VIDEO – Shaolin Prince de Tang Chia

Posté le 18 décembre 2023 par

Tang Chia est un nom méconnu en dehors de la sphère des amateurs extrêmes du cinéma hongkongais de l’âge d’or. Il s’agit d’un artisan important de la Shaw Brothers, collaborateur de Liu Chia-liang et Chu Yuan, principalement en matière de chorégraphie des combats. Il a également réalisé trois films d’arts martiaux pour la firme des frères Shaw, qui sont ses trois seules réalisations. Spectrum Films en édite un coffret 3 films ; revenons dès à présent sur le premier d’entre eux : Shaolin Prince, sorti en 1983.

Un seigneur félon, qui a des vues sur le trône, assassine l’Empereur lors d’un attentat. Ses deux jeunes enfants sont emmenés par des guerriers dévoués afin de leur éviter la mise à mort. Alors que l’un, élevé dans une riche demeure, deviendra une fine lame, l’autre est recueilli par trois moines déjantés du Temple Shaolin.

Clairement, Tang Chia ne révolutionne ni le le kung fu pian, le cinéma d’arts martiaux, ni les élans créatifs de la marque Shaw Brothers, – par ailleurs en déclin extrême en ce début des années 1980. Il profite, comme les réalisateurs de toutes les productions avant la sienne, des décors somptueux de la maison de production à Clear Water Bay, qui ne lassent pas vraiment ceux qui les connaissent pourtant bien à force de visionnages des productions Shaw, tant leur identité est forte et relève du gimmick de film de genre dans sa facette la plus agréable. Le Temple Shaolin n’en est guère non plus à sa première incursion dans les scénarios du cinéma hongkongais grand public, c’est un euphémisme. Il n’est en revanche qu’un élément de toile de fond pour justifier l’apprentissage des arts martiaux, toutes les thématiques politiques lui étant liées se révélant absentes. Il n’en reste que la présence d’un faux-sage, un faux-maître qui trahit l’idée d’une philosophie vertueuse d’ordinaire dévolue aux temples bouddhistes, une piste scénaristique qu’a déjà exploité Liu Chia-liang. En revanche, l’apport intéressant de Tang Chia réside dans ces trois moines originaux qui élèvent le prince, aux figures extrêmement comiques, dont les grimaces semblent comme un point médian entre les pitreries de Dean Shek dans les années 1970 et le mo lei tau, l’humour cantonais non-sensique, de Stephen Chow dans les années 1990.

Shaolin Prince reprend quelques ingrédients de recettes qui fonctionnent çà et là, et c’est d’autant plus évident lorsque l’on remarque que le scénariste du film se révèle être Wong Jing, ce procédé d’écriture « aspirateur à références » étant sa marque de fabrique. En plus de la dimension shaolinesque, de l’apprentissage des arts martiaux, de la vengeance vis-à-vis d’un seigneur malveillant, le film comporte une séquence cartoonesque avec des armes fantaisistes et des rayons, comme la Shaw s’y était adonné avec plaisir déjà dans Buddha’s Palm et Demon of the Lute. Tang Chia s’autorise une rare originalité avec l’apparition d’une servante possédée par un fantôme, mise en scène qui, pour ce faire, pioche allégrement dans l’imagerie du film soviétique Vij ou le Diable, intégrant presque point par point la longue séquence finale de l’exorcisme. De toutes ces influences et emprunts, Tang Chia accouche d’un film typique de la Shaw Brothers, où l’intrigue qui fonctionne par collage de différents blocs scénaristiques peu homogènes, sert avant tout un divertissement honnête et joyeux, où l’on se plaît à suivre des combats spectaculaires, des trucages et effets spéciaux typiques de ces films d’action hongkongais. Sa capacité à faire appel à des éléments surnaturels tels que des fantômes et des armes magiques font rentrer le film dans la catégorie de l’heroic fantasy chinoise, un genre pas tout à fait dans le wu xia pian, le film de chevaliers errants, selon ses termes stricts, et qui demeure mésestimé, souvent peu cité aux côtés des grands noms du wu xia, et qui existe pourtant depuis le cinéma shanghaïen des années 1920. Pour cette raison d’esthétique fantastique dans le jiang hu, Shaolin Prince est une proposition a minima intéressante, à défaut d’offrir un scénario d’envergure qui le démarquerait du tout-venant de cette époque.

Bonus

Présentation d’Arnaud Lanuque (12 min). Le spécialiste du cinéma hongkongais fait le point sur le profil du réalisateur, et détaille sa vie, de sa jeunesse méconnue à son intégration dans une troupe de l’Opéra de Pékin, puis sa rencontre décisive avec Liu Chia-liang avec qui il va cosigner les chorégraphies des meilleurs films de Chang Cheh dans les années 60 et 70. Une fois Chang Cheh et Liu Chia-liang brouillés, Arnaud Lanuque explique que Tang Chia a dû rebondir, notamment en réalisant les chorégraphies des films phares de Chu Yuan, et a pu bénéficier du projet de la productrice Mona Fong de renouveler la garde de réalisateurs de la Shaw Brothers au début des années 80. Avec Shaolin Prince, il met en scène son premier film, d’après un scénario de Wong Jing qui déjà écrivait des intrigues à base d’inspirations diverses.

Interview de Jacky Yeung (14 min). Cascadeur sur Shaolin Prince, Jacky Yeung témoigne de la bonté de Tang Chia et de comment il a été recruté à la Shaw Brothers. Ses quelques anecdotes à propos du tournage et des autres films de Tang Chia sont à ranger dans les témoignages paraissant anodins mais qui aident à capter l’atmosphère du cinéma de l’époque.

Interview de Jason Pai Piao (13 min). Remontage d’un précédent bonus de l’éditeur, l’accent est cette fois-ci placé sur les dires de Jason Pai Piao à propos de Tang Chia avec qui il a a collaboré. Il affirme que Tang Chia était appelé pour chorégraphier les scènes comportant des armes, alors que son binôme Liu Chia-liang est plutôt mobilisé pour les scènes mettent en avant les combats au corps-à-corps physiques. Ce dire, partagé par l’ensemble de la profession, sera démenti par Tang Chia lui-même dans le bonus suivant.

Interview de Tang Chia – 1ère partie (archive de Frédéric Ambroisine, 2010, 18 min). Tang Chia se révèle bougon et peu loquace, comme animé par un esprit de contradiction avec son interviewer (ce qui explique peut-être l’incohérence avec l’affirmation de Jason Pai Piao). Quelques anecdotes historiques sur ses débuts dans les films en cantonais se révèlent toutefois très intéressantes par leur rareté. Mais surtout, la fermeture de Tang Chia est compensée par le montage de ce module, extrêmement dynamique, faisant intervenir affiches et photos d’époques pour illustrer les films et les personnes cités, et au rythme plaisant grâce à l’insertion de bandes-annonces d’époque. On ressort un peu frustré de devoir trouver le reste de l’entretien dans une prochaine édition (en l’occurrence, le coffret Chu Yuan annoncé pour 2024).

Maxime Bauer.

Shaolin Prince de Tang Chia. Hong Kong. 1983. Disponible dans le coffret Blu-ray Tang Chia paru chez Spectrum Films en novembre 2023.

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