VIDEO – The Bare-Footed Kid de Johnnie To

Posté le 24 août 2021 par

Des années avant la fondation du studio Milkyway Image en compagnie de son fidèle acolyte Wai Ka-fai, l’incontournable Johnnie To s’est illustré au service de la Shaw Brothers en 1993, avec The Bare-Footed Kid. Projet d’autant plus surprenant qu’il s’agit d’un film d’arts martiaux pur jus, univers peu exploré par le cinéaste hongkongais en comparaison de ses heroic bloodshed, néo-noirs et thrillers de gangsters pour lesquels il est aujourd’hui reconnu. Cette perle rare est proposée en combo DVD/Blu-Ray depuis juillet 2021 aux éditions Spectrum Films.

Un jeune homme sans argent arrive pieds nus dans une ville. Doué pour les arts martiaux, il souhaite sortir de sa condition à tout prix et rêve d’une paire de chaussons tout neufs.

Si Johnnie To débuta sa carrière de réalisateur à la télévision sur des longs-métrages ou des séries d’arts martiaux bons marchés dans les années 1980 (The Enigmatic Case (1980) avec Andrew Kam par exemple), c’est assez vite qu’il délaissa ce pan du cinéma de Hong Kong au profit de films d’action contemporains où fusent les balles et se nouent des amitiés viriles entre truands. Toutefois, il serait fort dommage de négliger The Bare-Footed Kid tant les metteurs en scène de l’ex-péninsule britannique ont à de maintes reprises démontré qu’œuvre de commande pour un gros studio n’est pas synonyme de film sans ambition, ni identité propre, compte tenu de la culture de l’auteur dans l’industrie locale.

Après le succès de The Heroic Trio (1993), Johnnie To s’empresse la même année de diriger le projet dont il est question : un film d’arts martiaux dans la grande tradition de ces derniers, comme il en sortait tellement à l’âge d’or de la Shaw Brothers des années 1970, mais qui s’inscrit dans la nouvelle vague de wuxiapian, kung-fu pian et pièces martiales des années 1990, façonnée entre autres par Il était une fois en Chine (1991) de Tsui Hark, Blade of Fury (1993) de Sammo Hung ou encore Iron Monkey (1993) de Yuen Woo-ping. Ces films témoignent d’un renouveau esthétique et narratif flagrant, aux combats tendant vers davantage de nervosité et à l’écriture se voulant plus fine, plus mature et moins manichéenne. Si la volonté de Johnnie To était de revisiter les classiques du genre, et de réaliser un film hybride qui dès sa sortie s’avère dépassé, The Bare-Footed Kid est une totale réussite. Et ce n’est pas un défaut.

En tant que reprise du Disciples of Shaolin (1977) de Chang Cheh, The Bare Footed-Kid, parfois intitulé Le Vagabond dans nos contrées, témoigne effectivement d’une époque révolue du film d’arts martiaux, et il ne s’en cache pas. Dès l’introduction, le décor est posé. Nous suivons un jeune orphelin combattant prometteur mais illettré qu’interprète Aaron Kwok, acteur et chanteur de cantopop de renom que l’on retrouvera tout aussi souple et aguerri onze ans plus tard dans le Judo (2004) de Johnnie To. Arrivé du continent, il se retrouve dans une petite ville du sud aux mains des malandrins et des personnes de pouvoir peu scrupuleuses, où malgré l’arrivée d’un nouveau magistrat, la guerre fait rage entre deux maisons de teinture, l’une contrôlée par les méchants, l’autre par la jeune et déjà pétillante Maggie Cheung, révélée quelques années plus tôt dans Police Story (1985). L’originalité du héros, qui porte en lui une décennie de kung-fu comedy, est sa candeur et sa niaiserie à toute épreuve, bien loin des figures tragiques de Chang Cheh et en général du vagabond redresseur de tort. Quand tous les voyageurs itinérants ne cherchent qu’à participer au tournoi de la bourgade, lui ne désire que travailler avec sa nouvelle famille de la maison de teinture et celui qui deviendra son père spirituel, incarné par Ti Lung.

Une telle caractérisation implique un humour à doser, qui passe par les situations compromettantes dans lesquelles le héros s’embourbe et dont il ne se rend visiblement pas compte (donnant lieu à des scènes hilarantes comme lorsqu’il part récupérer un contrat fait par chantage chez l’ennemi, volant au passage de manière purement gratuite le bail de leur maison de teinture sans réaliser les lourdes représailles qui l’attendent). En ce sens, The Bare-Footed Kid est un film léger au pastiche certain, proche d’un Liu Chia-liang dans l’esprit dramatique, mais qui révèle tout de même un récit initiatique sur la perte de l’innocence et une romance bien menée. L’autre bonne idée du scénario de Yau Nai-hoi repose sur la contextualisation de l’intrigue dans un village aux accents de jiang hu (société médiévale parallèle), dont les rôles sont autrement très codifiés, et où le travail de teinture est ici essentiel à l’économie locale. Ce choix permet au spectateur de contempler la beauté de cet artisanat millénaire ainsi que les couleurs éclatantes des costumes de la culture du Guangdong.

Là où The Bare-Footed Kid a cependant tendance à suivre le style de ses pairs, c’est bien sur l’action. Nul autre que le légendaire Liu Chia-liang est en charge des chorégraphies, atout considérable pour un film qui au final ne comporte pas tant de combats qu’il n’y a de scènes de vie. Usant d’un montage vif, d’angles larges et de vitesses accélérées, Johnnie To met en scène le talent martial des personnages avec beaucoup de générosité, et de stylisation, sans que la narration n’ait besoin d’un antagoniste puissant auquel se mesurer. Les affrontements sont éclairs mais gourmands, en partie grâce aux déplacements brusques des acteurs et à la caméra qui choisit d’en restituer la rapidité, tout en ponctuant l’ensemble de bruitages wewungwung (terme popularisé par And I Hate You So (2000, Kenneth Yee) et qui se rapporte au mixage en post-production des bruits d’épées, coups dans le vide, pas sur la terre en accord avec la bande son). Sans décoller la rétine, et sans affirmer son style au grand regret des plus férus du cinéaste, Johnnie To livre tout de même avec enthousiasme ce que l’on attend d’un tel film au crépuscule d’un genre qui ne cesse de renaître sous diverses formes à Hong Kong,

Bonus

Présentation par Arnaud Lanuque : remise en contexte de cette production d’arts martiaux tardive estampillée Shaw Brothers. L’auteur de l’ouvrage Police vs Syndicats du crime (aux éditions Gope) nous aiguille sur le film originel de Chang Cheh, sur l’enjeu d’un tel projet avec de tels comédiens, et sur, par exemple, la critique du matérialisme et de l’ascension économique de Hong Kong que dissimulerait The Bared-Footed Kid.

Conversation avec Yannick Dahan : le journaliste de l’émission Capture Mag raconte sa vision du cinéma de Hong Kong, son parcours de cinéphile dans cette région du monde, et distille des anecdotes et impressions relatives à Johnnie To autant qu’à l’industrie hongkongaise avec une passion contagieuse. Un entretien décomplexé, spontané et appréciable après le visionnage du film.

Essai Vidéo – Transformation formelles au crépuscule d’un genre : analyse pertinente de The Barred-Footed Kid et de son inscription peu conventionnelle dans le paysage du film d’arts martiaux de Hong Kong. Approche plastique des valeurs de plan, des différents types de montage qui existent pour découper l’action, et retour sur certaines scènes afin d’illustrer les concepts mentionnés.

Richard Guerry.

The Bare-Footed Kid de Johnnie To. Hong Kong. 1993. Disponible en combo DVD/Blu-Ray en juillet 2021 aux éditions Spectrum Films.

Imprimer


Laissez un commentaire


*