Le coffret Mike De Leon en 8 Films de Carlotta Films est aussi l’occasion, à travers ses nombreux bonus, de découvrir plus en détails la carrière du réalisateur mais aussi la cinématographie de son pays d’origine. Court-métrages, documentaires, clips politiques, making-of mais aussi long-métrage de patrimoine, voici ce que réserve le coffret en plus l’impressionnante filmographie du cinéaste philippin.
Portrait de l’artiste en Philippin réalisé par Lamberto V. Avellana et sorti en 1965.
Portrait de l’artiste philippin réalisé par Lamberto V. Avellana et produit par Manuel de Leon, père de Mike De Leon, est proposé en bonus dans son intégralité et pour la première fois en France. Sorti en 1965 en plein déclin des studios philippins, il est la trace mélancolique de cette période l’étant tout autant. Son implémentation dans le coffret est d’autant plus intéressante que le film de Lamberto V. Avellana partage beaucoup avec la filmographie de Mike De Leon, en plus du lien de parenté évident avec le film (le cinéaste ayant même co-financé la restauration). Cela permet dans le même temps d’entrevoir, sous un angle inédit, tout un pan du cinéma philippin.
Deux sœurs, Candida et Paula, vivent avec leur père, un grand peintre dont la carrière est à l’arrêt depuis un certain temps. Sa dernière œuvre, une peinture qu’il a offerte à ses deux filles, attire de nombreux curieux souhaitant se la procurer. Pourtant, alors même qu’elles se retrouvent en grande difficulté financièrement, les deux sœurs refusent catégoriquement de la céder.
Adaptation de la célèbre pièce éponyme, le film fait preuve lui aussi d’une grande théâtralité. Loin d’être du simple théâtre filmé, Portrait de l’artiste philippin porte tout de même les stigmates d’un cinéma tentant de rendre cinématographique le théâtral sans pour autant parvenir (ou même chercher) à s’en débarrasser. Ainsi, alors qu’il sort en pleine période de changements profonds du paysage cinématographique philippin, le film fait preuve d’un classicisme extrême, étant aussi bien la marque d’une époque révolue que l’empreinte d’une virtuosité visuelle étouffante. Son aspect classique n’est ni bon ni mauvais en soit, mais il sera sans hésiter rédhibitoire ou charmant selon les affinités. Sa particularité étant avant tout un certain spleen contaminant le récit jusqu’à l’image elle-même, faisant du film un vestige d’une époque qui, à sa sortie en salles, s’effondrait déjà.
Ce qui n’est pas sans rapport avec le nœud même du récit : tous les personnages sont plus ou moins vieillissants, chacun agonisant à leur échelle, dans un Manille désert en 1941, regardant de loin et avec détachement le conflit mondial qui s’orchestre alors en Europe, conflit qui finira par s’étendre un peu plus tard jusqu’aux Philippines, notamment à travers l’occupation japonaise. De fait, Lamberto V. Avellana arrive à capter cela avec une certaine poigne et une cohérence qui forcent le respect. Chaque élément de son film arrive à fonctionner indépendamment tout en trouvant une nouvelle force en résonnant avec le reste du récit. Le drame des deux sœurs et de leur père, cette maison imposante et mourante, ces personnages errants qui vont et viennent au rythme des images, tout ceci converge vers une poétique décrépitude déjà nostalgique. C’est en ce sens que l’aspect très classique du métrage ne pouvait être autrement, puisque le cinéaste travaille avant tout avec une certaine mélancolie qui ronge le film petit à petit. Nostalgie qui, en fin de film, semble s’évaporer pour les personnages alors même que son spectre se fait de plus en plus menaçant pour le spectateur.
Portrait de l’artiste philippin se révèle donc aussi beau que pâle. Son noir et blanc léché, ses acteurs aux performances théâtrales très convaincantes et son décor entre la ruine artificielle et la capsule temporelle en font une œuvre testimoniale tout à fait particulière. Dans le cadre du visionnage du coffret, il est intéressant de se demander à quel point ce film a-t-il pu avoir une empreinte sur la carrière de Mike De Leon, puisqu’on y retrouve déjà bon nombre d’éléments communs au cinéaste (dans certains motifs picturaux du film tout comme dans le choix de certains acteurs, tel que Vic Silayan qui ici joue Bitoy, proche de la famille aussi bien gentil et naïf qu’ambitieux et qui chez Mike De Leon jouera la terrifiante figure paternelle de Kisapmata). Il est aussi intéressant à mettre en perspective avec la brève introduction de Charles Tesson au cinéma philippin dans le livret accompagnant le coffret. Mais en tant que tel, par son classicisme extrême accompagné d’un rythme très lent, sa théâtralité maniérée et son aspect très proche de l’artifice, il plaira surtout aux adeptes de ce cinéma-là et aux curieux.
Signos réalisé par Mike De Leon et sorti en 1983 :
À travers ce court-métrage documentaire de 40 minutes, Mike De Leon réagit à l’assassinat politique de Benigno Aquino Jr., opposant au dictateur Ferdinand Marcos. Malgré sa plutôt longue durée, le dispositif de ce court-métrage reste très rance et revêt alors un intérêt principalement historique (on alterne entre diverses interviews de Philippins dénonçant la politique autoritaire de Marcos et une voix-off lisant un texte de Brecht). Cela reste captivant de voir en chair et en os les acteurs de cette époque s’exprimer sur le climat politique tendu du pays, tout comme de voir l’urgence à s’exprimer librement qui habitent ces mêmes personnes, qu’ils soient journalistes, avocats, ou bien encore ouvriers. Il s’agit donc là d’une archive précieuse mise à disposition, autant pour la préservation de la mémoire des événements terribles de la dictatures de Ferdinand Marcos que pour la compréhension de la filmographie de Mike De Leon qui questionne beaucoup cette mémoire et la propension du contemporain à la mettre de côté (particulièrement dans Héros du tiers-monde et Citizen Jake).
Aliwan Paradise réalisé par Mike De Leon et sorti en 1992 :
Tiré du film collectif Southern Winds, ce segment de Mike De Leon est une dystopie absurde dans laquelle le divertissement a supplanté tout le reste, au point d’avoir un ministère entièrement dédié à lui et semblant plus puissant que le dictateur Ferdinand Marcos (qui est un personnage du film). À travers cette comédie cynique, le cinéaste propose un nouveau point de vue sur son rapport au cinéma populaire : il y condamne cette fois-ci ouvertement le divertissement avilissant. Dans ce court presque debordien, il met en scène la prise du divertissement sur tout ce qu’il touche et l’impossibilité de le dynamiter de l’intérieur. Si le discours se révèle prenant, l’exécution est assez maladroite et oscille entre une absurdité radicale et une naïveté totale.
Kangkungan réalisé par Mike De Leon et sorti en 2019 :
Ce petit clip politique de 5 minutes est sorti à l’occasion des élections en 2019 et est à charge contre le président Rodrigo Duterte. Il s’agit d’un impressionnant exercice de style pour Mike De Leon qui, au-delà du discours militant très prononcé, propose une lecture politique de son pays mise en parallèle à sa filmographie. Il ne s’agit pas tant pour le cinéaste d’éclairer sa propre filmographie passée au regard d’événements contemporains, que d’éclairer la situation politique contemporaine des Philippines en tentant de réactiver une certaine mémoire historique à travers une trace de cette histoire présente dans ses propres films. Puisqu’une majorité de sa filmographie est sortie pendant la dictature de Marcos et qu’il établit, à travers ce clip, un lien politique et idéologique très clair entre le dictateur et Rodrigo Duterte. On ne peut qu’apprécier ce très court clip étant à la fois d’une efficacité militante radicale et d’une grande richesse esthétique.
Never Again réalisé par Mike De Leon et sorti en 2022 :
Il s’agit ici d’un nouveau clip politique de 2 minutes qui cette fois-ci ne s’attaque pas à Duterte mais plus directement à la famille du dictateur Marcos se rapprochant alors dangereusement du pouvoir (et qui finira par l’obtenir la même année). La forme est cependant bien moins élaborée et recherchée : l’on est plus proche, dans la forme, du vidéo-reportage web que du véritable court-métrage. Le document reste tout de même intéressant pour le témoignage qu’il porte sur la situation politique de son pays.
Livret accompagnant le coffret et rédigé par Charles Tesson :
Ce petit livret est un accompagnateur précieux à la filmographie du cinéaste. L’universitaire et critique Charles Tesson nous apporte un contexte rare sur le cinéma philippin, le réalisateur et la place qu’il tient dans le paysage cinématographique national, tout comme il rédige un court texte pour chaque long-métrage permettant d’en compléter le visionnage. De nombreuses images de tournages et des films accompagnent le texte. Si l’ouvrage n’est qu’une mise en bouche de par son aspect ultra-synthétique, il reste une bonne ouverture à la filmographie du cinéaste tout comme un point d’entrée très accessible au cinéma philippin.
Thibaut Das Neves
Portrait de l’artiste philippin de Lamberto V. Avellana. Philippines. 1965. Et autres bonus disponibles dans le coffret Blu-Ray Mike De Leon en 8 films – Portrait d’un cinéaste philippin le 21/03/2023 chez Carlotta Films.