INEDIT – Cliff Walkers de Zhang Yimou

Posté le 17 décembre 2022 par

Désormais trop absent du territoire français, un petit détour par les salles espagnoles nous a permis de découvrir l’un des derniers films de Zhang Yimou. Au début des années 2000, il réalisait pourtant dans l’Hexagone pas moins de 700 000 entrées avec Hero et 450 000 avec Le Secret des poignards volants. L’occasion de vous donner quelques nouvelles de ce grand cinéaste chinois. Qu’est-il advenu du cinéma de Zhang Yimou qui vient de souffler cette année sa 72e bougie ?

Loin des films d’époque médiévale qui ont fait sa renommée, Zhang Yimou s’adonne avec Cliff Walkers au film d’espionnage. Dans l’État fantoche du Mandchoukouo dans les années 1930, quatre agents spéciaux du parti communiste retournent en Chine après avoir été formés en Union soviétique. Ensemble, ils se lancent dans une mission secrète dont le nom de code est « Utrennya ». Après avoir été vendue par un traître, l’équipe se retrouve entourée de menaces de toutes parts. 

Cliff Walkers s’ouvre sur quatre parachutes blancs se déployant comme des pétales de fleurs au-dessus d’une forêt enneigée. De quoi nous signaler en un seul plan que Zhang Yimou n’a rien perdu de son sens de l’esthétique. Un sens de l’esthétique qui, comme à chaque fois, se fonde sur une grande maîtrise de la colorimétrie. Ici, le travail des rouges d’Epouses et concubines laisse place au mariage à trois entre le noir, le blanc et le bleu clair. Un jeu sur les couleurs qui repose en partie sur un marquage appuyé sur les contrastes : les espions revêtus de jais avec la neige qu’ils piétinent, les néons qui sabrent la nuit, ou encore la chaleur jaunâtre des lieux en intérieur avec les tons bleu ciel de l’extérieur. Cette palette de couleurs toute en contrastes plonge le spectateur dans un film d’espions esthétisant qui aurait très bien pu être tourné en noir en blanc. Qui plus est car Zhang Yimou emprunte largement au film noir lorsqu’il réalise Cliff Walkers aussi bien dans ses plans, ses décors ou justement ce travail des contrastes. 

Pendant plus de 2h, le film nous emporte, au sens propre comme au figuré, dans une splendide tempête de neige du Nord de la Chine. Alors, certes, le scénario a de quoi nous perdre entre sa ribambelle de personnages, d’agents doubles, de trahisons et de motivations croisées. Cependant, même en perdant par moments le fil narratif, on comprend toujours où le film veut nous emmener, quels sont ses enjeux à un instant T. Nous nous laissons ainsi porter et nous ne sommes, au final, jamais perdus. En effet, il maîtrise si bien la grammaire du cinéma par l’image que l’on pourrait regarder son film sans en écouter un seul dialogue. Les détails et lignes écrites de l’intrigue importent moins que l’élan épique, tragique et esthétisant dans lequel Zhang Yimou nous plonge. Ce long-métrage dédié “aux héros de la Révolution” se veut comme une fresque artistique qui leur rend hommage à l’instar d’un tableau commémoratif qui se serait mis en mouvement. En somme, Cliff Walkers est un film sensoriel total au sens où ce qu’il a à nous raconter, l’hommage politique qu’il profère, réside principalement dans ses plans, sa mise en scène, sa musique et peu dans sa scénarisation.

Sur le plan politique, ce film rentrerait assez aisément dans ce que l’on considère comme du cinéma de propagande. La caractérisation des personnages y est manichéenne : on distingue les héros communistes chinois des bourreaux impérialistes japonais. Cependant, de la même façon que nous avons pu nous abreuver de cinéma d’espionnage de propagande américaine sans jamais bouder notre plaisir, ce n’est pas sa fibre politique qui mettrait un frein au visionnage. D’autant plus que le politique est ici davantage une question de contexte que le véritable cœur du film. Son cœur réside réellement dans la fresque esthétisante et héroïque qu’il peint avec sa caméra.

En résumé, Zhang Yimou est toujours bien vivant et son cinéma n’a pas pris une ride. Si par chance, il vous arrivait de croiser le chemin de Cliff Walkers, vous ferez face à un vrai plaisir de cinéma en son sens le plus primaire.

Rohan Geslouin. 

Cliff Walkers de Zhang Yimou. 2021. Chine. Sortie dans les salles espagnoles le 18/11/2022.

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