VIDEO – Seven Swords de Tsui Hark

Posté le 10 mai 2023 par

L’édition de Seven Swords de Tsui Hark chez Spectrum Films était attendue au tournant. Aujourd’hui, effectuons un retour sur ce film de 2005, sorti dans un moment charnière de l’histoire du cinéma hongkongais, et qui a connu une post-production difficile.

À l’orée du règne de la dynastie Qinq, un édit impérial interdit la pratique des arts martiaux. Démunie, la population est à la merci des criminels les plus sauvages. Une troupe de mercenaires à la solde des Qing fait subir la terreur aux population de la montagne Tian. Pour protéger un village reculé, une équipe de sept guerriers s’unit afin de défaire le commandant ennemi.

Longtemps, la director’s cut de Seven Swords s’est faite désirée. On parle d’un montage de plus de 4h, voire au-delà. Malheureusement, la version commune de 2h30 semble désormais définitive. C’est cet aspect de la production, cet impossible dé-rushage de la part du réalisateur, qui témoigne de la faiblesse de Seven Swords. Tsui Hark a en effet tourné de très nombreuses scènes au Xinjiang, qui ne figurent pas dans le montage final. Selon ses dires, il s’est imposé un changement de cap et une session de coupes dans les rushs car le métrage était trop long. Il a par ailleurs fait appel à Lau Kar-leung pour obtenir des scènes martiales crédibles en un temps soit peu réaliste, à l’image du chorégraphe et metteur en scène culte que fut Lau pour la Shaw Brothers. Mais le film abandonne vite cette intention pour offrir du Tsui Hark baroque tel que nous le connaissons.

Tsui Hark est connu pour son entêtement, notamment lorsqu’il fut producteur pour sa compagnie la Film Workshop. On dit même que tous les films qu’il y a produit sont en réalité co-réalisés de sa main. Sur Seven Swords, à la vue de ses commentaires et en voyant le résultat final, on sent la patte d’un réalisateur inventif qui s’est laissé déborder par son ambition (l’adaptation d’un roman épique de Liang Yusheng, dans la majesté des décors désertiques du Xinjiang, et doublé d’un hommage conceptuel à Kurosawa Akira). Il en résulte un produit fini qui semble voué à rester éternellement incomplet, tant du niveau du scénario que du rythme de la narration. Certain diront que c’est la spécificité du film et ce qui le rend passionnant, d’autres que sa forme finale reste frustrante.

Seven Swords en avait en effet sous le pied. L’introduction du film et ses bandits aux allures de barbares simili-gothiques offrent un spectacle vraiment éblouissant. Les décors du Xinjiang, de jour ou de nuit, dans le désert, les bois ou la glace, forment un univers hors du monde, une idée conforme aux préceptes du Jiang Hu, le monde des chevaliers errants du wu xia pian, modernisé de surcroît. Mais le film se perd vite dans ce flot narratif, où Tsui Hark semble avoir eu du mal à choisir quelle scène conserver parmi ses très nombreux rushs, puisqu’il a essayé de tourner un maximum de scènes du scénario. Ce qui était possible dans les petites productions hongkongaises des années 70 à 90, réajuster au jour le jour, l’est moins à travers la logistique lourde des coproductions chinoises en décors naturels. L’intrigue devient un long couloir escarpé, avec de nombreux personnages, et les maintes  coupes qui marquent le montage du film rendent impossible la fluidité de la narration, la bonne qualité de l’apparition ou l’intervention de la plupart des protagonistes. Il demeura toutefois cette direction artistique de haute volée, où Tsui Hark ne semble pas avoir oublié les qualités esthétiques de The Blade, le portrait d’un moyen-âge chinois rugueux, malgré l’échec commercial qu’il fut en 1995.

Difficile en fin de compte de reprocher complètement à Tsui Hark d’avoir réalisé de cette manière Seven Swords. L’histoire du film, qui est aussi celle d’un cinéaste toujours (trop) inspiré et productif, est aussi passionnante que l’idée du film lui-même. Le cinéma est aussi cela, ces coups d’essai, cette gestion de projets pharaoniques… À cet égard, Tsui Hark est un cinéaste tout à fait unique, qui relève moins d’une obsession à la Michael Cimino façon La Porte du paradis que la mentalité d’un adolescent passionné qui sait se faire plaisir, y compris à travers un grand budget. Seven Swords ne remplit pas complètement ces promesses, mais à replacer dans la filmographie de son réalisateur, il s’analyse de manière logique. Aussi brouillon soit-il, le film peut-être également vu comme une ébauche du cinéma que Tsui Hark réalisera en Chine continentale, notamment pour le meilleur, avec la trilogie Detective Dee et le diptyque Journey to the West en collaboration avec Stephen Chow. Reste que si Tsui Hark avait autant de matériel à disposition, il est étrange qu’il n’ait pas songé, au lieu de couper dans la pellicule, à proposer un film en deux ou trois volets. Cela aurait permit de rendre sa fluidité à l’intrigue.

Bonus de l’édition Spectrum Films

Présentation du film par Arnaud Lanuque (17min). Dans ce module habituel des films hongkongais de Spectrum Films, Arnaud Lanuque revient tout à la fois sur le contexte de la production, le matériau d’origine (un roman wu xia), la carrière de certains acteurs, la composition de la musique… Arnaud Lanuque explique en quoi Seven Swords a failli être un moment charnier dans le cinéma hongkongais, puisqu’il bénéficiait de deux modèles de production avantageux, la coproduction avec la Chine lui permettant aisément de toucher le marché chinois, et la coproduction avec un autre pays asiatique, en l’occurrence la Corée du Sud. Malheureusement, ce modèle a très vite périclité et les instances du cinéma chinois ont fini par absorber le modèle hongkongais en leur sein. Arnand Lanuque explique également où se situe Seven Swords dans la filmographie de Tsui Hark, 3e tentative de wu xia depuis les années 1990, qui survient après 2 échecs au box office (The Blade et La Légende de Zu), dans quelle mesure il rend hommage à Kurosawa Akira et quelle était l’intention en embauchant Lau Kar-leung comme directeur des combats, connu pour son réalisme, à l’antithèse du cinéma de Tsui Hark. Enfin, Arnand Lanuque décrit la carrière qui s’offrit en Chine dès lors au compositeur de la bande originale, le japonais Kawai Kenji.

Commentaire audio de Tsui Hark et Bey Logan. Ce commentaire audio, réalisé vers la fin des années 2000, est un riche échange entre le réalisateur et son ami producteur basé à Hong Kong. Les relances de l’un et l’autre permet de faire émerger de nombreuses anecdotes sur les images du film, à commencer par l’intervention tonitruante du personnage de la tueuse campée par Chan Gai Gai, qui a marqué les spectateurs selon les deux intervenants. Une vue sur les décors du Xinjiang est l’occasion pour Logan de demander si le western était une influence pour lui et à lui de répondre qu’il fait beaucoup de mise en scène en inconscience de certaines choses. Le long de la discussion, Bey Logan a de quoi faire jalouser les spectateurs, car il indique à plusieurs reprises qu’il a eu a chance d’assister à un montage de travail de 4h30, où dans laquelle, pourtant, il manque des scènes dans la version que nous voyons… L’entreprise était visiblement pharaonique pour le cinéaste, qui disposait de scènes et de rushs innombrables, bien que trop difficiles à reconstituer à présent. Bey Logan rajoute tout de même que la version de travail qu’il a vue n’était selon lui qu’une matière dans laquelle tailler pour obtenir le film définitif.

Commentaire audio de Tsui Hark et Cheung Chi-sing, co-scénariste et producteur. A la différence du précédent commentaire audio, tourné en cantonais au lieu de l’anglais, Tsui Hark mène l’entretien et les deux collaborateurs se remémorent précisément et distinctement les choix de production et de mise en scène à chaque moment de l’intrigue. Par exemple, Tsui Hark, lors de l’une des premières scènes de massacre, indique que les effusions de sang ont été minimisées pour obtenir un rendu graphique plus tranché, sans rouge. En fin de compte, les deux commentaires sont complémentaires à leur manière, vivants et intéressants pour saisir l’atmosphère si particulière de cette période du cinéma hongkongais, à l’heure des coproductions asiatiques.

Interview de Tsui Hark par Arnaud Lanuque (2022, 56min). Tsui Hark se livre rétrospectivement sur le film et ses influences en matière de wu xia. Il évoque les trois écrivains populaires de Hong Kong que furent Jin Yong, Gu Long et Liang Yusheng et à quel point ils ont influencé l’imaginaire hongkongais et ainsi le cinéma de l’ex-colonie britannique. Il revient aussi sur ses trois mentors dans le cinéma, à savoir Chang Cheh, King Hu et Lau Kar-leung, tout en expliquant en quoi sa vision du cinéma s’éloigne des leurs, passée une étape de leur carrière. Il répond aux questions autour du chaos de la préparation de la série TV Seven Swords qui n’existe finalement pas. Enfin, il intervient à propos des grands composantes de Seven Swords version finale, les coupes qu’il a dû réaliser de sa propre initiative, l’évocation du sexe et de l’amour de la nature, des sujets d’ordinaire presque inédits chez lui, sa façon de vouloir composer le rythme du film à travers le portrait d’une trop nombreuse galerie de personnages… Une heure passionnante (et récente !) en compagnie de Tsui Hark.

Une deuxième interview de Tsui Hark (31 min) qui est un assemblage de deux interviews. La seconde partie, réalisée pour l’édition DVD de Pathé Vidéo dans les années 2000, est plus intéressante, avec notamment Tsui Hark qui narre l’avènement de la littérature wu xia à Hong Hong dans les années 1950, comment le genre est né et comme ce journaliste que fut Liang Yusheng pu accéder à une telle renommée.

Une troisième interview de Tsui Hark, d’époque également (45min) où Tsui Hark apporte une fois encore avec d’autres informations sur la genèse de Seven Swords. Il évoque notamment son amitié avec Cheung Chi-sing, qui a l’origine voulait adapter le roman de Liang Yusheng avec que le projet n’arrive dans les mains de Tsui Hark. A noter que ce module vidéo est en anglais non sous-titré.

Interview d’époque de Donnie Yen (25min). Sur l’habituel séquence promotionnelle liée à la sortie d’un film, Donnie Yen, en tant qu’acteur de premier plan, est invité à donner ses impressions sur le film. Il indique par exemple qu’il a tenu à ne pas lire les romans de Liang Yusheng pour ressentir le tournage comme une fraîcheur, et pense que Tsui Hark a beaucoup infusé de sa propre personnalité dans le personnage que Donnie Yen incarne, et qui correspond aussi, étonnamment, à sa personnalité.

Interview d’époque de Zhang Jingchu (17min). La nouvelle venue d’alors dans le cinéma du monde chinois nous raconte son parcours de jeunesse, du Fujian à Pékin, et comment elle a vécu le tournage dans les plateaux du Xinjiang, où l’oxygène manquait.

Interview d’époque de Duncan Lai (25min). Dans le même ordre d’idée que Zhang Jingchu, l’acteur Duncan Lai nous éclaire sur ce que c’est que d’accéder au rang de star dans le cinéma sino-hongkongais. Révélé à 14 ans dans un biopic de Bruce Lee, c’est le métier qui l’a choisi. S’en est suivie une carrière dans le mannequinat. Déjà formé aux arts martiaux pour ce précédent film, il nous parle de son stage d’entraînement avec Lau Kar-leung pour préparer Seven Swords, images d’archives à l’appui.

Seven Swords vu par Yannick Dahan (33min). Avec son franc-parler habituel, Yannick Dahan montre toute sa passion pour le cinéma de Tsui Hark et rappelle l’aspect work in progress du film, en expérimentation constante mais avec des soucis réels de montage qui empêche une lisibilité claire du scénario.

Essai d’Alex Rallo (12min). Via ce court essai, Alex Rallo remonte aux diverses origines du wu xia moderne et explique la singularité de Seven Swords, dans l’œuvre de Tsui Hark et dans l’historique du wu xia pian.

Scènes coupées commentées par Tsui Hark (23min). Le commentaire de Tsui Hark (enregistré expressément pour cette édition) est intéressant, autant pour sa vue générale sur le film que pour le wu xia. En revanche, ce module ne peut pas remplacer l’intégralité de ce qu’il manque du montage de 4h pour combler les fans de Tsui Hark.

Le traditionnel module promotionnel d’époque (24min) permet, en bon making-of, de voir les coulisses du tournage, les croquis réalisés en préproduction et l’équipe du film dans les décors magnifiques du Xinjiang.

Seven Swords – Prélude (livret) : ce bonus pourrait être l’une des meilleures surprises de l’édition pour peu que l’on soit sensible à l’art dessiné. Ce livret comprend une série de sept chapitres qui introduisent chacun brièvement les sept épéistes du film. Plus qu’une vraie intrigue (trop bref pour cela), chaque morceau, dessiné par un illustrateur différent, est l’occasion d’un déluge graphique en couleurs. Ajouté à cela, la galerie de croquis en fin de livre, l’objet devient un magnifique petit artbook.

Le livre Wu Xia Pian par Stephen Teo fera l’objet d’une critique ultérieure.

Maxime Bauer.

Seven Swords de Tsui Hark. Hong Kong-Chine-Corée du Sud. 2005. Disponible en coffre Blu-ray collector chez Spectrum Films en février 2023.