VIDEO – God of Gamblers’ Return de Wong Jing

Posté le 2 février 2024 par

Au début des années 1990, Wong Jing n’en finit plus de récolter le succès au box-office hongkongais avec sa saga God of Gamblers, tournant autour de l’univers du jeu. Après deux opus menés par un Stephen Chow en forme, le quatrième épisode de la franchise voit le retour du véritable Dieu du jeu du début de l’histoire, Chow Yun-fat. Le film est disponible dans le coffret de la série de films paru chez Spectrum Films, dans une version flambant-neuve restaurée par Lumiris expressément pour l’édition vidéo française.

Le Dieu du jeu a pris sa retraite. Après avoir perdu sa précédente compagne dans des affaires contre la mafia, il coule des jours heureux en France avec sa nouvelle dulcinée qui attend un enfant. Mais les affaires ne vont pas tarder à reprendre… Un parieur malveillant vient ruiner sa nouvelle vie, en tuant sa femme et en le dépouillant de 18 millions de dollars. Conformément aux dernières volonté de sa tendre, il ne reprend pas le jeu avant une année. Durant cette césure, il voyage, notamment en Chine, où il rencontre un riche taïwanais et son jeune fils brillant qui attisent les convoitises…

God of Gamblers’ Return détonne vis-à-vis des opus précédents. Sa scène d’introduction est remarquable pour son étrangeté. On serait tenté d’y voir une scène typique du second âge d’or du cinéma hongkongais (années 1980-1990), à la façon The Killer, un prologue situé dans une localité luxueuse où une catastrophe se déroule et qui permet de lancer l’intrigue. Beaucoup de films des grands réalisateurs de cette époque, Wong Jing bien sûr, mais aussi John Woo ou tous les autres artisans du cinéma d’action, se plaisaient à montrer des personnages dans l’apparat, ce qui est fort à propos dans l’univers des triades et des activités illicites de la fin du siècle dernier, où se mêlent sentiments de nouveaux riches, confort matériel et fétichisation des technologies nouvelles. En regardant de plus près, la scène d’introduction de ce GOG a quelque chose de cauchemardesque, et d’autant plus perturbant que cela semble involontaire. Le rythme rapide du montage et les angles de caméra, proches des acteurs et en plans débullés, distillent immédiatement l’idée que quelque chose de terrible va se passer. On saisit l’aspect factice de ce bonheur, à la manière de Douglas Sirk qui dit composer ses décors de pavillons américains en plein boom économique comme des mausolées, avec toutes ces décorations artificielles et ces plantes telles des couronnes mortuaires. La bizarrerie s’accentue avec les acteurs français, les domestiques de Chow Yun-fat, dont la postsynchronisation détachée a quelque chose d’inédit et de dérangeant pour les spectateurs francophones que nous sommes. S’en suit, dans le dénouement de cette scène, une imagerie inspirée de la Catégorie III dont Wong Jing était un producteur actif à cette époque, et qui achève de confiner une note dissonante à cette introduction dans ce cinéma jusque-là tantôt mélodramatique tantôt humoristique.

Une fois l’intrigue lancée, Wong Jing retombe à peu près sur ses pieds. Il ne nous épargne pas  son style digressif, puisque que le scénario fait des allées et venues en Chine continentale, à Taïwan, dans des commissariats, des salles de jeu clandestines ou fastueuses, en faisant faire des rencontres improbables à Chow Yun-fat avec les personnages de Wu Chien-lien, Elvis Tsui et Tony Leung Ka-fai. Mais contrairement aux précédents opus, le rythme ne retombe jamais, que cela soit dans la comédie qu’apportent les second rôles, ou tout simplement la dynamique de l’intrigue, qui aboutit à une séquence de jeu finale pleine d’enjeux et de tension. Chow Yun-fat cabotine finalement peu, pour le meilleur, et compose un Dieu du jeu fébrile mais toujours charismatique face à son adversaire, campé par l’acteur taïwanais Wu Hsing-kuo, jouant son rôle marqué par une expression dure qui le rend menaçant.

Si God of Gamblers’ Return comporte encore quelques trous de cohérence çà et là et fait preuve d’hyperactivité, il demeure l’épisode de la saga le plus généreux et le mieux maîtrisé.

BONUS

Présentation d’Arnaud Lanuque (10 min). Arnaud Lanuque développe les spécificités du film, à commencer par l’explication de l’absence de Stephen Chow qui avait contribué à pérenniser la franchise mais dont la carrière devenait stratosphérique. Il évoque les divers éléments de Catégorie III qui parsèment la scène d’introduction, ainsi que l’incroyable talent en arts martiaux du jeune acteur Tse Miu et sur quels terrains cinématographiques il opère actuellement.

Le monde du jeu, essai vidéo par Dylan Cheung (22 min). Spécialiste du cinéma hongkongais dans le monde anglo-saxon, Dylan Cheung offre dans ce module une analyse très qualitative de la saga God of Gamblers, en la mettant en parallèle à l’histoire de Hong Kong et de son cinéma. La distinction des films en cantonais et en mandarin, le déplacement des artistes de Shanghai vers Hong Kong une fois le Parti Communiste Chinois arrivé au pouvoir, et ce qu’a apporté la télévision des années 70 au cinéma cantonais, sont autant de points abordés extrêmement instructifs.

Module de restauration (3 min). Le travail de Lumiris sur le master du film est admirable, les couleurs sont chaudes et les contrastes nets, aussi était-il normal de présenter un avant/après en comparant avec le scan du négatif original.

Maxime Bauer.

God of Gamblers’ Return de Wong Jing. Hong Kong. 1994. Disponible dans le coffret God of Gamblers paru chez Spectrum Films en septembre 2023.

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