En pleine explosion du registre heroic bloodshed à Hong Kong, Taylor Wong débarque en 1987 avec Rich and Famous et sa suite Tragic Hero, paradoxalement sortie avant le premier opus. Chow Yun-fat, Alex Man et Andy Lau reviennent bousculer les éditions Spectrum dans un coffret Blu-Ray constitué des deux films.
Pour rembourser une dette, Yung, joueur invétéré, va entraîner dans son sillage sa sœur et son demi-frère. Menacés par des membres d’une Triade, Chu se rapproche de Chai, un caïd du crime organisé qui va les prendre sous son aile… Une guerre violente entre seigneurs de gangs rivaux va alors se déchaîner.
En 1987, Le Syndicat du crime vient de sortir et le paysage cinématographique hongkongais s’en voit quelque peu transformé. C’est dans ce contexte que Taylor Wong bénéficie de la notoriété grandissante de Chow Yun-fat en l’érigeant comme baron de la pègre aux côtés des frères Yung (Alex Man) et Kwok (Andy Lau). Mais Taylor Wong n’est pas le seul architecte de son film, que beaucoup attribuent en fait au producteur Johnny Mak, aussi réalisateur du devenu culte Long Arm of the Law (1984). Ce dernier ne prend pas la direction esthétique de John Woo et jette un nouveau regard à l’heroic bloodshed. Ici, pas de glamour et de charisme à outrance, ni même de valeurs qui gravitent autour de l’honneur et de la loyauté. Rich and Famous est autrement plus désespéré qu’il ne démystifie les gangsters et ne raconte le destin tragique de deux frères, dont l’un doit sans cesse assurer la survie de l’autre et l’autre la réussite de l’un. La fraternité conduit les actions des protagonistes au sein d’un Hong Kong au bord de la rupture, présenté dès l’introduction comme un espace insalubre en pleine explosion démographique où la misère et l’insécurité règnent en maître.
Si l’on dit souvent que l’industrie hollywoodienne réinterprète beaucoup de codes du cinéma hongkongais, l’inverse est tout aussi vrai. Taylor Wong emprunte aussi bien au Parrain (1972) de Coppola et au film de gangsters américain des années 1970 qu’aux scènes d’action intelligibles de Brian de Palma. L’esthétique de la violence et la balistique, elles, découlent directement du style enflammé de John Woo. Rich and Famous témoigne pourtant de certains problèmes de rythme, de réalisation et d’écriture qui ne permettent pas de l’ériger au niveau de ses références, à commencer par le manque d’originalité de l’histoire et le repos du film sur la persona des acteurs. Chacun livre une performance honorable mais insuffisante pour accompagner la tragédie du métrage. Chow Yun-fat tourne dans pas moins de 12 films en 1987, dont Rich and Famous, ce qui pourrait expliquer le jeu relativement indolent du personnage. Les longues scènes de dialogue ont également tendance à rompre le rythme de l’action et des scènes (déjà peu présentes) d’affrontement. Restent les excellentes 15 dernières minutes, et la touche féminine appréciable de Carina Lau qui vient donner des enjeux aux protagonistes dans leur ascension pour le pouvoir et atténuer le virilisme ambiant. Tout de même, ces apparents défauts donnent du charme, comme bien souvent, aux productions hongkongaises, victimes de leur système mais pourvues d’une identité incomparable dans le paysage mondial des séries B.
Bonus
Présentation par Arnaud Lanuque : comme à son habitude aux éditions Spectrum, l’auteur de Police vs Syndicats du crime permet au spectateur de lancer un nouveau regard sur les coulisses des tournages et des productions. Il met en avant la difficile entreprise qu’est ce choix de casting royal pour la seconde moitié des années 1980 hongkongaises, obligeant à jongler entre les plannings des stars. Face à cette difficulté, Arnaud Lanuque nous apprend la technique très prisée de multiplication des équipes : l’équipe principale dirigée par Taylor Wong, une équipe secondaire par David Lai (réalisateur de Lonely Fifteen), une autre en charge de l’action avec Bruce Leung à sa tête, etc. Tout un monde qui travaille de concert sous la tutelle de Johnny Mak.
Interview de Michael Mak : le frère de Johnny Mak, en charge de l’une des nombreuses équipes du tournage, revient sur le contexte de production bouillonnant de l’époque et donne au spectateur à apprécier encore plus les films de cet âge d’or hongkongais. Une précieuse anecdote qui en surprendra plus d’un : les patrons de la Golden Harvest, loin de tyrans, apportaient un soutien indéfectible à leurs artistes.
Richard Guerry.
Rich and Famous de Taylor Wong. Hong Kong. 1987. Disponible en Blu-Ray aux éditions Spectrum Films.