Juste sous vos yeux : avant-propos

Posté le 18 avril 2023 par

Après bientôt vingt-cinq ans, une histoire des liens tissés entre le Japon et la production cinématographique et télévisuelle coréenne au XXIe siècle pourrait commencer à s’écrire. Elle comprendrait quelques titres emblématiques qui firent le tour des festivals internationaux, pratiquement que des films de genre puisque ceux de Hong Sang-soo ne sortent pour ainsi dire… pas au Japon, tandis que Kim Ki-duk était déjà en train d’être oublié avant de disparaître. Il y eut également l’impact des films romantiques et saisonniers, de Christmas in August à April Snow, qui rappelèrent à un public âgé de plus de quarante ans certains feuilletons que produisaient les chaînes japonaises au cours des années 80 et 90. Leur succès fut tel qu’il entraîna quelques années durant une pratique de tourisme par ce même public qui se rendait régulièrement en Corée du Sud pour y retrouver le climat de ces récits fantasmés.

Puis vint le réveil et son principe de réalité, et un détachement de cette génération devant un mode de séduction devenu inopérant. Une autre allait prendre le relais avec l’arrivée de la déferlante Hallyu, avec BTS et BlackPink, la vague de séries Netflix, et les bouleversements menés par le film Parasite et son réalisateur Bong Joon-ho. Le quartier de Shin Okubo à Tokyo laisserait croire que cette chronologie est juste. Elle omet pourtant de nombreux enjeux que les critiques internationaux se crurent sommer de citer : la grogne nationaliste présente dans les films de guerre, de l’occupation japonaise aux tensions avec la Corée du Nord ; la précarité sociale d’une population endettée dans Squid Game ; l’ambition sociale d’un peuple si animé de désirs de titres qu’il se dévore (Kingdom, Hellbound). Une vague, fallait-il rappeler, portée par un modèle industriel qui lorgnait du côté de l’Amérique et de son professionnalisme, et de Hong Kong, où elle puisait une mesure, une échelle, une dimension. Cette critique qui adulait la poésie fine, cinéphilique, et romantique d’un cinéaste qui, comme Kurosawa, Kawase, Kore-eda, tourna un film en France. Ce dernier tourna également en Corée, mais son Les Bonnes étoiles remua peu de choses, et le voilà rentré au Japon et à Cannes avec Monster.

Ou plutôt tenter une histoire qui s’écrirait du Japon et de la Corée, permettant de souligner un refus de croire, de penser qu’un critique, un chercheur, pourrait encore parler d’une seule voix de tous les cinémas d’Asie. Je ne saurais me prononcer sur le cinéma coréen comme je le fais sur celui du Japon. Il y a cependant un désir d’en parler simplement, et d’écouter, d’attendre qu’on m’en parle.

En septembre 2022 se tenait à Yale un atelier de recherche autour de l’œuvre du réalisateur Obayashi Nobuhiko, qui donnera lieu à un livre à paraître aux presses universitaires d’Edinburgh. J’y rencontrais Eunkyung Shin, chercheuse sur le cinéma japonais des années 70 & 80, vivant à Busan. Nous avions entrepris un dialogue détendu sur le cinéma coréen contemporain, sur les séries, sur Bae Doona, les zombies, les quartiers dans lesquels tourne Hong Sang-soo. Au début de l’année 2023, je lui proposais de faire de ces échanges un projet de chronique, un dialogue à partir d’une douzaine de titres respectifs autour desquels s’entretenir, qui allait commencer peu après Cannes. De le tenter sur une année, afin d’y voir ce qui allait se trouver sous nos yeux en 2024.

Stephen Sarrazin.

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