LE FILM DE LA SEMAINE – Inu-Oh de Yuasa Masaaki

Posté le 23 novembre 2022 par

Pour ceux qui auraient raté sa diffusion en festivals, le nouveau film d’animation de Yuasa Masaaki, Inu-Oh, est aujourd’hui en salles. On ne peut que vous conseiller de découvrir cette déflagration musicale !

Depuis Mind Game (2004) en passant par Devilman Crybaby (2014), Yuasa Masaaki témoigne d’une richesse et d’une énergie que le temps et les œuvres n’épuisent pas et qui semble ne pas avoir son pareil. Avec son dernier film en date, Inu-Oh, Yuasa se plonge dans le Japon féodal du XIVe siècle pour y distiller son goût punk et ses obsessions plastiques.

 

Qui est Inu-Oh ? Adaptant Le Conte des Heike de Furukawa Hideo, Yuasa s’inspire du mythe autant que de l’histoire pour donner vie à cette figure mystérieuse du théâtre nô dans le Japon du XIVe siècle. L’auteur emprunte formellement à cette légende médiévale certaines inspirations esthétiques de l’époque pour composer son regard sur le Japon féodal. Dès la première séquence, plusieurs styles graphiques s’entremêlent pour faire peau neuve : de l’estampe ukiyo-e au baroque du japanime ultra-moderne. Le tout orchestre une grande fantaisie tourbillonnante, entremêlant les styles oniriques de Yamamoto, Kon et les patchworks oulipiens d’Obayashi.

En campant dans l’Empire du soleil-levant il y a 600 ans, le cinéaste fait voler en éclat la dévotion chaste avec laquelle cette époque est majoritairement représentée pour y cultiver, de l’intérieur, un imaginaire profondément punk-rock. En résulte une nouvelle apparence plastique chez l’auteur, détonnant au regard de ses films précédents. Les matières, les tôles, les boiseries des maisonnées mais aussi les expressions des visages et la sculpture des corps acquièrent un raffinement du trait étranger jusqu’ici au réalisateur de Lou et l’île aux sirènes. En revanche, l’animation élastique de l’auteur de The Night Is Short se distingue instantanément. La matière a changé, mais la dynamique reste. La plasticité formelle multiple, chère à Yuasa, se retrouve jusque dans les outils d’animation utilisés : l’aquarelle, la palette et l’animation numérique, le dessin au crayon, l’encre… L’ensemble composant un feu d’artifice visuel qui régaleront les amateurs et les praticiens de l’animation.

L’arrière-fond historique voit le clan des Heike (autrement appelé Taira) affronter celui des Genji (dénommé aussi Minamoto). À l’issue de la bataille cardinale au XIIe siècle de Dan-no-ura qui a scellé la victoire des Genji, en a résulté une épée légendaire, qui plonge dans le noir et tranche le corps de tous ceux qui la trouve dans les tréfonds de la mer. Un One-Piece bad mood. De cette légende par laquelle s’ouvre le récit, le film va filer une autre histoire : celle de l’amitié entre le monstrueux et génial Inu-Oh et le joueur de biwa aveugle Tomoa. Le rapport entre cette légende préliminaire et la fresque amicale des deux artistes tient dans ce que Yuasa raconte en sous-main : une fable sur la vanité, le désir des hommes à travers les âges de percer le mystère des profondeurs au point de s’enivrer de gloire, jusqu’à l’implosion. C’est aussi, en contrepoint, une parabole sur la musique comme acte de résistance à la doxa du pouvoir politique.

Parmi les fourmillantes idées plastiques du cinéaste, l’invention fantasmagorique du masque-gourde qui gambade dans le village comme un enfant en fuite pour illustrer l’apparition de Inu-Oh est proprement géniale ! Tout cela porte les traces de l’esprit intact et débordant d’imagination du Yuasa de Mind Game. Ce monstre dégingandé, mi-homme mi-yokai va devenir une futur star de la musique populaire, aux tendances glamrock, dépassant l’orthodoxie traditionnelle du groupe d’alors, Hyo-eh.

Tout à son exploration de la monstruosité, du mariage sans alliance des contraires, Yuasa va même jusqu’à produire une scène de rock joué à grand coup de biwa (comme si Marin Marais interprétait du Hendrix, avec la même fièvre). À l’issue du premier tiers, Inu-Oh bascule dans la comédie musicale féodalo-rock. On peut voir ça, au choix, comme une façon de rendre cool auprès de la jeunesse 3.0 du Japon le patrimoine culturel de leur pays, ou bien de travestir l’histoire nippone par obsession contemporaine. L’hybridité des temps, dans le film, va même jusqu’à cette séquence où le squelette fluorescent d’un samouraï fait du break dance… Si les premiers instants peuvent laisser passablement dubitatif, le côté hypnotique des parties chantées finit par produire, sur la longueur, une profonde fascination sensorielle, comme les longues plages des grands morceaux d’acid rock. La séquence enflammée de la baleine avec le chœur populaire offre, notamment, un véritable moment de virtuosité visuelle, implacable d’efficacité rythmique.

Le récit d’amitié entre Inu-Oh et Tomoa n’est pas ce qui est le plus réussi dans ce 5e long-métrage. Mais l’ébullition formelle de la mise en scène est tellement épaisse qu’elle en étouffe l’intrigue (au point de la rendre souvent confuse). Qualité finale du film qui marque non pas par sa dramaturgie, mais surtout par sa puissance de vie expérimentale. C’est ce qui en fait, de ce point de vue sensible, un objet de cinéma absolument unique !

Flavien Poncet

Inu-oh de Yuasa Masaaki. Japon. 2022. En salles le 23/11/2022

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