Koji Fukada Love life

VIDEO – Love Life de Fukada Koji

Posté le 17 octobre 2023 par

Love Life , dernier film en date Fukada Koji à être sorti en France, en juin 2023, bénéficie désormais d’une édition vidéo, en DVD et Blu-Ray, chez Hanabi. Le réalisateur y confirme son penchant psycho-médical pour l’intimité du couple et les troubles amoureux d’individus perdus dans l’incertitude du présent, tentés par le refuge dans un passé jugé plus confortable. Texte par Marc L’Helgoualc’h ; Bonus par Flavien Poncet.

Taeko et Jiro, trentenaires, forment a priori un couple banal (et donc idéal). Le film s’ouvre par un heureux événement : la célébration de la victoire de leur fils Keita, 6 ans, à une compétition du jeu de stratégie Othello. La fête familiale en l’honneur du fils prodige laisse peu à peu apparaître les fêlures du couple. Taeko est mal acceptée des beaux-parents de Jiro : son fils Keita est issu d’une ancienne union ; Taeko a renconté Jiro alors que celui-ci devait épouser une autre femme. Qui plus est, les beaux-parents de Jiro reprochent à Taeko de n’avoir pas encore donné naissance à un nouvel enfant, symbole et preuve d’une union jugée « inaboutie ». Ces premières fêlures deviennent des fractures quand Keita meurt par accident. Alors que Taeko et Jiro surmontent la mort de l’enfant, Park, son père biologique, émigré sud-coréen muet, réapparaît.

Le scénario de Love Life est inspiré d’une chanson éponyme de Yano Akiko, célèbre chanteuse et pianiste. Les paroles sont suffisamment vagues sur l’espoir d’un amour éternel pour que Fukada s’en serve comme matériau pour imaginer l’histoire d’un couple brisé par la mort de leur enfant. L’amour peut-il perdurer entre deux êtres broyés qui, par manque de communication et de compréhension, se réfugient chacun dans leur passé ? De l’aveu même du réalisateur, l’amour est une addition de solitudes. Ici, Taeko et Jiro vont peu à peu s’éloigner et chercher le réconfort en faisant machine arrière. Personnages palimpsestes, ils vont gratter le vernis de leur histoire commune pour faire réapparaître un passé individuel maintenant idéalisé. Alors que Taeko se rapproche de son ancien mari Park, aujourd’hui SDF, Jiro retourne vers la femme qu’il devait épouser s’il n’avait jamais rencontré Taeko.

Koji Fukada Love life

En réanimant leur passé, Taeko et Jiro dévoilent aux spectateurs des personnalités alors insoupçonnées et radicalement différentes de ce que laissait transparaître le début du film. Taeko devient une femme impulsive, grisée par les retrouvailles avec Park et n’hésitant pas rejeter en bloc sa vie familiale. On pense à l’héroïne d’Asako 1 & 2 de Hamaguchi. De son côté, Jiro s’avère être un homme lâche, conscient de sa lâcheté. Un comportement loin de celui du mari attachant et responsable, ayant élevé Keita comme son propre fils. Ce côté Janus est symbolisé tout au long du film par le jeu de stratégie Othello, auquel excelle le jeune Keita. Populaire au Japon, ce jeu consiste à disposer des pions blancs et noirs sur un othellier. Selon les coups des joueurs, un pion blanc peut devenir noir. Taeko et Jiro sont pareils à ces pions, leurs comportements passant du noir au blanc. Le défunt Keita est donc le démiurge omniprésent du film, sa mort tragique transformant ses parents en pions.

Malgré la violence potentielle de la situation, les effusions de larmes et de sang sont assez réduites. L’ambiance instaurée par Fukada, faussement calme et apaisante, est plus proche des films d’Ozu ou de Hamaguchi que de l’hystérie et de la fureur ostentatoires des films de Sono Sion et Nakashima Tetsuya. La fameuse retenue nippone. Même au sein de la filmographie de FukadaLove Life est moins riche en rebondissements et en situations extrêmes que HospitalitéHarmonium ou Suis-moi, je te suis / Fuis-moi, je te suis. D’où un film qui, s’il ne marque pas totalement le spectateur dès sa vision, diffuse progressivement son charme.

BONUS

Les bonii du Blu-Ray se composent de 4 entrées :

Entretien avec Fukada Koji (20min) : Fukada se voit soumis à plusieurs questions pour revenir sur son 10ème film à travers plusieurs axes. Il se voit interrogé sur le genre de Love Life. « C’est toujours une question difficile« , dit-il. « C‘est le public qui en regardant les films y trouvent des éléments fantastiques, de science fiction. » Il déclare toutefois beaucoup aimer le mélodrame et notamment la cruauté qu’il y décèle et qui a, selon lui, guidé le ton de son film. Il explique, dans le détail, combien le jeu de go, le chat, le CD, les religieuses, etc. sont autant d’éléments qui l’ont aidé à piloter son récit. Cette interview laisse libre la parole du cinéaste pour qu’il révèle les différentes réponses très concrètes qu’il a apporté aux problèmes de mise en scène.

Il aborde également la question de l’espace et des distances, physiques comme symboliques, entre les personnages. Ce qui lui permet, là aussi, de mettre l’accent sur des questions très pragmatiques de mise en scène. Il prend, à ce sujet, l’exemple du travail de Miyazaki sur le Horus de Takahata et comment le travail du premier sur les différents plans topographiques, horizontaux et verticaux, l’ont inspiré pour la scénographie de son Love Life.

Il parle très justement de « géographie des relations« , un élément de son style qu’il n’est pas sans partager avec Hamaguchi. Il révèle, par ailleurs, que le scénario à été écrit il y a 20 ans et qu’alors, il n’y avait pas le personnage coréen, capital dans le récit. Il a ajouté cet élément pour renforcer la distance du voyage, par-delà la mer, du Japon à la Corée, et, a fortiori, la profondeur du déplacement de Taeko.

Pêle-mêle, l’entretien lui permet aussi de s’exprimer sur les jeux de regard, le personange féminin principal de Taeko (et comment elle se définit par rapport aux rôles qu’elle joue vis-à-vis des autres et à son souhait d’émancipation), de la complexité des personnages, des traces du passé et les trois langues présentes (le japonais, le coréen et la langue des signes coréennes).

Masterclass de Fukada (12min) : l’événement, organisé pendant les saisons Hanabi et capté au Mk2 Bibliothèque, s’ouvre, par la journaliste Léna Mauger, sur le phénomène tabou des disparitions au Japon qui concerne 100 000 Japonais chaque année.

Fukada s’exprime aussi sur la pression sociale au Japon (en rappelant ce que les nippophiles et amateurs des sociétés confucéennes connaissent bien, que « la fonction prime sur les individus », avec ce que cela engendre), le taux de suicide au Japon, l’insularité du pays et ses conséquences sociétales. Autant de thèmes très forts sur lesquels le cinéaste s’exprime avec une grande clarté et liberté de ton.

Le Blu-Ray s’accompagne également de deux petites pastilles vidéo de 30 secondes qui présente les particularités du 1/ modèle familial japonais et 2/ de la notion du collectif au pays du Soleil-Levant (présentant la différence entre honne (le « vrai-soi ») et tatemae (la manière d’être en société)).

Love Life de Fukada Koji. Japon. 2022. En DVD et Blu-Ray chez Hanabi le 17/10/2023