FFCP 2023 – Unidentified de Jude Chun : Madrigal

Posté le 11 novembre 2023 par

L’audace de programmation du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) nous a permis de découvrir un jeune cinéaste, Jude Chun, et une œuvre singulière dans le paysage cinématographique coréen. Unidentified est une œuvre de science-fiction expérimentale dont l’expérience au cœur de toutes les autres serait celle de l’amour.

En 1993, d’immenses ovnis en forme de sphères sont arrivés de l’espace et se sont positionnés au-dessus des grandes villes du monde entier, Séoul, Paris, Istanbul, Rio… Les êtres humains ont alors cru que la fin du monde était proche. Mais vingt-neuf ans plus tard, les sphères sont toujours là, flottant silencieusement dans le ciel, et la vie continue.

Lorsque la grosse forme noire apparaît dans le ciel dès les premières images de l’œuvre de Jude Chun, on pense à l’œuvre de Denis Villeneuve, Premier contact. Il nous est d’ailleurs raconté un premier contact comme un écho à l’œuvre du cinéaste québécois. La voix off d’une femme nous narre la rencontre de ses parents à l’aune de l’apparition de cet objet céleste. Dans une sorte de diapositive vintage, c’est un passé qui nous est montré avec les émotions du présent. Il y a au cœur de l’œuvre, un jeu entre les unions passées, et les réunions futures, à l’aune des relations du présent. Il ne s’agit pas de nouer un premier contact, mais de renouer des contacts, amoureux, amicaux, familiaux et bien plus encore. L’œuvre se déploie comme une mosaïque de segments comme autant de situations qui coexistent à différents espace-temps pour les mêmes corps, les mêmes personnages. L’objet dans le ciel autour duquel gravitent les corps est aussi celui autour duquel gravitent les images de Jude Chun, comme un point de convergence, de suture qui transcenderait les lieux et les réalités. Si cette forme a un effet, ce serait celui de nous rendre disponibles au présent de l’action ; c’est l’une des grandes forces de l’œuvre. La segmentation et les apparitions renouvellent notre attention au présent des évènements et non pas dans le flux d’une narration. Ce n’est que dans l’accumulation de micro-actions au présent que se dévoilent des liaisons et l’éventualité d’un récit commun à tous, celui de l’existence sur la planète Terre comme dans le temps de l’œuvre.

Cette douce suture entre les réalités se fait non pas par l’image, mais par le son. Et plus précisément par la musique. Si dans l’œuvre de Denis Villeneuve, il fallait allier les astres et le logos, pour comprendre le destin circulaire de l’humanité dans l’allégorie d’une mère qui choisissait de donner vie à un enfant condamné, Jude Chun joue sur un autre mode cette alliance cosmique voire cosmogonique. A travers la musique, c’est la parole ou son absence qui doivent s’accorder aux corps dans l’harmonie des images. Entre un dispositif documentaire sur des artistes à travers le monde, des sketch humoristiques, une romance fragmentée, une utopie de réunification aux atours dystopiques, un voyage introspectif, des séquences musicales et d’autres plus abstraites, le cinéaste tente de trouver une harmonie à travers différentes tonalités. Si la musique est un langage universel comme on nous le signale au début du film, la danse qui en est l’incarnation l’est aussi et le cinéma qui permet de capter ces deux choses pourrait être l’ultime élément surplombant les deux autres, les englobant comme une sphère qui cristalliserait les fantasmes et les désirs secrets de chacun. L’harmonie et le rythme globale de l’œuvre sont rendus explicites par des séquences chorégraphiées dont la durée nous permet d’apprécier la beauté fugace, suspendue. Comme un silence entre deux notes. Ainsi, la partition que joue Jude Chun est celle d’une chanson mélancolique sur l’humanité dans ses déboires les plus triviaux à la verticalité de son existence à l’aune d’une présence extra-terrestre. La porosité des segments par une intelligence de montage nous laisse la place d’exister à travers eux, dans leur interstice. Chacun des segments va résonner dans l’autre, et les échos se font entendre jusqu’à nous. Le spectateur est part de cette vision singulière dont le cinéaste ne cache pas l’artificialité. Nous fabriquons notre réalité comme nous la subissons au quotidien. Dans la recherche d’équilibre constant entre notre puissance et notre résignation se joue dans les creux prosaïques une mélancolie planante, une chanson d’amertume et de regrets dont la chaleur nous rappelle qu’exister est un évènement dont le sens nous échappe mais dont les sensations nous bercent dans les récits que nous construisons pour nous-mêmes. L’amour serait l’ultime mélodie qui se jouerait au pluriel comme au singulier, car nous dansons tous au rythme des même vibrations.

Kephren Montoute

Unidentified de Jude Chun. 2022. Corée du Sud. Projeté au FFCP 2023

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