Après avoir été présenté au Festival de Cannes (avec à la clé un prix d’interprétation féminine), et une sortie estivale sur les écrans français en juillet dernier, Les Nuits de Mashhad est disponible dès le 9 décembre en DVD et Blu-Ray chez Metropolitan Filmexport. Une bonne occasion de revenir sur un film fort, engagé mais dont le style peut vite s’avérer clivant.
Mashhad, aube des années 2000. Dans cette ville sainte iranienne, un tueur en série sévit la nuit et assassine sauvagement les prostituées qui vendent leurs corps sur la grande place. Face à l’inefficacité de la police, et alors que le nombre de victimes augmente, de plus en plus de citoyens commencent à prendre faits et cause pour cet homme, sorte de nettoyeur de la ville sainte, face au vice de ces travailleuses du sexe. En se basant sur ce fait divers morbide, Ali Abassi met en scène un polar, doublé d’une enquête menée par une journaliste qui va tout tenter pour stopper le massacre, quitte à se mettre en danger. Le tout dans une société iranienne où le fanatisme religieux et le patriarcat latent ne vont pas franchement lui faciliter la tâche.
En cela, le film d’Ali Abbasi peut être regardé sous deux aspects. Le premier, c’est voir le film en tant que polar, voire même thriller, donc avec son tueur en série qui a pour projet d’éradiquer toutes les prostituées de la ville, et l’héroïne, journaliste courageuse et engagée qui enquête pour le mettre hors d’état de nuire. Pour la petite information, le scénario se base sur des faits réels et fictionnalise beaucoup ce qui s’est passé dans la réalité des évènements. A titre d’exemple, l’implication de la journaliste dans la traque est purement fictive. Et si dans le film elle joue un rôle clé dans le parcours et la chute du tueur, dans les faits, c’est une victime du tueur qui a réussi à s’enfuir, provoquant ainsi son arrestation. Mais le but d’Ali Abbasi n’est pas de suivre le parcours meurtrier d’un homme à la Henry, Portrait of a Serial Killer, mais de montrer une lente et glaçante chasse à l’homme dans les rues de Mashhad. L’enquête de la journaliste est rendue d’ailleurs compliquée par des institutions religieuses et policières qui ne se montrent clairement pas très coopératives, qui plus est lorsqu’un individu (en l’occurrence, une femme, ce qui n’aide pas) vient leur demander de faire leur travail ou ou simplement, de l’aide.
C’est à travers ces obstacles qui se dressent face à la journaliste à intervalle régulier que se dessine le deuxième niveau de lecture du film, une critique de la société iranienne. D’entrée de jeu avec une scène de check-in dans un hôtel, le spectateur sait que le parcours de la femme venue pour enquêter va être compliqué. Etre une femme en Iran est plus que jamais une épreuve de chaque instant, et même si l’objectif de l’héroïne est on ne peut plus noble et courageux, il est perçu par les hommes comme au mieux, une perte de temps de sa part, au pire comme une provocation faite aux institutions toujours convaincues d’être dans leur bon droit. Pire encore, une fois que le tueur a été coincé, la journaliste va devoir composer avec une opinion publique qui va contre tout attente pencher du côté du tueur et l’ériger en sauveur de la ville sainte. Un criminel érigé en héros interrompu dans sa mission de nettoyage saint. Du début à la fin du film, il règne une ambiance lourde et tendue, qui sera rendue insupportable par un dernier acte, pourtant sensé être libérateur.
C’est d’ailleurs cette lourdeur et cette absence de finesse qui finissent par se retourner contre le film. Ali Abbasi est clairement animé des meilleures intentions lorsqu’il veut parler d’un tueur en série que sa foi aveugle pousse à vouloir éradiquer toutes les prostituées de Mashhad. Malheureusement, le metteur en scène force parfois tellement le trait sur la forme pour énoncer son propos qu’il en devient parfois indigeste. A titre d’exemple, on pourra reprocher à Ali Abbasi de montrer au moins trois meurtres de femmes, souvent graphiques et, surtout pour le dernier d’entre eux, de flirter avec l’humour noir, dont le film se serait bien passé. Autre point problématique : tous les hommes du film sont montrés soit comme des lâches, des menteurs ou des abuseurs, et tant qu’à faire, autant qu’ils soient aussi dans la fonction publique (la scène de chambre avec le policier, aussi malsaine que fondamentalement inutile au récit). De manière générale, le film aurait certainement gagné à être un peu plus dans la retenue et la subtilité. La mise en scène d’Abbasi n’est pas mauvaise en soi et ne sombre pas systématiquement dans l’excès. Certaines séquences comme le face à face final sont d’ailleurs particulièrement dérangeantes dans leur démonstration de la banalisation de l’horreur, et ce sans en faire des tonnes. Mais le style un peu trop graphique et démonstratif du metteur en scène peut vite laisser dubitatif et affaiblir la portée du propos, pourtant particulièrement incisif, au demeurant.
Les Nuits de Mashhad n’est pas le grand polar que l’on pouvait attendre au vu du sujet, la faute à une mise en scène lourde et trop frondeuse pour arriver à taper où il faut, mais il faut lui reconnaître une note d’intention on ne peut plus louable. Ali Abbasi a clairement une volonté de dénoncer une société iranienne décidément complexe et incapable de séparer religion, droit et politique, sans oublier une réelle envie de réaliser un polar avec une héroïne forte et déterminée.
Bonus
Entretien avec Zar Amir Ebrahimi : dans cette vidéo, dans un français impeccable et au détour de nombreuses anecdotes, la comédienne revient sur la production compliquée du film. On y apprend que, à cause de son sujet et des thèmes abordés, le film s’est tourné en Jordanie, loin des autorités iraniennes, qui depuis sont farouchement remontées contre le film et ceux qui y ont participé. Zar Amir Ebrahimi n’était également pas envisagée comme comédienne principale, mais suite au désistement de l’actrice, Ali Abbasi lui a confié le rôle et a travaillé avec elle sur le script. La comédienne se confie également sur ses influences, ses techniques de travail et son rapport au cinéma et à son pays d’origine. Un module passionnant.
On trouvera également un livret de 16 pages, rédigé par Asal Bagheri, spécialiste du cinéma iranien. De manière concise et pédagogique, elle retrace l’histoire de la femme dans le cinéma d’Iran, lui aussi marqué pendant des années par un patriarcat et une censure sévères et omniprésents.
Romain Leclercq.
Les Nuits de Mashhad d’Ali Abbasi. Iran. 2022. En DVD et Blu-Ray chez Metropolitan Filmexport le 09/12/2022