Sortie en catimini sur la plate-forme Disney + en décembre, la dernière production des studios Science Saru, fondés Yuasa Masaaki, mérite pourtant que l’on s’y attarde. Si le réalisateur de Inu-Oh n’est plus aux commandes comme ce fut le cas pour The Tatami Galaxy, ce n’est pas pour autant un signe d’absence de qualités. Bien au contraire, il s’agit ici d’une excellente surprise.
Avant de s’attarder plus en détails sur cette mini-série (6 épisodes), il est important de préciser qu’il ne s’agit pas stricto sensu d’une suite à la série The Tatami Galaxy sortie en 2010, mais plutôt d’une histoire indépendante, récit qui emprunterait les personnages originaux, mais en leur offrant une histoire originale, un loner, comme on dit, qui pourra se regarder sans forcément avoir vu The Tatami Galaxy. Un petit récapitulatif s’impose, cependant.
Dans Tatami Time Machine Blues, nous retrouvons notre héros (son nom est Watashi, ce qui signifie tout simplement « je »), étudiant habitant dans une résidence à Kyoto, entouré d’une troupe de personnages aussi attachants que parfaitement siphonnés, avec en tête Ozu, véritable fauteur de trouble mais chose étrange, seul ami de Watashi. Alors que Watashi désespère devant son manque de courage pour rencarder la jeune et pétillante Akashi, le destin va s’en mêler et nos amis vont découvrir que dans leur résidence est cachée une machine à voyager dans le temps. Ça tombe bien, au détour d’un énième délire trop animé, la télécommande de la clim a rendu l’âme, victime d’une exposition prolongée au Coca Cola. Et nos amis d’envisager la pire des solutions : voyager dans le temps pour récupérer une télécommande.
Il serait trop simple de penser que vu le sujet, et son très haut potentiel en folie, l’absence de Yuasa Masaaki et sa folle imagination se ferait rapidement sentir. Soyons rassurés, il n’en est rien. En effet, si l’idée de départ (voyager dans le temps pour littéralement accomplir un acte insignifiant et stupide) est déjà bien barrée, le scénario va mettre un point d’honneur à explorer tous les ressorts possibles et inimaginables que le concept peut offrir, paradoxes temporels et risque de rencontre du « soi il y a 2h » en tête. Mais pour pimenter la chose, ces évènements vont être orchestrés, et subis surtout, par une bande de parfait guignols irresponsables, capables de voyager dans le temps pour refaire à 2h près les mêmes imbécilités.
Non seulement le script arrive de manière ludique et jubilatoire à enchaîner les pires situations inhérentes au concept de voyage dans le temps, sans jamais s’arrêter et en jouant la surenchère au fil des épisodes (l’arrivée d’un voyageur temporel vient en plus compliquer l’affaire), mais la série est aussi très drôle, à force de toujours pousser le curseur de la bêtise sans limite de ses protagonistes. Si dans The Tatami Galaxy certains personnages pouvaient paraître un peu en retrait ou moins aimables, ici il s’opère un heureux basculement. Tous sont dépeints comme des gamins trop contents d’avoir mis la main sur un Graal de divertissement, une source inépuisable d’aventures reproduisibles à l’infini. A plusieurs reprises, on pensera au film Beyond the Infinite Two Minutes, petit bijou de film fantastique. Il mettait en scène un voyage temporel d’une bande de pieds nickelés qui ne tardait d’ailleurs pas à voir les possibilités les plus loufoques que leur offrait leur découverte. Il se passe grosso modo la même chose ici, avec les héros qui, bien évidemment, ne vont pas réussir à se limiter à « récupérer une télécommande », et vont tester les possibilités de la machine sans aucune retenue. L’intrigue part dans tous les sens sans freins, sans temps mort, ce qui est plutôt appréciable et les 5 épisodes s’enchaînent sans ennui et avec beaucoup de rires (l’origine de la statue symbole de l’université est un grand moment de comédie fantastique). On ne comptera pas le dernier épisode (qui fait office de 1er, comprenne qui verra) qui, dans sa construction et sa mise en scène, dresse un pont assez malin et touchant avec la série The Tatami Galaxy, première du nom, et son héros qui cherche un club étudiant pour s’épanouir, mais évidemment, rien ne va se passer comme il faut.
En résumé, Tatami Time Machine Blues est une très bonne surprise, cachée au fond du catalogue Disney +, mais qui mérite que l’on s’y intéresse. C’est court, c’est beaucoup plus malin et réfléchi que ça en a l’air, souvent hilarant, et même touchant (le voyageur temporel n’est pas là par hasard, et son dernier échange avec le héros est d’une tendresse qui détonne avec le reste). A voir très rapidement, donc.
Romain Leclercq.
Tatami Time Machine Blues de Shingo Natsume. 2022. Japon. Disponible sur Disney +