Le coffret God of Gamblers, du nom de la saga autour du jeu de Wong Jing, était attendu depuis de nombreux mois chez Spectrum Films. Retour sur le premier opus, sorti en 1989 à Hong Kong.
Ko Chun est surnommé le dieu du jeu. Dans tous les casinos, sur toutes les tables de jeu du monde, il est réputé imbattable grâce à un sens aigu pour ce qui est de capter l’atmosphère et les détails. Il promet à un chef yakuza du Japon de le venger d’un excellent joueur qui a conduit son père au suicide. Mais en cours de route, une grave chute lui fait perdre la mémoire et revenir à l’âge mental d’un enfant. Il est pris en charge par un groupe de jeunes voyous au grand cœur.
Considéré comme la crème de la filmographie peu régulière de Wong Jing, qui a longtemps régné sur le cinéma commercial de la ville au port parfumé, God of Gamblers ne manque pas de promesses dans ses premiers instants. Un casting proprement fou est au générique : Sharla Cheung Man, Joey Wong, Andy Lau, deux des seconds couteaux les plus appréciés de l’âge d’or hongkongais en la présence de Shing Fui-On et Ng Man-tat, tous réunis autour de la figure en pleine ascension de Chow Yun-fat, véritable dandy cool du cinéma hongkongais depuis son explosion dans Le Syndicat du crime. D’ailleurs, tout l’intérêt du film se cristallise d’emblée autour du personnage de Ko Chun qu’il incarne et dans lequel il semble parfaitement à l’aise : vêtu de manière élégante, avec son sourire ravageur, ses prestations au jeu confirment son charisme à toute épreuve. La seconde scène du jeu de l’introduction, au Japon, est renversante. Le film prend déjà soin de ne pas post-synchroniser tous les personnages en cantonais dans sa version originale. Ainsi, dans cette partie au Japon, à travers la langue japonaise et le personnage de croupière tatouée interprétée par Nishiwaki Michiko (Angel Terminators) qui évoque la saga japonaise Woman’s Gambler, l’ambiance tout comme le rythme de la partie s’avèrent tout à fait plaisant. Malheureusement, les promesses de God of Gamblers, celles de montrer les pérégrinations d’un homme singulier et charismatique dans un milieu luxueux et ténébreux, se rompent immédiatement avec la péripétie éculée de la perte de mémoire qui intervient peu après.
Dans God of Gamblers, Wong Jing a cru bon de capitaliser sur certains ingrédients qui firent le succès de la saga Le Syndicat du crime. Ces éléments forment le squelette de God of Gamblers premier du nom, et proviennent du Syndicat du crime 1 et du Syndicat du crime 2. L’aura du personnage de Chow Yun-fat dans le film de Wong Jing est clairement celle imaginée par John Woo pour le premier opus. En revanche, son cabotinage et son parcours dans l’amnésie évoquent sa propre prestation dans le Syndicat du crime 2 et l’écriture du personnage de Dean Shek dans le même film, qui suite à un choc, devient incapable. Dans God of Gamblers comme dans Le Syndicat du crime 2, la finesse manque sur cet aspect et lasse. La longueur de l’arc scénaristique de Ko Chun amnésique occupe une trop grande partie des plus de 2h du film. L’arc du dénouement, le jeu ultime contre le « boss final » du film, signe un retour aux promesses du personnage d’origine. L’intensité narrative est là, à quelques erreurs de tempo et de twist branlants près.
Wong Jing n’est pas seulement un cinéaste-producteur préoccupé par l’argent et le box-office comme il est souvent présenté. Metteur en scène stakhanoviste, il est également l’auteur de films extrêmement drôles et inventifs (à l’image de Magic Crystal). On sent que dans God of Gamblers, il tient une idée et une typologie de personnage qui a failli se concrétiser par l’aura charismatique de Chow Yun-fat, mais les problèmes d’écriture de l’intrigue, ou plutôt ses facilités, entachent ce coup d’essai. Le champ des possibles est toutefois libre pour des suites dans cet univers enivrant qui est celui de la fièvre du jeu, et qui fera de nombreux émules dans les cinémas hongkongais et chinois, encore aujourd’hui.
Bonus de l’édition Spectrum Films
Présentation d’Arnaud Lanuque (12 min). Arnaud Lanuque apporte des informations capitales pour saisir le succès que fut God of Gamblers dans le cinéma hongkongais de 1989, l’aura de Chow Yun-fat, la trajectoire de cinéaste de Wong Jing, ainsi que les connexions qu’entretiendrait la société de production Wins avec le monde des triades. L’information la plus intéressante de cette présentation réside dans l’évocation de l’illégalité des salles de jeu à Hong Kong, qui aide à saisir certains éléments précis du film, à l’image des plateformes de jeu montées sur les eaux territoriales comme on peut le voir dans God of Gamblers.
Interview d’Albert Mak, script sur God of Gamblers (12 min). Il est toujours amusant d’interroger ces petites mains qui ont fait les films du passé pour nous raconter l’ambiance du tournage, la façon d’être des artistes ou tout simplement pour connaître leur opinion sur le cinéma, leur domaine d’expertise professionnelle. À cet effet, l’interview de Mak remplit tous ces critères.
Maxime Bauer.
God of Gamblers de Wong Jing. Hong Kong. 1989. Disponible dans le coffret God of Gamblers paru chez Spectrum Films en septembre 2023.