À l’occasion de la sortie de L’Arbre aux papillons d’or, la très attendue Caméra d’Or du dernier Festival de Cannes, le réalisateur Pham Thiên Ân est venu présenter son film lors d’avant-premières, pour rencontrer son public français. Nous avons pu nous entretenir avec ce cinéaste promis à un bel avenir.
East Asia : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et ce qui vous a mené au cinéma ?
Pham Thiên Ân : Mon parcours vers le cinéma a été plutôt long. Pour résumer, j’ai commencé par faire de l’informatique. À la fin de mon cycle d’études de quatre ans, je me suis dit qu’il fallait que je choisisse quelque chose qui me rapproche de l’art. J’ai commencé à travailler pour une société privée spécialisée dans le montage des films de mariage. C’est comme cela que j’ai mis un pied à l’étrier.
Comme le personnage de votre film.
Il y a effectivement une analogie.
Dans votre note d’intention, vous indiquez avoir mis une part de vous dans votre film, notamment votre besoin de vous ressourcer à la campagne après avoir connu le rythme effréné de la ville. Vous adoptez pour cela la forme d’un film contemplatif. Cela s’est-il imposé à vous naturellement ?
Cette idée est venue assez soudainement au moment où je me suis aperçu que j’avais accumulé assez d’expérience urbaine et campagnarde. Cela a eu lieu il y a cinq ans.
Etiez-vous déjà dans cette démarche de réaliser des films de mariage pour vous rapprocher de l’art ?
J’ai commencé à faire des films de mariage il y a 10 ans et je continue encore de le faire. Cela a eu lieu pendant que j’exerçais ce travail.
Le héros du film, Thiên, porte l’un de vos prénoms, et exerce une activité que vous exercez, vidéaste de mariage. Vous avez déclaré avoir eu envie de manipuler une caméra et faire des montages à travers cette activité. Êtes-vous cinéphile ou vous considérez-vous comme un artiste autodidacte ?
Quand j’ai commencé, je n’étais pas un professionnel. J’ai commencé à faire des films en tant que cinéphile, qui voulait faire du cinéma et surtout qui voulait apprendre à faire du cinéma.
Quel genre de film vous a inspiré et donné envie de vous rapprocher de ce monde ?
Il y a 10 ans, j’ai vu pas mal de films hollywoodiens ayant un accent sur le scénario et le côté dramatique. Peu à peu, j’ai évolué vers le cinéma européen. J’ai été marqué par beaucoup de films. Pour n’en citer quelques-uns, il y a Amour de Michael Haneke, Ordet de Carl Theodor Dreyer et Ida de Pawel Pawlikowski.
Vous n’avez pas été influencé par des films asiatiques ?
J’ai aimé beaucoup de films asiatiques mais ce sont ces films européens qui m’ont le plus inspiré. J’aime Tsai Ming-liang, Apichatpong Weerasethakul.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la scène des papillons d’or qui donne son titre français au film ?
À l’origine, cette scène avec les papillons d’or ne figurait pas dans le scénario original. Le tournage du film a duré trois ans. Cela montre tout simplement le côté insaisissable de la transmutation du personnage.
Le titre anglais et le titre vietnamien sont à peu près les mêmes au niveau de la sémantique. C’est une façon de montrer que le personnage se révèle réellement ?
En effet.
L’essentiel du casting de votre film est non-professionnel. Comment travaille-t-on avec des acteurs non-professionnels et comment travaille-t-on avec des acteurs professionnels ? Sont-ils connus au Vietnam ?
En effet, 90% des acteurs de mon film sont non-professionnels. J’ai choisi chacun en fonction de leur caractère, de telle sorte qu’il soit proche du personnage qu’il interprète. Un acteur professionnel est comme une page blanche. Un metteur en scène peut essayer de le modeler. Personnellement, j’aime bien l’improvisation. L’acteur non-professionnel joue comme un enfant ; il n’interprète pas, il joue. Au point de vue de la planification, ils sont plus disponibles. S’ils ont donné leur accord pour jouer un rôle, c’est qu’ils s’intéressent au cinéma et ils ont accepté de nous aider pendant trois ans. La seule actrice professionnelle est la vieille dame. Elle a tourné avec nous pendant 4 jours seulement. Leur point fort, c’est qu’ils savent interpréter. Leur point faible, c’est qu’ils ont tendance à rejouer les rôles auxquelles ils sont habitués, qu’ils ont interprété à la télévision.
C’est une actrice de télévision ?
Oui, de séries et de téléfilms.
Votre film va et vient dans la réalité et l’imaginaire de son héros, parfois entre son passé et son présent sans prévenir. Dans un film plus commercial, ces étapes seraient plus visibles comme pour tenir la main au spectateur. Votre film est beaucoup plus libre, ne s’imposant pas ces contraintes de forme pour correspondre aux codes, et semble faire confiance au spectateur. Pensez-vous que le cinéma doive tendre vers cette approche pour atteindre cette spiritualité que vous et votre personnage recherchez ?
Effectivement, dans ce film, lorsqu’un personnage retourne dans le passé, je ne change pas de cadre, de couleurs, d’habits. Mais je comprends qu’à la télévision, un retour va se montrer marqué. Je continue avec ma conception.
Les personnages du film font partie de la minorité chrétienne du Vietnam. Pouvez-vous nous en dire plus sur la foi catholique au Vietnam, en quoi c’est un sujet important pour vous, et quelle approche avez-vous utilisée pour les représenter ?
Les catholiques ne constituent que 10% de la population, mais ils se répartissent partout dans le pays du nord au sud. Une de leurs caractéristiques est qu’ils vivent plutôt concentrés dans un quartier, un village ou un district. Près de Saigon, dans une zone bien précise, il n’y a que des catholiques. Une autre caractéristique est que la pratique religieuse est intense. En semaine, chaque jour, il y a une messe du matin et une messe du soir, et le dimanche trois messes. Pour la messe du matin, les gens se lèvent très tôt, pour la messe du soir ils prennent le temps de réciter les prières. C’est donc une minorité, mais avec des pratiques très fortes. Il y a deux messages que j’ai voulu exprimer dans le portrait de mes coreligionnaires : je voulais d’abord montrer la foi devant les épreuves, comme le font mes personnages, et je voulais montrer comment ils peuvent répondre à un appel, que ce soit pour devenir religieux ou réaliser des actions caritatives.
On pense à Tarkovski et son livre Le Temps scellé, dans lequel il explique que le plus important dans son cinéma c’est de montrer la foi de ses personnages, en son sens général, même si Tarkovski est lui-même chrétien. Est-il une de vos influences ?
Effectivement, Tarkovski a un eu grand impact sur mes réflexions. Par forcément pour ses films, mais pour ce qu’il a écrit. Je pense notamment à cette réflexion de sa part, que le but d’une œuvre artistique est d’enrichir la vie spirituelle, de l’élever à un autre niveau.
Pouvez-vous nous parler de la région dans laquelle vous avez tourné le film, qui est forestière et très humide ? Il y a quelque chose de très organique et vivant dans cette zone.
Le film a été tourné dans trois endroits différents qui relèvent tous de la province de Lam Don, la capitale de la région. Les trois endroits dans lesquels nous avons tourné s’appellent Di Linh, Bao Loc et Bao Lam. La distance entre ces trois points est d’environ 50 km.
Est-ce que chaque localité est identifiée dans le film ou bien le jeu narratif a-t-il tout mélangé ?
J’ai tout mélangé.
Il semble tout de même exister une influence asiatique dans ce film, le cinéma de Bi Gan, notamment ses deux longs-métrages Kaili Blues et Un Grand voyage vers la nuit. On y voit une recherche spirituelle et la recherche d’un être cher insaisissable de façon similaire. Il y a aussi ce long plan-séquence en mobylette. Est-ce que Bi Gan a eu une influence sur votre travail ?
J’ai entendu beaucoup de remarques semblables. Pour être clair, il y a une ressemblance dans le cadre dans lequel Bi Gan et moi avons tourné : sur le plateau, un lieu où il y a de l’humidité… J’y ai mis beaucoup de vécu personnel. Il se trouve que dans ces cadres à l’existence physique, il y a beaucoup de ressemblances entre les animaux et les hommes qui y vivent.
Le cinéma vietnamien n’est pas très accessible en France. Il semble y avoir une industrie du divertissement. Laisse-t-elle une place au cinéma art et essai ? A quel niveau ?
Ce sont deux mondes complètement différents. Dans l’industrie du divertissement, un bon revenu pour un film se situe dans les 400 ou 500 milliards de dong. Mon film rapporte 1 milliard de dong. Voyez le rapport de force ! Et que ce soit pour l’industrie du divertissement ou le cinéma art et essai, l’Etat n’accord aucune subvention, ni à l’un ni à l’autre. La seule chose que fait l’Etat, c’est visionner le film pour donner le visa de censure. Le seul critère est la conformité aux bonnes mœurs. Pour les cinéastes comme moi, la seule solution pour trouver des financements est de se tourner vers l’étranger. Beaucoup comme moi ont commencé par faire des courts-métrages pour se faire connaître.
Lorsque l’on n’est pas détecté comme étant un artiste connu, comment parvient-on à accéder à Cannes, à y être sélectionné ?
Pour le résultat obtenu à Cannes, rien n’était planifié ni espéré. Ce que je peux dire, c’est qu’en faisant ce film, j’ai été poussé par ma foi, ma conviction, ma chance. Tout cela a été guidé par une équipe de tournage, les acteurs… Nous nous sommes soutenus, nous formions une équipe très soudée.
Quel est votre moment de cinéma, un film ou une séquence qui vous ait particulièrement marqué comme spectateur ?
Il y en a beaucoup… Amour de Haneke, la séquence où la vieille dame joue au piano et où le vieil homme est sur un banc.
Propos recueillis par Maxime Bauer à Paris le 02/09/2023.
Interprète : Nguyen Ngoc Giao.
Remerciements à Lélia Saligari et toute l’équipe de Nour Films.
L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thien An. Vietnam. 2023. En salles le 20/09/2023.