EN SALLES – A Scene at the Sea de Kitano Takeshi (en salles le 08/08/2018)

Posté le 14 août 2018 par

L’année dernière, La Rabbia avait réjoui les cinéphiles passionnés par l’oeuvre de Kitano Takeshi en distribuant, et en copie restaurée s’il vous plaît, trois des chefs d’oeuvre de Beat Takeshi, à savoir L’Eté de Kikujiro, Hana-Bi et Kids Return. Trois univers, trois visions de la société japonaise et autant de façons de faire connaissance avec la personnalité d’un passionnant réalisateur au talent protéiforme. Cette année, il est possible de découvrir le troisième film de Kitano Takeshi, A Scene at the Sea, touchante bulle d’air et de tendresse dans une filmographie qui se montrera rarement aussi légère.

 

En 1991, Kitano Takeshi n’est déjà plus un novice derrière la caméra. Il a remplacé Fukasaku Kinji au pied levé pour réaliser Violent Cop, se trouvant donc de facto devant et derrière la caméra, et il réalise un an plus tard Jugatsu avec lequel il s’essaye pour la première fois à l’écriture d’un scénario. Si Violent Cop connaît un certain succès au Japon, ce n’est pas le cas de Jugatsu dont l’exploitation va se conclure sur une note d’échec. Pas découragé et fort de cette double expérience, Kitano Takeshi entreprend un an plus tard la réalisation d’un film moins noir, plus optimiste que ses précédents films nihilistes et désespérés. Loin des yakuzas et des flingues, le réalisateur prend le large, dans tous les sens du terme, et nous raconte les péripéties d’un éboueur sourd-muet, Shigeru, qui lors d’une tournée de ramassage d’ordures va mettre la main sur une planche de surf complètement défoncée. A force d’entraînement et de persévérance, il va apprendre à maîtriser sa planche et dompter l’océan, sous le regard bienveillant de Takako, jeune femme sourde-muette elle aussi.

Découvrir A Scene at the Sea, c’est avant tout découvrir une facette d’un réalisateur que l’on a parfois trop facilement catalogué à ses débuts dans le registre du film noir, du polar sec et brutal. Forcément réducteur, ce procédé met de côté un aspect plus méconnu de Kitano, qui sera beaucoup plus développé dans le touchant L’Eté de Kikujiro. Car avant d’être le réalisateur de films comme Hana-Bi ou Kids Return, dans lesquels les flingues et les poings font plus mal que les mots, Kitano Takeshi est un comique et un poète doté d’une grande sensibilité. Et c’est cette finesse et cette retenue dans les émotions qui sont mises en avant dans A Scene at the Sea. Partant d’un sujet qui, a priori, ne promet pas grand chose de trépidant (un homme trouve une planche de surf et décide de s’y mettre), Kitano Takeshi va parvenir à brasser toute une palette d’émotions, souvent avec une économie de dialogues qui confine parfois au cinéma muet, pour un résultat qui va se révéler à la fois drôle, touchant et profondément humain.

Ce n’est que le troisième film de Kitano Takeshi, et déjà il porte en lui tout le cinéma du réalisateur. Passionné de peinture, Kitano filme ses plages et ses héros ordinaires comme il cadrerait des tableaux, le regard toujours fixé vers l’horizon. Peu ou pas de mouvements de caméra, parfois pas d’action dans le cadre, le temps semble s’arrêter sur cette plage. Et c’est dans ces instants de rien, ces moments de vie anodine, de contemplation des vagues et de réflexion que le film touche le plus et bouleverse. Le cinéaste arrive à rendre presque palpable ce sentiment, devenu rare, de liberté, d’accomplissement de soi et de persévérance. Shigeru trébuche, s’obstine, recommence, ne cesse de tomber, mais se relève et se découvre un talent qui va lui permettre de rencontrer des amis et s’ouvrir au monde. Le monde qui d’ailleurs n’est pas toujours tendre avec ceux qui osent (les moqueries des surfeurs) et qui jalouse ceux qui se donnent les moyens d’accomplir leurs rêves. Mais Kitano Takeshi est au fond un éternel optimiste, et l’être humain peut parfois se montrer doué de compassion et de compréhension, ainsi que se montrer solidaire des rêves des autres sans rien attendre en retour, à l’image du collègue de Shigeru, acceptant de doubler ses efforts pour que celui-ci participe à la compétition de surf.

Si le film est une véritable ode à la liberté et à la persévérance, il fait preuve d’une infinie délicatesse lorsqu’il s’agit de faire parler les sentiments et l’amour de ces deux personnages principaux, tous les deux sourd-muets. Chaque regard, geste ou composition de cadre remplace toute ligne de dialogue superflue, et se charge d’une émotion sincère et touchante. On rit avec la compagne de Shigeru qui le voit s’amuser comme un gamin sur sa planche, on pleure avec elle lorsqu’un quiproquo provoque une colère qu’elle ne peut pas exprimer ouvertement. On remarquera d’ailleurs que Kitano Takeshi use beaucoup, plus que dans ses autres films d’ailleurs, des gros plans sur les visages de ses héros, individus privé de voix mais aux visages traversés de sentiments et d’émotions qu’ils semblent découvrir et pas toujours assumer, à l’image de Shigeru qui se surprend à rire de la chute d’un surfer avant de se reprendre, entre gêne et culpabilité.

S’il fait office de parenthèse thématique dans la filmographie de Kitano Takeshi, A Scene at the Sea est un chef d’oeuvre, un de plus serait-on tenté de dire, dans le parcours de son réalisateur qui fait preuve ici d’une sensibilité et d’une simplicité désarmantes, au service d’un humanisme et d’une ode à la liberté, aux doux accents de plaisir estival de bord de mer, le tout rythmé par le bruit des vagues et la bande originale de Hisaishi Joe.

Romain Leclercq.

A Scene at the Sea de Kitano Takeshi. Japon. 1991. En salles le 08/08/2018.

 

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