Mais plutôt que d’en tirer un portrait amer et cruel de la vie du salarié moyen japonais, le metteur en scène opte pour la gaudriole et la farce la plus décomplexée possible. Après quelques passages en festivals, le film débarque dans nos salles grâce à Art House !

La boucle temporelle : un concept cinématographique archi rebattu, vu et revu dans tous les genres possibles et inimaginables. Que ce soit dans la comédie pure et dure avec le classique Jour sans fin, le thriller avec le Coréen A Day, ou même le slasher teinté d’humour noir Happy Birthdead et son héroïne condamnée à revire ad nauseam son meurtre. Autant dire que désormais, pour faire preuve d’originalité avec le concept du time loop, il faut se creuser la tête pour sortir du lot. A ce jeu, Takebayashi prend tout le monde de court et livre un film d’une simplicité et d’une énergie communicative. Ici, il ne sera pas question de meurtres ou autres, mais tout simplement d’une interminable semaine de travail qui se répète sans fin. Et quoi de mieux pour l’illustrer que de mettre en scène le prototype parfait de la victime du travail éreintant et tueur de vie sociale : le salaryman. On retrouve donc ici une bande de jeunes employés motivés mais globalement au bout du rouleau, luttant jusqu’à l’épuisement pour respecter les deadlines professionnelles pour un projet publicitaire aussi épuisant que fondamentalement crétin (une soupe miso en pastille à dissoudre). Parmi eux, Yoshikawa, une jeune femme rêvant de changer de poste, se fait un jour coincer par deux de ses collègues qui lui expliquent, de manière assez délirante, qu’ils sont coincés dans une boucle temporelle les condamnant à revivre cette semaine infernale. D’abord dubitative, elle va  vite se rendre compte qu’effectivement, quelque chose cloche et va tenter de mettre fin à cette malédiction. Et pour cela il va falloir convaincre tous ses collègues. Elle va vite se rendre compte que ce n’est pas gagné d’avance.

Le ton est donné, et le film ne va jamais se détacher de son objectif premier, plonger tête la première dans la comédie pure et se servir du time loop comme ressort comique sans fin de son script. Car bien entendu, les premiers « conscients de la boucle » vont user de stratagèmes assez rocambolesques pour convaincre leurs collègue et les persuader de les aider à briser le cycle infernal. La dynamique du film, dans sa première partie en tout cas, réside principalement dans ce comique de répétition à outrance, avec notre héroïne et ses acolytes qui essaient de rallier à leur cause les incrédules du bureau d’à côté, et souvent de manière assez peu subtile (le running-gag du pigeon éclaté à la vitre), ou ridiculement drôle (le timing comique parfait des séquences de coupure de courant).

Mais comme dans tout film time loop, il y a forcément une raison à ce dérèglement temporel, et le groupe va vite se rendre compte qu’un élément les empêche de progresser et d’avancer, en la personne de leur responsable. Si l’on se laissait aller à une sur interprétation de la chose, on pourrait y voir une critique de la mainmise et du joug qu’exerce le patron sur ses employés. Mais ici, si effectivement il est la clé de l’énigme, le sous-texte social incisif est définitivement mis de côté pour dans un premier temps rester dans la comédie la plus décomplexée avec le raisonnement le moins logique du monde de la part des employés pour expliquer l’origine de la boucle (une sombre histoire de bracelet, aussi stupide qu’hilarante). Quand arrive le plot twist explicatif, le film lève un peu le pied sur la rigolade pour dériver, avec juste ce qu’il faut de tendresse et de compassion, vers un thème plus sérieux et humain, à savoir la perte de l’envie et de la passion comme moteur de l’existence. Le salaryman concerné a eu un rêve, mais s’est heurté à un obstacle et l’a complètement enterré, et cette frustration a créé un trouble à grande échelle devenu prison, autant morale que physique. Le concept peut paraître un peu naïf et tiré par les cheveux, mais c’est amené avec justesse et sincérité et l’ensemble ne verse pas dans le mielleux. C’est à notre bande de bras cassés qu’il incombera de trouver comment sortir de cette interminable semaine. Mais si le film se montre plutôt touchant et émouvant dans son dernier tiers, il n’en n’oublie pas pour autant de dégainer quelques une des ses meilleures cartouches de comédie, toutes plus absurdes les une que les autres. On pensera ici à un personnage que l’on avait complètement oublié depuis le début du film et qui débarque de nulle part, fatigué de devoir subir pour la 80e fois une boucle temporelle plus avancée dans le temps que les autres.

Si sur le fond, Comme un lundi assure le spectacle en matière de comédie fantastique, sur la forme, la mise en scène n’est pas vraiment exceptionnelle mais Takebayashi Ryo possède un réel talent pour le tempo comique, capable de saisir un regard gêné comme personne, ou un pur moment de solitude désemparé après une 30e tentative de persuasion de collègue peu réceptif au concept de time loop.

Au final, Comme un lundi est un excellent divertissement, exploitant de manière ludique et inventive le concept de boucle temporelle. Après Ne coupez pas ! ou bien encore Beyond the Infinite Two Minutes, le film de Takebayashi Ryo vient nous rappeler que du côté de l’archipel nippon, on assiste à une réelle émergence de nouveaux talents capables de mettre en scène de vrais films de divertissement généreux, aux budgets minimes mais débordant d’idées et d’envies originales.

Romain Leclercq.

Comme un lundi de Takebayashi Ryo. Japon. 2023. En salles le 01/05/2024.