EN SALLES – Rouge de Stanley Kwan

Posté le 12 avril 2024 par

Carlotta Films nous fait replonger dans l’âge d’or du cinéma hongkongais à travers la rétrospective Stanley Kwan, le romantisme made in Hong Kong en 4 films restaurés. Nous revenons sur Rouge, romance tragique et mystique à travers le temps, offrant parmi leurs plus beaux rôles à Leslie Cheung et Anita Mui.

Pensant que son ancien amant s’est réincarné depuis, une jeune femme décédée voilà plusieurs dizaines d’années, revient hanter Hong Kong pour retrouver cet homme qui est toujours l’amour de sa vie. Même après la mort.

Troisième film de Stanley Kwan, Rouge est l’œuvre qui, par sa réussite, le révèle véritablement au public et à la critique de Hong Kong. Tous les éléments qui construiront sa filmographie et notamment son chef-d’œuvre Center Stage s’agencent déjà dans un ensemble brillant : le portrait de femme, la nostalgie pour un Hong Kong disparu et les personnages sacrificiels. Dans Rouge, toutes ces facettes s’incarnent à travers la figure d‘Anita Mui, pilier du film devant et derrière la caméra. Le film fut en effet un projet de longue haleine, l’adaptation du roman de Lilian Lee s’avérant fort complexe et ayant épuisé scénaristes, réalisateurs et un casting originel dont ne subsistera qu’une Anita Mui déterminée à interpréter ce rôle qui la touche tant. Stanley Kwan lancé à la tête d’un projet qu’il n’a pas initié (pour la société de production de Jackie Chan) y trouve pourtant des résonances profondes à sa sensibilité et fera totalement sien le film.

Rouge est l’histoire d’un amour exclusif, profond et passionné dont l’intensité se prolonge à travers le temps et au-delà même de la mort. Faussement amorcé comme une romance, cet amour s’illustre en fait dans la seule détermination de Fleur (Anita Mui) de retrouver l’homme qu’elle aime pour l’éternité. L’histoire commence donc en 1934, lorsque la prostituée et musicienne Fleur croise la route du fils de bonne famille Chan Chen-Pang (Leslie Cheung) au terme d’une magnifique séquence musicale où les regards brulants échangés et les paroles de Yin ji kau (titre cantonais du film et véritable leitmotiv tout au long de l’intrigue qui fera beaucoup pour son succès) chantée par Anita Mui expriment déjà toute l’intensité de leurs sentiments.

Les barrières sociales insurmontables et la pression de leur milieu amènent notre couple à la solution extrême et au romantisme morbide du suicide commun dans l’espoir d’une réunion éternelle dans l’autre monde. C’est ainsi que Fleur se réveille de nos jours (en 1987) à la recherche de son amant qu’elle n’a pu retrouver dans l’au-delà. Cette thématique questionnant et rejouant la destinée par le prisme romantique, mystique et tragique est typique des ouvrages de Lilian Lee, qu’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs autres adaptations produites à Hong Kong et en Chine durant cette période : Adieu ma concubine de Chen Kaige (1993), Green Snake de Tsui Hark (1993), le méconnu The Reincarnation of Golden Lotus de Clara Law (1989) ou encore The Terracota Warrior de Ching Siu-tung (1989).

Le film est loin de donner dans la linéarité attendue et on pense ainsi à nouveau au futur Center Stage dans la manière dont s’entrecroisent passé et présent. Les souvenirs du passé vibrant et douloureux à la fois alternent ainsi avec le présent austère par l’interprétation de Anita Mui, dont la détermination presque maladive fera le lien entre les époques. La mise en scène de Kwan joue également de ses différentes temporalités. La caméra se fait d’emblée virevoltante lors de la scène d’ouverture dans la maison close, et toutes les astuces narratives (le marivaudage entre Leslie Cheung et Anita Mui) et visuelles (les cadrages avantageux, la photo tout en nuances) sont là pour magnifier les joies et douleurs du couple en 1934. À l’inverse, le Hong Kong moderne et urbain s’avère terne et impersonnel (toutes les allusions aux lieux du passé transformé en vulgaires commerces), ce qui se voit prolongé dans le couple qui aide Fleur dans le monde contemporain.

Stanley Kwan oppose ainsi, malgré l’issue douloureuse, un passé où l’on était prêt à se suicider par amour, avec le présent où le couple moderne est certes plus serein mais également confiné dans un confort sans flamme ni passion. Le dialogue lors duquel ils s’avouent qu’ils ne se suicideraient pas l’un pour l’autre souligne ce point, et plus encore leur scène de sexe plus explicite mais quelconque, comparée au moindre frôlement entre Anita Mui et Leslie Cheung. Une révélation en conclusion atténuera quelque peu cette vision trop manichéenne et finalement rendra le message du film plus fort encore. Rouge devient alors finalement un pendant asiatique à Lettre d’une inconnue et de la réunion d’un couple ; l’enjeu devient plus beau encore dans la volonté de cette femme de finalement trouver la paix et renoncer à son attente. La regrettée Anita Mui, exceptionnelle de bout en bout (et qui récoltera de nombreuses récompenses pour ce rôle qu’elle a tant souhaité) atteint encore dans ses derniers instants une émotion vibrante, tandis que Stanley Kwan capte son regard perdu avec un brio formel envoûtant. L’émotion est d’autant plus grande que de fantômes de fiction, Leslie Cheung et Anita Mui (tous deux disparus en 2003) en sont désormais devenus ceux d’un certain âge d’or disparu du cinéma de Hong Kong.

Justin Kwedi.

Rouge de Stanley Kwan. Hong Kong. 1987. En salles le 10/04/2024 dans le cadre de la rétrospective Stanley Kwan, le romantisme made in Hong Kong.

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