VIDEO – The Emperor’s Shadow de Zhou Xiaowen

Posté le 15 septembre 2022 par

Il accompagne le merveilleux In the Heat of the Sun dans le cadre du double-programme Jiang Wen paru chez Spectrum Films : The Emperor’s Shadow, réalisé par Zhou Xiao-wen, retrace une partie de la vie du premier Empereur de Chine, Ying Zheng de la dynastie des Qin, au moment où il parvient à unifier à la Chine, et surtout de son amitié compliquée avec le musicien Gao Jianli.

Alors qu’il est détenu comme otage au royaume de Yan, Ying Zheng, le Prince de Qin encore enfant est sur le point de se faire exécuter. Son meilleur ami de Yan, Gao Jianli, avec qui il partage la mère nourricière, lui joue un air folklorique, lui effaçant ainsi toute peur de la mort. Il est finalement rendu à sa famille royale, et entreprend, une fois monté sur le trône à l’âge adulte, d’envahir les autres royaumes de Chine afin de l’unifier. Il rapatrie Gao Jianli pour lui faire composer l’hymne du nouveau pays. Mais Gao Jianli, maltraité, résiste. À cela s’ajoute la romance que Gao entreprend avec la Princesse Yueyang, fille de Ying Zheng, chose qui finit de salir la relation entre les deux amis…

The Emperor’s Shadow est un savant mélange entre la portée majestueuse des grands récits historiques et le drame intimiste qui se déroule entre les humains, en l’occurrence ceux en charge du pouvoir. L’histoire du premier empereur de la Chine unifiée, fondateur de la dynastie Qin en 223 avant J.-C., a été de nombreuse fois déclinée dans le milieu des arts. Au cinéma, Chen Kaige en propose une version baroque dans L’Empereur et l’Assassin, sorti en 1998. Le manga japonais Kingdom, commencé en 2006 et toujours en cours de prépublication, a le mérite d’exposer les enjeux de l’unification de la Chine : la fin de l’époque des Royaumes Combattants et donc du sang versé dans les différents Royaumes de Chine lors de guerres intestines. L’invasion est justifiée par la paix totale promise par celui que l’histoire retiendra sous le nom de l’Empereur Qin Shi Huang. Il est amusant de constater que le manga Kingdom peut être rapproché du film Hero de Zhang Yimou, sorti en 2002, dans la mesure où un auteur tente d’expliquer qu’un pouvoir fort et violent est nécessaire à la la tranquillité du peuple.

The Emperor’s Shadow ne prend pas ce chemin, en commençant par réaliser un portrait bien sombre de Ying Zheng, campé par Jiang Wen, fréquemment débordé par ses émotions et sa fierté qui le conduisent à se montrer proprement sadique envers son ami Gao Jianli, interprété par Ge You. À travers le focus porté sur le trio de personnages de Ying Zheng, Gao Jianli et de la Princesse Yueyang, Zhou Xiaowen se refuse en revanche, malgré la majesté des décors, de s’adonner à une gigantesque fresque épique peuplée de chefs de guerre charismatiques qui s’affrontent sur le champ de bataille. Nous pénétrons littéralement l’intimité du roi dans ses relations avec son ami et sa fille préférée, et il n’y de place pour presque rien d’autre. La lorgnette de trois personnages permet de pénétrer ce qui est d’ordinaire insondable : l’âme des gouvernants dans lequel est concentré un grand pouvoir. En optant pour ce dispositif, Zhou Xiaowen réalise l’antithèse de King Hu, pour qui la psychologie des figures du passé est impossible à reproduire dans le présent – Hu crée des personnages aux traits de caractère simples et préfère montrer leurs actions plutôt que leurs états d’âme. Zhou a opéré un travail d’écriture conséquent pour donner du corps à ces hautes figures.

On reconnaît dans The Emperor’s Shadow un sens du grotesque allié à une tonalité poétique étrange, propre au cinéma de la Chine continentale et hérités des opéras populaires. À ce sujet, Jiang Wen est l’incarnation de ce courant en matière d’acting : son phrasé, son regard, sa gestuelle témoigne d’un charisme certain, presque chaleureux, allié à une allure menaçante et un sourire narquois. Gao Jianli est lui plus rabougri, et comme l’atteste l’un des plans iconiques du film, dans lequel Gao s’incline devant Ying en contre-jour ; on y reconnaît l’inspiration du théâtre des jeux d’ombre. The Emperor’s Shadow dispose de cette patine si particulière des films chinois des années 1980 et 1990, de cet étalonnage général jaunâtre et de ces acteurs typiques, à l’aise dans les rôles de lettrés. Les sursauts sadiques émaillent le déroulement du film, pour rappeler à quel prix s’obtiennent les grands évènements. A cet égard, le cinéma des réalisateurs de la Cinquième génération, dont fait partie Zhou Xiaowen a fait montre d’une intensité remarquable, que l’on retrouve une nouvelle fois dans The Emperor’s Shadow.

Édition et bonus de Spectrum Films

Master : si le master est HD et beau d’une manière générale, il présente un défaut que les yeux aiguisés repéreront, à savoir un problème d’encodage qui rend à quelques endroits bien précis du film, les mouvements rapides mal cadencés. Une traversée de chevaux donnera l’impression d’un gel furtif toutes les quelques secondes. Ce défaut est localisé, non-général mais l’on s’en serait bien passé pour apprécier à 100% la haute définition d’un film rare et recommandable.

Making-of (41 min). En trois parties, ce document nous amène directement sur le plateau de tournage du film en 1995, montre les acteurs aux prises avec les journalistes, Zhou Xiaowen en train de diriger ses acteurs et quelques morceaux d’entretien. Somme toute assez classique, les images de tournage de ce ce type de film se révèlent rares, elles sont donc précieuses.

Maxime Bauer.

The Emperor’s Shadow de Zhou Xiaowen. Chine. 1996. Disponible dans le coffret Blu-Ray Jiang Wen paru chez Spectrum Films en août 2022.

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