MUBI – The Gold-Laden Sheep and The Sacred Mountain de Ridham Janve

Posté le 11 novembre 2022 par

Il aura suffi de 21 jours au réalisateur indien Ridham Janve pour tourner son premier film, une œuvre mystique et contemplative brillante aux sous-tons divins et surréalistes. The Gold-Laden Sheep and The Sacred Mountain est à découvrir sur MUBI.

Inspirée de récits racontés ci-et-là par la communauté des Gaddis, petit peuple pastoral habitant les montagnes de l’Himalaya, l’histoire du long-métrage a une trame presque classique, que le réalisateur enchante et magnifie de son regard rêveur et malicieux. Dans les hautes montagnes presque inhabitées, un vieux berger et son assistant vont de pâturage en pâturage avec leurs moutons et leurs chèvres, dont ils tirent leur peu de ressources. Pendant une journée ensoleillée et dégagée, un bruit assourdissant se fait soudain entendre dans les montagnes : un avion s’est écrasé. Un fait assez commun dans la région, connue pour sa météo capricieuse et dangereuse. Mais cette fois, malgré les équipes à terre et les hélicoptères déployés, l’appareil est introuvable. De fait, la montagne est sacrée : ce qu’elle veut garder restera à jamais invisible au commun des mortels, dont les cœurs animés d’intentions impures sont indignes. Quand le vieux berger entend néanmoins parler d’une récompense, sa cupidité naïve le pousse à partir à la recherche de l’avion disparu, abandonnant son précieux troupeau à son assistant alcoolique et irresponsable. 

Les plans à la fois poétiques et contemplatifs, entre le réalisme et le surréalisme, capturent avec virtuosité l’essence de la forêt, de la montagne et de ses êtres vivants. La caméra de Ridham Janve, souvent posée de longues minutes au même endroit pour capter l’âme des lieux filmés, magnifie et rend vivantes les images perçues par l’œil humain, avec un grain subtil.

Tout est filmé en extérieur. Dans une approche presque documentaire, Ridham Janve se laisse aller aux brusques et imprévisibles aléas météorologiques des sommets montagneux. L’arrivée inopportune de nuages gris assombrit ainsi les plans, le temps de quelques secondes, tandis que la brume, à la fois sinistre, mystique et aérienne, fait disparaître arbres, pâturages et bergers dans son sillage fulgurant. La profondeur de champs, qui donne une sensation d’infini aux plans, fait presque oublier la présence des personnages, parfois à peine perceptibles au regard, et qui semblent se fondre dans leur environnement. 

Issus de la communauté Gaddi, non-professionnels, les interprètes des nomades parlent leur dialecte et font corps avec la montagne comme si elle avait accouché d’eux et de tous les êtres vivants la sillonnant. Certains étant eux-mêmes bergers, le réalisateur a dû adapter son tournage et les suivre lors de leurs transhumances, les laissant aller d’un bout à l’autre du vaste cadre de sa caméra statique pendant de longues minutes. C’est ainsi avec naturel qu’il les filme guidant leurs moutons ou se réchauffant dans leurs tentes ou abris auprès d’un feu de bois, prétexte à un jeu d’ombres et lumières remarquablement exécuté quand la nuit d’un noir profond tombe sur le vivant. 

Le sentiment contemplatif que l’on ressent à la vue du long-métrage est appuyé par l’absence quasi totale de musique. Seul un mystérieux et éthéré morceau de flûte enrobe parfois le récit d’un aura poétique et sacré. C’est sinon le silence qui règne, entrecoupé seulement de quelques dialogues et de sons de pas crissant dans la neige, du chant des oiseaux dans les arbres, des bêlements des chèvres et des moutons du berger, du vent dans la montagne et du feu qui crépite le soir dans les camps de fortune ; des bruits enregistrés en à peine 20 jours après la fin du tournage par Ridham Janve et son opérateur du son. 

Cette profonde plongée sonore et visuelle dans un monde à part, en rupture avec la cadence organisée et délimitée de la vie humaine des villages et des villes, nous offre une représentation proche d’un naturalisme et d’une ethnographie fouillée de ces montagnes himalayennes. Là où le vivant est souverain, l’Homme n’est finalement qu’une infime part de la Nature qu’il a déifié, comme vont l’apprendre à leurs dépens les deux personnages du long-métrage. 

Une magistrale et humble réflexion métaphysique sur la sacralité, la disparition et la faiblesse des hommes.

Audrey Dugast. 

The Gold-Laden Sheep and The Sacred Mountain de Ridham Janve. Inde. 2018. Disponible sur MUBI 

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