La Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) consacre une rétrospective au réalisateur Morita Yoshimitsu, l’occasion de découvrir une œuvre riche, passionnante, subversive et encore injustement méconnue hors du Japon. On évoque Black House, extravagant, original et imprévisible incursion du réalisateur dans l’horreur.
Un agent d’assurance de la compagnie Showa reçoit un appel d’une cliente qui projette de se suicider et qui aimerait savoir si sa police couvre ce cas de figure. Ne pouvant se résigner à la laisser commettre pareil acte, il décide de lui rendre visite…
Black House est un thriller assez inclassable qui montre une nouvelle corde à l’arc de Morita Yoshimitsu. Il adapte là un roman de Kishi Yusuke, maître de la littérature horrifique japonaise. On va suivre Masaaki (Uchino Seiyo), jeune agent d’assurance se morfondant dans les remous de son métier où il doit traquer les fraudes des assurés. Toute la première partie du film retrouve la veine de satire et de comédie noire de Morita dans Jeu de famille (1983), tirant en longueur les situations absurdes de cet environnement professionnel, tant au niveau des fraudeurs hauts en couleur que de l’aspect normé et déshumanisé de la vie de bureau.
Lorsqu’une cliente anonyme va l’appeler pour lui demander si le suicide est couvert par la police d’assurance, Masaaki va remonter le fil d’une enquête nébuleuse et faire face au mal absolu. Le film est inégal, un peu trop long et souvent déstabilisant dans ses ruptures de tons et une ambiance qui se fait progressivement plus oppressante. La personnalité timorée et anxieuse de Maasaki et la musique particulière qu’elle apporte à toute ces variations, notamment dans le montage (entre la torpeur du bureau et la frénésie de ses séances de natation) nous happent cependant peu à peu. Maasaki représente la face qui subit la norme et la pression de cette société contemporaine courant à la performance, tandis que la terrifiante psychopathe (Otake Shinobu) incarne le versant monstrueux, déshumanisé et violent qui a décidé de manifester cette cupidité de façon frontale.
La première partie un peu longuette caractérise Maasaki dans son monde tout en dessinant en creux le portrait-robot du meurtrier qui s’avérera une meurtrière et dont l’univers prend le dessus dans le fond et la forme durant la seconde partie. Là, c’est un pur climat de cauchemar et de démence qui nous prend au piège, porté par une performance proprement hallucinante d’Otake Shinobu. Elle manifeste par son regard dément, sa férocité et la raideur de ses traits quand elle commet l’innommable, toute la froideur de la sociopathe sans inhibitions. Morita définit par l’image cette société déshumanisée dans sa manière de capturer les environnements extérieurs tout en architecture industrielle brutaliste, où se ressent la désolation.
Il nous prend au piège ensuite avec cette plongée dans un esprit torturé, et orchestre quelques purs moments de cauchemar, notamment la scène où Maasaki s’introduit dans une maison après le passage sanglant de sa Némésis. Il y a un côté giallo revisité par le prisme esthétique des années 1990, des idées aussi originales que dévastatrices (dont un usage peu commun d’une boule de bowling) et un suspense qui va crescendo presque jusqu’à la dernière minute. On sent qu’un part de la fébrilité, de l’humanité de Maasaki s’est perdue en route et que pour survivre, il a endossé une part de la démence de son adversaire, une ambiguïté que soulève la dernière séquence. Malgré ses petites scories, une œuvre très singulière et marquante, surtout dans le paysage de l’horreur japonaise de l’époque.
Justin Kwedi
Black house de Morita Yoshimitsu. Japon. 1999. Projeté à la Maison de la Culture du Japon à Paris