VIDEO – Initial D d’Andrew Lau et Alan Mak

Posté le 14 décembre 2023 par

Adaptation d’un manga japonais par une équipe issue du cinéma chinois, Initial D a les honneurs d’une édition Blu-Ray digne de ce nom grâce à Carlotta Films. Un pur exemple de ce que le cinéma asiatique a pu offrir en matière de divertissement au début des années 2000, dans toute sa splendeur mais aussi ses excès.

A l’origine, Initial D est un manga japonais, une œuvre dont la parution s’est étalée de 1995 à 2013, répartie sur 48 volumes. Dans ce récit imaginé par Shigeno Shuichi, le lecteur suit les aventure de fous du volant se livrant à des courses de vitesse en dévalant les routes mortelles du mont Akina au Japon. Parmi eux, un jeune homme va se démarquer par son talent et sa maîtrise parfaite de la conduite, Fujiwara Takumi, dont la connaissance parfaite des routes, due à son travail de livreur de tofu, lui confère un avantage certain, doublé d’une passion pour la conduite automobile. Une ambiance seinen pure et dure donc, des amitiés viriles et des affrontements violents (mais pas trop non plus) sur fond de courses de voitures customisées, rien ne manque à l’appel. Le succès du manga est assez conséquent, imposant Initial D comme un classique du manga contemporain et une quasi institution nippone (on parle de près de 50 millions d’exemplaires vendus). Ce n’était donc qu’une question de temps avant que le cinéma ou la télévision ne se décide à adapter l’univers en live action. Et si des OAV ont vu le jour au Japon, c’est du côté chinois que le projet Initial D live movie va émerger. Derrière la caméra, on retrouve Andrew Lau et son comparse Alan Mak, tous deux co-réalisateurs de la trilogie Infernal Affairs en 2002 et 2003, pour mettre en scène un scénario de Felix Chong. Mais le défi est de taille, puisqu’il va s’agir d’adapter un univers entier bâti sur 18 années, remplis de personnages, en moins de 2 heures. Un défi relevé avec honneur par l’ensemble des participants, mais loin d’être exempt de défauts, davantage sur la forme que sur le fond, d’ailleurs.

Pour adapter Initial D de la manière la plus fidèle possible, le script dégraisse au maximum les enjeux et arcs narratifs du manga pour se concentrer sur un seul et unique personnage, Takumi, livreur de tofu. Jeune homme taciturne et battu par son père, employé dans une station service avec son meilleur ami, fils du gérant et comme lui passionné de vitesse et de voiture. Toutes les nuits, Takumi fuit sa vie morose et dévale les pentes de la montagne en enchaînant les drifts, jusqu’à ce que les champions locaux de courses de voiture commencent à le remarquer. Un script sans grande surprise ni originalité, mais pour le coup plutôt fidèle au matériau original. Tous les clichés du genre seinen sont bien là : l’amitié, les premières amours (plus ou moins impossibles), une vie de famille pas simple, mais une passion dévorante, ici automobile, d’où émergera des nouveaux amis, des rivaux, etc. Le film se montre plutôt honnête et n’essaie pas de sortir des sentiers balisés par le manga. Chose assez étonnante à signaler, le film a beau afficher une équipe technique chinoise devant et derrière la caméra, le film se passe intégralement au Japon, avec des acteurs chinois évoluant dans des décors tout en japonais. Ca peut surprendre au début mais ça passe très bien à l’écran.

Là où les choses se gâtent un peu plus, c’est sur la forme, à la fois devant et derrière la caméra. Pour commencer, lorsqu’il a fallu composer le casting du film, le choix du comédien pour incarner Takumi s’est porté sur Jay Chou. A l’époque c’est une star montante de la pop chinoise, mais pas encore un acteur. Et bien qu’il semble investi dans son rôle, il peine à faire exister son personnage quasi mutique et peu expressif. Les spectateurs les moins compréhensifs constateront qu’il n’est jamais aussi bon que dans les scènes où il pilote dans un semi ennui sa voiture pour tuer le temps… Heureusement, à ses côtés on retrouve Edison Chen, beaucoup plus éveillé, et impliqué dans la peau d’un mentor rival de Takumi, ainsi que l’incontournable Anthony Wong, dans le rôle du père du héros, bourru au grand cœur, ancienne gloire du tuning. Le reste du casting est composé d’un ensemble de seconds rôles assez oubliables, venus soutenir ou affronter notre héros.

Là où le film accuse quelques baisses de qualité, c’est dans la mise en scène de l’ensemble. Nous sommes devant un pur produit de divertissement made in Hong-Kong, qui plus est réalisé par Andrew Lau et Alan Mak. Il faut le reconnaître, on ne peut leur reprocher de ne pas y mettre de la bonne volonté et de ne pas vouloir proposer au spectateur un vrai film de course divertissant. Mais ils semblent avoir accepté la mission au pied de la lettre, et qui dit courses de voiture dit film qui doit aller vite, tout le temps. Malheureusement, dans Initial D, il y a bien des courses de voitures, mais pas tout le temps.  Et si les dites courses sont filmées avec juste ce qu’il faut de rythme et de découpage, même si l’on pourra trouver à redire sur le côté statique « trépied en bord de route » de certaines séquences de drift, pour les autres scènes, c’est plus compliqué. On retrouve les mêmes tics de mise en scène tape à l’œil et gratuits qui ont parasité une quantité de films des années 2000. Le film enchaîne les ralentis saccadés, les freeze, les on-off brutaux de caméra (un style immortalisé par Tony Scott) et surtout des sur-découpages parfaitement inutiles. Si l’on peut accepter que ces effets clippesques puissent servir à traduire l’état d’esprit confus d’un personnage à l’écran (Takumi doute et hésite beaucoup), il est difficilement compréhensible de voir une séquence de discussion banale sur un parking entre deux amis truffée de saccades, sur-zoom et autres effets gratuits. La volonté d’afficher de la vitesse et un rythme effréné permanent de la part des réalisateurs finit par plomber le film à intervalles réguliers. On notera aussi une tendance à l’humour lourd dès que l’occasion se présente, avec par exemple le running gag du vomi, blague beaucoup trop répétitive et étirée pour être efficace. Petit avertissement pour les spectateurs les moins réceptifs à la pop-rock et au rap chinois des années 2000 : la bande originale est composée d’une ribambelle de morceaux parfaitement en adéquation avec le ton et l’ambiance tape à l’œil du film.

En conclusion, si Initial D n’est assurément pas un grand film, il demeure un long-métrage qui parvient à honorer avec respect le matériau original, mis en scène avec une réelle passion et une énergie palpable par son duo de réalisateurs. Il est juste dommage que le long-métrage porte tous les stigmates et excès visuels du cinéma des années 2000, pas aidé par un scénario certes fidèle mais trop peu ambitieux et original pour convaincre complètement.

BONUS

L’envers de la course : une featurette avec tout ce qu’il faut de félicitations et d’anecdotes diverses, mais qui arrive à se montrer très intéressante à suivre pour une bonne raison : les intervenants laissent parfois filtrer des infos assez croustillantes entre deux discours promo bien policés. On apprend donc qu’Anthony Wong a appliqué la méthode actor studio pour son rôle (jouer bourré pour incarner son rôle de père alcoolique, donc), qu’il a mis mal à l’aise son jeune partenaire débutant Jay Chou à force de ne jamais suivre le script, et que ce dernier a surpris tout le monde en sachant jouer (une remarque aux limites de la moquerie gratuite de la part du scénariste est à ce titre hilarante).

Face à Andrew Lau : dans cette vidéo, le metteur en scène revient plus en profondeur et de manière didactique sur la genèse du projet Initial D. Avec humilité et sincérité, il aborde sans langue de bois et avec moults anecdotes la difficulté, avant celle de réaliser une adaptation de manga, d’en obtenir les droits. Comment convaincre les Japonais de laisser une industrie cinématographique chinoise adapter une institution culturelle japonaise. Il aborde également la production du film, ses difficultés techniques et ses choix de scénario, obligé de se plier à un cahier des charges précis tout en constatant qu’adapter, c’est parfois trahir un peu. Passionnant de bout en bout.

Romain Leclercq

Initial D d’Andrew Lau et Alan Mak. Hong Kong. 2005. Disponible en Blu-Ray le 21/11/2023 chez Carlotta Films