Mon visage embrasé au soleil couchant est le troisième long-métrage de Shinoda Masahiro, sorti en 1961 et présenté lors de la rétrospective lui étant consacré à L’Étrange Festival 2022.
Une troupe de tueurs à gages se bat pour obtenir un gros contrat. Ishida, simple employé d’un stand de tir dans une fête foraine, va les devancer. Alors qu’Ishida tombe amoureux de sa cible, la troupe va se mettre à ses trousses pour essayer de lui voler le contrat.
Derrière ce titre doux et poétique se cache en fait un film pop, survolté, aussi absurde que fou, né de l’alliance entre Shinoda Masahiro à la réalisation et Terayama Shuji à l’écriture. Il est tout simplement inclassable : à la fois comédie romantique, film policier, et même comédie musicale, il ne décide à aucun moment de se figer dans un genre en particulier. Le titre n’est trompeur que très peu de temps, puisque dès ce générique visuellement entre le pop art et le clip vidéo, le ton est donné.
Situé en début de carrière, Mon visage embrasé au soleil couchant confirme l’aspect très protéiforme de la filmographie de Shinoda, puisqu’il est capable du film le plus bouffon, comme du drame le plus sérieux. Le soucis est qu’il semble paradoxalement ressortir de cette parodie un aspect assez mineur dans sa filmographie, voire décevant lorsqu’il s’agit d’une collaboration avec Terayama. L’empreinte du scénariste y est d’ailleurs très forte, empiétant peut-être parfois un peu trop sur le travail du réalisateur, mais certainement pas assez pour en profiter pleinement. On y retrouve par exemple tout un tas d’éléments propre au pape de l’underground japonais : un absurde poussé à l’extrême tendant tantôt vers le poétique, tantôt vers le macabre, un goût pour le potache, certaines scènes dégageant parfois un esprit légèrement surréaliste… Shinoda vient apporter quant à lui une forme visuelle correspondant davantage aux films de genre, et en accord avec sa grande maîtrise des outils cinématographiques qu’il n’aura de cesse d’affiner tout au long de sa carrière. Donc, si l’idée d’une rencontre entre l’un des réalisateurs les plus fous et surprenants des studios de la Shochiku avec le ponte de l’underground cinématographique japonais des années 60 et 70 peut paraître excitante, elle est aussi malheureusement source de déceptions. On est bien loin des expérimentations folles de Cache-cache pastoral (1975) ou bien des images chocs de Jetons les livres et sortons dans les rues (1971). Mon visage embrasé au soleil couchant reste également assez éloigné des plus grandes fulgurances esthétiques du réalisateur. Mais cette déception ne peut être qu’anachronique, puisqu’à cette époque-là, Terayama n’avait pas encore fait ses films les plus marquants, et travaillait surtout en tant que scénariste et écrivain, tandis que pour Shinoda, il ne s’agissait que de son début de carrière. Il faut donc mettre de côté ses attentes pour y voir, plutôt qu’une collaboration folle entre deux grands du cinéma japonais, le film très prometteur d’un jeune réalisateur.
Ceci étant dit, il convient insister sur le fait que le film n’est, malgré ça, en aucun cas sage, et qu’il pourrait même être considéré sinon comme subversif, au moins radical. Le film s’amuse autour du déboulonnage de conventions, déstructurant autant son récit que le cinéma lui-même, lui donnant parfois un côté presque abstrait dans ce qu’il propose. Puisque souvent, le rire ne vient pas tant des gags (très drôles) de cette satyre grotesque, mais aussi du sens très opaque de ce qui nous tombe sur le coin de la rétine. Les personnages en sont notamment un parfait exemple. Nos tueurs, introduits comme des stars de sitcoms, ressemblent bien plus à des parodies d’archétypes qu’à des bêtes assoiffées de sang. Entre Nagisa la psychopathe froide tombant amoureuse d’Ishida, et toujours accompagnée de sa chèvre de compagnie et Senti, le beau gosse immature, interprété par le chanteur culte Hirao Masaaki, qui ne peut pas tuer quelqu’un s’il entend du jazz parce qu’il se sent obligé de chanter et danser, il est difficile de prendre le film au sérieux. Et ce syndrome n’est pas réservé qu’aux tueurs : absolument tous les personnages ressemblent surtout à des blagues de scénariste pratiquant l’écriture automatique qu’à de véritables individualités construites autour d’archétypes.
Le film fait office de pamphlet, il ne vise ni à convaincre, ni à démontrer quelque chose. Il est avant tout un avertissement envers le cinéma, un cri surprenant et puissant de la part de Shinoda et Terayama. Il se réserve le droit de faire tout et n’importe quoi. La liberté de création de notre duo prime sur la cohérence, la construction, l’esthétique et même l’émotion. Il est également sans concession avec son spectateur, le soumettant aux absurdités les plus invraisemblables, sans pour autant l’exclure de son dispositif, en construisant un jeu comique avec lui. S’il n’a certes peu de sens, il reste une bouffée de liberté réjouissante et visuellement attrayante. Loin d’être le Shinoda le plus intéressant, il est certainement l’un des films les plus ahurissants de la rétrospective. Peut-être le meilleur film pour commencer cette filmographie à la fois conséquente et variée, démontrant que l’unique chose constante dans la filmographie de Shinoda est un renouvellement sans fin.
Thibaut Das Neves
Mon visage embrasé au soleil couchant de Shinoda Masahiro. Japon. 1961. Projeté à L’Etrange Festival 2022