Tantôt écrivain à succès, tantôt producteur de Shinkai Makoto et Hosoda Mamoru, ou encore musicien, Kawamura Genki a toutes les casquettes pour nous plaire. Cette fois, il passe derrière la caméra pour notre plus grand plaisir, et porte à l’écran son propre roman N’oublie pas les fleurs, ce qui a piqué notre curiosité. Une sortie salles signée Eurozoom.
Lors du réveillon du Nouvel An, Izumi retrouve sa mère Yuriko errant dans un parc par un froid glacial. Quelques mois plus tard, elle est diagnostiquée comme souffrant d’Alzheimer et sa mémoire décline rapidement. Pour son fils, les souvenirs de la mère qui l’a élevé seule sont toujours aussi vivaces. L’un d’eux en particulier, lorsqu’il croyait qu’elle avait disparu, le hante terriblement. Alors que Yuriko sombre lentement dans l’oubli, Izumi doit accepter de perdre à nouveau sa mère, cette fois pour toujours. En prenant soin de sa mère – au moment où lui-même s’apprête à devenir père – Izumi tente de comprendre ce qui l’a éloigné d’elle et s’interroge sur le sens de leur relation, pour retrouver l’essentiel de ce qui leur reste.
Prendre comme sujet une personne atteinte d’Alzheimer n’est pas une surprise de la part de Kawamura Genki. La question des souvenirs et de la mémoire est un thème central et récurrent aussi bien dans les œuvres qu’il a écrites comme Et si les chats disparaissaient du monde… que celles qu’il a produites, dont l’exemple le plus frappant est bien entendu Your Name. Dans son film, qui adapte son roman, il attaque frontalement ce sujet par l’angle de la perte progressive de la mémoire. Pour ce faire, le réalisateur utilise deux procédés plutôt judicieux, le premier étant de briser la narration linéaire pour se rapprocher de la nature fluviale et morcelée même des souvenirs. Nous passons alors naturellement de fragments en fragments pour essayer de cerner le personnage de Yuriko, sa vie, et notamment la nature de sa relation avec son fils Izumi. Quelque chose a été brisé entre eux, seul le parcours mémoriel permettra d’y trouver un remède, un pardon, et une réconciliation.
Le deuxième procédé mis en avant est le fait de filmer chaque scène du film en un unique plan-séquence, ce qui vient prendre en quelque sorte le contre-pied de cette première logique de fragmentation. Il nous fait donc épouser plus proprement et complètement les moments présents comme les moments de souvenirs. Alors que l’on pourrait voir ces procédés comme un peu contradictoires, ceux-ci s’accordent parfaitement entre eux, faisant de chaque scène présente ou souvenue, un moment de vie complet et cristallisé qui est/deviendra un souvenir singulier. Le plan-séquence permet de sanctuariser et d’immortaliser ces fragments de vie, que l’on pourrait presque ranger sur une étagère, les uns après les autres. Chacune de ces scènes bénéficie en plus d’un soin tout particulier apporté à la photographie et à la composition des plans. Le grain et la douceur des couleurs tamisées de l’image sont dignes d’un album de photo-souvenirs.
Alors certes, dans ses thématiques comme dans ce qu’il a à raconter, N’oublie pas les fleurs semble de prime abord convenu et déjà-vu, voire un peu trop léger et fleur bleue. Pourtant, c’est bien dans sa simplicité que son dispositif en devient plus efficace et arrive à nous toucher droit au cœur, à nous arracher des larmes. Une émotion d’autant plus palpable que les acteurs jouent tous parfaitement bien, et on est très vite pris d’empathie pour ces personnages qu’ils incarnent, Yuriko en particulier. Le sujet est simple, bien que dur, et ils l’incarnent avec brio, ce qui leur permet de toucher à ce qui nous est universel : la fracture familiale et des souvenirs qui nous hantent, en bien comme en mal. Il revient avec justesse sur la façon dont la mémoire façonne nos identités individuelles dans nos chairs avec des souvenirs qui nous accompagneront jusqu’au dernier souffle. En témoigne une des dernières belles scènes du film, où la mère complètement ravagée par la maladie et l’oubli, sourit une dernière fois en voyant des « demi feux d’artifices » (Habun hanabi en japonais ) qu’elle a tant aimés autrefois.
Kawamura Genki revient sur des sujets connus, et amplement arpentés par le cinéma, mais il le fait avec une belle maîtrise technique et thématique. Nous sommes émotionnellement happés par son long-métrage. Comme quoi, peu importe la casquette qu’il revêt, toutes lui siéent.
Rohan Geslouin.
N’oublie pas les fleurs de Kawamura Genki. Japon. 2023. En salles le 01/03/2023.