DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 30 : Obayashi Nobuhiko

Posté le 25 octobre 2022 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre ici ses réflexions sur le coffret Blu-ray que l’éditeur britannique Third Window consacre à 4 films des années 80 signés Obayashi Nobuhiko pour la Kadokawa : Kadokawa Years: School in the Crosshairs ; The Girl who leapt through Time ; The Island closest to Heaven ; His Motorcycle, Her Island.

Une Jeunesse

Le réalisateur Obayashi Nobuhiko compte parmi les nombreux cinéastes contemporains japonais inconnus en France, et ceux qui ne furent jamais reconnus au Japon par Hasumi Shigehiko. Cinéaste expérimental des années 60, puis passé à la publicité en nouant très tôt des liens avec la société Dentsu – il en tournera plus de 1 000 dans sa carrière, et fut l’un des premiers à inviter des stars américaines à promouvoir des produits japonais ; Kirk Douglas, Charles Bronson et bien d’autres ont touché des cachets pharamineux en apparaissant au volant d’une voiture ou allumant une cigarette -, il réalise son premier long-métrage, House, en 1977. Produit par les studios Toho, qui lui offrent un budget considérable, ce film fantastique raconte l’histoire d’un groupe de jeunes lycéennes dévorées l’une après l’autre par une maison hantée. Il connaîtra un succès de film culte en circulant dans festivals de cinéma de genre. Il gagnera également une reconnaissance critique en Amérique et au Royaume-Uni ; il existe une édition DVD de House parue chez Criterion.

Tandis que la France ne s’est toujours pas engagée sur une réflexion portant sur le cinéma japonais des années 80 (une rétrospective Somai Shinji ne suffit pas), le milieu anglo-saxon de la critique et de la recherche universitaire semble s’en être emparé, avec des projets de livres et autres sorties vidéo à l’horizon. L’éditeur anglais Third Window Films s’est engagé à livrer un éventail de films de Obayashi révélant une œuvre accomplie sur plus de quarante années, abordant plus d’un genre et comprenant des films commerciaux, des films indépendants, et les derniers qui renouèrent avec l’expérimentation. House fut un immense succès au Japon et Obayashi allait se lier d’amitié avec le producteur Kadokawa Haruki, fils du fondateur, Genyoshi. La société Kadokawa avait déjà réinventé la figure de l’idol dans les années 70 en lançant la carrière de plus d’une chanteuse adolescente. Le fils Kadokawa comptait faire de même pour le cinéma et trouva en Obayashi celui qui l’aida à mener à bien ce projet. Il ne fut pas le seul cinéaste à réaliser ces idol movies ; Somai Shinji signait l’un des meilleurs titres du genre, Sailor Suit and Machine Gun. Mais Obayashi les enchaîne, de 1979 à 1986, la période que couvre ce coffret.

On aperçoit au dos la mention brief sexual harassment, et on retrouve là ce goût anglais pour l’euphémisme. Les deux premiers films, de S.-F., mettent en scène un fétichisme idoru dont les codes seront reproduits, et tolérés, dans tous les pans de la culture J-Pop de cette époque. Cependant, Yakushimaru Hiroko, héroïne de School in Crosshairs (et du Sailor Suit de Somai) n’est pas dupe et résiste au réalisateur comme elle le fait aux envahisseurs venus de Vénus, menés pour un acteur masculin plus mûr (et qui aime apparaître dans sa chambre lorsqu’elle se met au lit) pour transformer tous les élèves du lycée en premier bataillon d’un Etat totalitaire. Il faudra changer l’idol.

Harada Tomoyo tourne d’abord dans The Girl Who Leapt Through Time, adapté du roman de Tsutsui Yasutaka, repris plus d’une fois au cinéma, y compris par Hosoda Mamoru en 2006. Autre immense succès pour Obayashi, qui signe un film iconique de cette décennie, sur un scénario dans lequel la lycéenne est figée dans le temps, interdite de changer. Mission accomplie, Harada Tomoyo est identique dans The Island Closest to Heaven, film indéfendable aujourd’hui. Une jeune lycéenne réalise le rêve de son père disparu trop tôt, de se rendre en Nouvelle Calédonie, sur l’île la plus élevée au monde. Elle fait le voyage seule, harcelée par l’organisateur/guide japonais, courtisé par un homme plus âgé (le même acteur qui tenait le rôle de ce Vénusien dans School in the Crosshairs) ; livrée à elle-même, elle est incapable d’éviter les pièges rétro-colonialistes qui plombent le scénario.

Jaquette DVD originale de « Island Closest to Heaven »

Les deux premiers films du coffret permettent de découvrir la dimension expérimentale qui se trouvait au cœur de la mise en scène chez Obayashi, et comment il arriva à l’inscrire dans la narration à travers une méthode qui semblait s’appuyer sur les jump cuts de Godard et le step printing selon Norman McLaren. Avec Island, et le titre qui clôt cet ensemble, un autre récit insulaire, His Motorcycle, Her Island, le cinéaste, qui fut aussi critique – des recueils de ses textes, jamais traduits, sont encore disponibles chez des éditeurs japonais – ne délaisse pas la post-production, mais lorgne du côté de Francis Coppola, période Coup de cœur, The Outsiders et Rusty James. Dans le dernier film, un coursier-motocycliste, joué par un très jeune Takeuchi Riki, méconnaissable, se remet d’une peine d’amour à Tokyo en se rendant sur une île où il croise une jeune fille, Harada Kiwako, sœur aînée de la petite Tomoyo. Les personnages ont grandi, Obayashi peut enfin tourner une scène de nu, en évitant la controverse. La jeune femme s’éprend de ce faux bosozoku et plus encore de sa moto, qu’elle apprendra à conduire, avant d’obtenir son propre permis et de s’offrir sa moto. Car cette comédienne, qui aura été moins présente que sa sœur (aussi chanteuse), incarne un indice de résistance que l’on retrouve chez chacun des personnages : le malaise, le refus, la confusion devant une envie de fétichisation chez le tandem Kadokawa/Obayashi. Il faudra attendre le cynisme et l’arrivée du enjo kosai, qui fit l’objet de certains films des années 90, notamment de Harada Masato, et Anno Hideaki, dans lesquelles les lycéennes basculent vers le commerce.

Ce coffret Kadokawa ne franchit pas cette limite, tout en étant néanmoins porteur de quelque chose qui basculait dans le cinéma japonais. La qualité des copies est excellente, les divers Blu-ray contiennent d’importants documents, tels des entretiens avec le cinéaste, un portrait de l’idole Harada Tomoyo et l’un de ses clips, ainsi qu’un excellent commentaire du professeur  Aaron Gerow,  spécialiste de l’histoire du cinéma japonais qui a beaucoup fait pour cette reconnaissance du cinéaste (1), qui se penche sur le film School in the Crosshairs. Une porte longtemps laissée fermée s’entrebâille.

  1. Aaron Gerow a également signé une analyse du film de Somai ShinjiSailor Suit and Machine Gundisponible dans l’édition dvd parue chez Arrow.

Stephen Sarrazin.

Retrouvez toutes les informations sur le coffret Obayashi Nobuhiko: 80s Kadokawa Years à ce lien. 

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