NETFLIX – D.P 2 De Han Jun-hee

Posté le 28 octobre 2023 par

Sortie à l’été 2021, la première saison de la série D.P s’était imposée comme une des meilleures productions de l’année, rencontrant un succès critique (et tout un tas de récompenses aux Baeksang Art Awards, les Emmy coréens) et public malgré les polémiques suscitées par son sujet. Cette deuxième saison était attendue au tournant, crainte et curiosité se mêlant à parts égales. Suite dispensable ou essai transformé ?

Ahn Jun-ho et Han Ho-Yeol tentent de se remettre des événements liés à l’arrestation du soldat Cho Suk-bong tandis que le sergent Park Beom-gu subit la pression de sa hiérarchie, pressée d’étouffer l’affaire. L’annonce d’une fusillade dans une autre unité rebat les cartes et force l’équipe des D.P à intervenir.

Éprouvante plongée dans le quotidien des jeunes Coréens effectuant leur service militaire obligatoire, D.P dénonçait une culture de l’abus généralisée servant un système, au mieux dysfonctionnel et au pire, complice. Si la saison laissait une porte ouverte macabre et plusieurs conflits irrésolus, elle se faisait l’écho d’une réalité, certes déprimante, mais sur laquelle le constat semblait clair. Alors, à l’annonce d’une saison 2, on pouvait légitimement se demander si D.P aurait encore quelque chose à dire et à raconter.

Cette saison se charge rapidement de dissiper nos doutes sur l’entreprise. D.P 2 déplace intelligemment son curseur et élargit son champ d’observation (et d’action) aux sphères dirigeantes de l’institution militaire. Nos protagonistes, jusqu’ici des pièces anonymes de la grande machine – armée, font face à des enjeux bien plus grands qu’eux et à des adversaires autrement plus puissants. La série délaisse l’aspect procédural de la première saison pour une intrigue beaucoup plus feuilletonnante, qui installe alors un rythme nécessairement différent. Tout en maintenant un lien très étroit avec la première saison au sein d’un récit truffé de rappels et de parallèles, les créateurs Han Jun-hee et Kim Bo-tong travaillent à donner à cette suite, une identité visuelle propre, se démarquant de celle très forte et potentiellement écrasante de sa prédécesseure. Formellement, D.P 2 se permet davantage de choses et confirme l’aisance de Han Jun-hee à adapter sa mise en scène aux besoins de l’histoire. Il troque ainsi le réalisme sec de la saison 1 pour une réalisation beaucoup plus référencée, invoquant tour à tour, le mélodrame, le thriller politique, le film d’action en mode La Mémoire dans la peau, le genre et enfin, le film de procès à l’américaine. Le résultat perd de la force brute qui contribuait grandement à l’impact émotionnel de la saison précédente, mais gagne un aspect ludique, certes plus balisé mais très efficace (s’il faut bien avouer que certaines séquences oublient un peu d’être plausibles, elles n’oublient pas d’avoir l’air très cools).

Dans son ensemble, cette seconde saison lance des pistes passionnantes mais tâtonne davantage dans son exécution, là où la première saison brillait justement par la rigueur de sa construction dramatique. On le constate notamment dans le traitement de ses nouveaux personnages, le général Gu (joué avec l’opacité polie et menaçante de Ji Jin-hee), son homme de main, Oh Man-su (Jung Suk-yong) et le lieutenant Seo-un (Kim Ji-hyun), relégués à des archétypes ou des fonctions largement utilitaires laissant alors inexploité l’énorme potentiel qui s’annonçait. Ensuite, si chacun des six épisodes comporte son lot de très bonnes scènes, ils sont inégaux dans la manière dont ils s’intègrent au récit. Le premier épisode ouvre le bal avec brio, posant les bases de la saison et les problématiques animant nos héros, jouant sur les silences pour mieux terminer sur une détonation. Suite directe de cette introduction, le deuxième épisode surprend en adoptant l’approche de l’instrumentalisation des médias et de l’opinion publique, une récurrence de cette suite qui sort de plus en plus des baraques à soldats, pour traiter de l’affaire centrale. Il n’évite hélas pas certaines facilités et manque de tomber à plusieurs reprises dans la caricature qu’il souhaite dénoncer,  même si la sous-intrigue autour du stress post-traumatique de Han Ho-yeol (le jeu ultra-expressif de Koo Kyo-hwan fait toujours des merveilles) donne un des moments les plus touchants de la saison. Sorte de relais entre les deux parties de l’intrigue, le troisième épisode est sans doute, l’exemple le plus flagrant du désordre relatif de D.P 2. Reprenant le format du « cas de la semaine » de la saison 1, on suit un déserteur de longue durée, drag-queen rêvant de devenir acteur, lié à une précédente enquête de Han Ho-yeol : l’épisode donne l’occasion de retrouver la savoureuse dynamique du duo central tout en résolvant certains arcs narratifs en suspens. On se laisse prendre par l’histoire (en partie, grâce au magnétisme de la révélation Bae Na-ra, démontrant encore une fois que le directeur de casting de la série mérite une augmentation) avant de s’enfoncer dans un pathos qui fonctionne sur le moment mais n’a qu’une portée très limitée.

La saison trouve réellement son équilibre dans ses trois derniers épisodes qui recentrent l’attention sur les conflits de ses protagonistes principaux et sur ses thèmes centraux. Ainsi, le quatrième épisode nous emmène dans l’unité basée sur la DMZ, sorte de forteresse gothique de laquelle on peut entendre les messages de la propagande nord-coréenne à longueur de journée, qui ne manque pas de rappeler le JSA de Park Chan-wook mêlé avec le début d’un film d’horreur. Anxiogène à souhait, cet excellent épisode, un des meilleurs de la série, fonctionne à la fois comme une histoire individuelle (centrée sur le capitaine Lim Ji-Seob face auquel le prometteur Choi Hyun-wook fait des étincelles) et comme une introduction à la tournure que va prendre la suite de la saison. Cet épisode encapsule ce que D.P peut faire de mieux en terme d’écriture, observant les dérives du système à l’échelle humaine sans en omettre les ambivalences (solidarité de corps, protection du collectif, préjugés de classe) et les petits compromis (conséquences matérielles, affect personnel, refus de s’impliquer). Dans ces unités isolées, on organise sa propre loi et on construit ses propres histoires faites de légendes des guerres du passé et des fantômes de soldats sacrifiés, quitte à devenir un peu fou.

Tout au long de ces 6 épisodes, D.P 2 ressasse, recule, répète. Elle revient sans cesse en arrière, sur les événements de la saison 1 et ceux qui les ont traversés, comme autant de fantômes à confronter, posant toujours la même question sans réponse : quelle part de responsabilité assumer dans une situation qui rend si impuissant ? En mettant chacun des personnages, tour à tour, face à ce qui les hantent puis face à la vérité à laquelle ils veulent contribuer, les deux derniers épisodes nous mènent vers la fin d’une boucle narrative qui doit en finir, d’une manière ou d’une autre. C’est précisément dans cette volonté d’aller au fond des choses, en passant par un dévouement sans failles des scénaristes et des interprètes, aux trajectoires de leurs personnages, que D.P 2 compense ses défauts et ses maladresses. Ainsi, les arcs des soldats Ahn Jun-ho (toujours porté par l’intensité à fleur de peau de Jung Hae-in) et Han Ho-yeol donnent l’occasion de dresser un émouvant portrait en creux du traumatisme et de la dépression (plus abouti dans le cas d’Ahn Jun-ho, Han Ho-yeol étant un peu sacrifié dans la seconde partie de saison). Néanmoins, et dans une cohérence totale avec le thème de la responsabilité irriguant cette nouvelle fournée d’épisodes, ce sont leurs deux supérieurs qui tiennent la dragée haute de la saison et raflent la mise des scènes les plus mémorables. Remarquablement interprétés par Kim Sung-hyun et Son Seok-gu, le sergent Park Beom-gu et le capitaine Lim Ji-seop sont la conscience, assaillie et largement impuissante, d’un système aux craquelures de plus en plus évidentes que l’État préfère recouvrir plutôt que d’admettre que les fondations sont pourries. Leur relation et leurs évolutions parallèles sont un des aspects les plus enthousiasmants de la saison (particulièrement, en ce qui concerne Lim Ji-seop dont le développement d’ambitieux gradé à lanceur d’alerte monte en puissance avec subtilité jusqu’à un formidable monologue final). Le choix narratif, qui voit les conscrits passer au second plan pour laisser leurs supérieurs les protéger et se lever à leur place, n’en est alors que plus naturel et plus poignant.

Avec intelligence et sensibilité, D.P 2 propose une réflexion sur la responsabilité et sur la valeur de la désobéissance, au sein de l’institution mais, plus largement, au sein de la société toute entière (message par ailleurs plutôt salutaire dans le contexte politique actuel en Corée du Sud). Derrière un extérieur plus spectaculaire, moins maîtrisé, plus appuyé parfois, cette seconde saison remplit son objectif de la meilleure manière : en retraçant ses pas pour mieux déconstruire les enjeux et en approfondissant ses forces pour mieux délivrer une conclusion aboutie. Si le dénouement de D.P 2 constitue une défaite objective aux conséquences bien concrètes dans le récit, une décision scénaristique qui va à l’encontre des codes empruntés et réaffirme l’attachement de la série à une réalité, il infuse un sens des possibilités à ces personnages qui n’en avaient plus. L’espoir de pouvoir avancer et la certitude d’avoir essayé.

Claire Lalaut

D.P 2 de Han Jun-hee. 2023. Corée du Sud. Disponible sur Netflix.

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