VIDEO – Lee Rock 2 de Lawrence Ah Mon

Posté le 3 mai 2023 par

Spectrum Films sort en édition Blu-ray le diptyque policier Lee Rock 1 et 2 de Lawrence Ah Mon, fleuron de la fresque criminelle historique en vogue dans le cinéma de Hong Kong des années 90. On s’attarde sur le deuxième volet, qui montre l’apogée et la chute de cette figure controversée.

En 1959, l’inspecteur étranger Reeve du quartier de Yau Ma Tei prend sa retraite, ce qui conduit à une compétition entre Lee Rock et Ngan Tung pour prendre sa succession. Ngan Tung n’hésite alors pas à collaborer avec de nombreux hommes d’affaires et trafiquants de drogue de Hong Kong dans l’espoir de s’emparer du poste. Lee Rock refuse également de faire marche arrière. Bien que Ngan Tung obtienne finalement le poste, Lee Rock est promu détective en chef en Chine, un poste nouvellement créé, ce qui le place au-dessus de Ngan.

Initialement envisagé comme une grande fresque criminelle de trois heures, Lee Rock (1991) est opportunément divisé en deux films par ses producteurs lorsqu’ils en décèlent le potentiel commercial. Le réalisateur Lawrence Ah Mon doit jongler au fil des réécritures et ajouts de matériels filmiques intempestifs pour nourrir ce qui est désormais un diptyque, le temps d’un tournage intense. Le premier volet était une œuvre plaisante mais déchirée entre plusieurs élans contradictoires, comme faire l’éloge d’une figure corrompue notoire dans un film indirectement financé par les triades. Le film souffrait ainsi d’une tonalité trop romancée quant aux motivations de Lee Rock, tout en ayant un traitement franchement complaisant sur ce contexte de corruption policière généralisée.

Ce deuxième volet est moins nerveux et riche en péripéties que son prédécesseur, mais corrige en partie ce problème d’angle thématique. Nous avions quitté Lee Rock en pleine ascension, nous le retrouvons désormais alors qu’il atteint les sommets lorsqu’il obtient le rang lui conférant le pouvoir, au grand dam de son rival de toujours. Une nouvelle fois, le script l’absout un peu en le montrant organiser une corruption plus « vertueuse » où chaque strate de la police pourra croquer sa part du gâteau, notamment les officiers en uniformes dont il fit partie. Néanmoins, ce second film est moins indulgent, célébrant moins son héros au sommet que quand il cherchait à y parvenir. Le travail sur l’ellipse parvient tant bien que mal à traduire les conséquences de la mainmise de Lee Rock sur le crime organisé tandis qu’Andy Lau et un soupçon de maquillage illustrent le passage du temps sur la psychologie du personnage. C’est moyennement convaincant, Andy Lau exprimant cette maturité et arrogance par un jeu tout en mimiques dédaigneuses et postures arrogantes. En dépit de gros raccourcis, la manière dont le pouvoir britannique tente d’épurer les forces de police corrompues avec la création de l’ICAC (une commission anti-corruption) est plutôt intéressante et laisse entrevoir quelques intrigues de palais et manœuvres stratégiques prenantes.

Cependant, afin de ne pas aliéner trop fortement son anti-héros et l’éloigner du spectateur, le film crée l’empathie par la fiction au lieu de creuser l’intéressant sillon judiciaire. Lee Rock retrouve son amour perdu du premier film et se découvre un fils qui malheureusement est un des membres les plus féroces de l’ICAC. Le procédé est certes grossier pour créer du drame, mais c’est dans ce registre intimiste qu’Andy Lau est le plus convaincant. Il amène une émotion et une profondeur qui lui confèrent un charisme bien plus tangible que lorsqu’il force les mimiques à la Robert De Niro pour nous faire croire qu’il est un leader charismatique. Si l’on regrette que la facette romancée prenne le pas sur la trame policière et géopolitique, Lawrence Ah Mon y semble plus à l’aise et y réserve tous les vrais temps forts du film.

C’est grâce à cela que la conclusion se teinte de regrets et d’amertume alors que dans le film et la réalité, Lee Rock a réussi à fuir au Canada avec ses millions et échapper à la justice hongkongaise. C’est donc par ce qu’il a dû perdre d’un point de vue personnel (finalement le fil rouge des deux parties) que Lee Rock existe à l’écran, et permet le seul morceau de bravoure de cette seconde partie avec un gunfight nerveux à souhait dans un hôpital. Si le film-dossier sur cette époque de corruption dans la police de Hong Kong reste sans doute à faire (les autres fresques criminelles sorties dans le sillage de Lee Rock explorant la même voie commerciale spectaculaire), Lee Rock n’en reste pas moins un plaisant et fastueux divertissement.

Bonus

Un entretien (32 min) avec le réalisateur Lawrence Ah Mon. Il y a quelques redites dans les informations avec son entretien présent sur le disque du premier volet, mais s’y ajoutent ici davantage d’éléments sur son parcours avant Lee Rock, ses études, son expérience à la télévision, le tournage de ses deux premiers films Gangs et Queen of Temple Street. La vraie plus-value réside dans ses anecdotes et opinions assez franches sur la place des triades dans le cinéma hongkongais de l’époque, que ce soit dans le financement des films ou même les tournages extérieurs sur lesquels il n’était pas rare de voir un gang venir racketter la production.

Entretien avec Chan Man-keug (18 min), scénariste sur le diptyque Lee Rock. Il revient sur son amitié et ses débuts à la télévision avec Lawrence Ah Mon et la poursuite de leur collaboration au cinéma sur les deux premiers films de ce dernier. Il évoque ensuite l’urgence de la production de Lee Rock dont le scénario lui fut commandé durant le week-end suivant la première projection du Parrain de Hong Kong (dont le succès motiva la mise en route de Lee Rock) et seulement quinze jours avant le début du tournage. Il parle de la nécessité de romancer autour de la vraie figure de Lee Rock au vu du manque d’information dont il disposait sur lui, et la manière dont son script s’inspire davantage de la documentation autour de la corruption policière de l’époque plutôt que du personnage. Les impondérables scénaristiques d’un long film de 3h finalement découpé en deux sont abordés, ainsi que la manière dont il dût parfois réécrire des séquences rapidement, d’enrichir au fil de l’eau certains éléments de l’intrigue. La question morale d’écrire sur un flic corrompu dans un film financé par les triades est posée, le scénariste assumant la teneur commerciale du projet contrairement aux deux précédents films plus sociaux écrits pour Lawrence Ah Mon. Un bonus très intéressant.

Justin Kwedi.

Lee Rock de Lawrence Ah Mon. 1991. Hong Kong. Disponible en combo Blu-Ray chez Spectrum Films le 16/02/2023.

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