MUBI – Love After Love de Ann Hui

Posté le 24 mars 2022 par

MUBI vient de mettre en ligne Love After Love, nouveau film de Ann Hui et 3e adaptation de la romancière chinoise Eileen Chang que signe la cinéaste.

Weilong, une écolière de Shanghai, part à Hong Kong pour ses études et trouver du réconfort auprès de sa tante Mme Liang. Mais cet hôte a d’autres plans pour elle : l’adolescente est un atout précieux face aux hommes riches.

Love After Love est la 3e adaptation que Ann Hui consacre à la romancière chinoise Eileen Chang. Les deux précédentes, Love in a Fallen City (1984) et Eighteen Springs (1997) comptaient parmi les plus belles réussites de la réalisatrice, tout en s’inscrivant dans un moment essentiel de l’histoire de Hong Kong à leur sortie. Love After Love n’occupera malheureusement pas la même place et s’avère une transposition joliment illustrative, rien de plus.

Love After Love (publié en français sous le titre Deux brûle-parfums aux Editions Zulma) est un récit d’amour fou et de corruption morale dans lequel on retrouve les thématiques d’Eileen Chang sur la condition féminine dans la société chinoise des années 30/40. Ses livres observent souvent l’oppression d’un système social et patriarcal chinois dont les héroïnes oscillent entre soumission et émancipation marquée par l’influence de la culture occidentale – ce qui fut le cas d’Eileen Chang par l’entremise de sa mère. Dans Love After Love et d’autres romans, la possibilité de cette émancipation s’incarne souvent à Hong Kong, sous influence occidentale du colon anglais. C’est l’échappatoire de l’héroïne Weilong (Ma Sichun), jeune adolescente qui va se placer sous l’aile de sa tante Mme Liang (Faye Yu) afin de ne pas retourner en Chine avec ses parents. Mme Liang vit dans un quotidien de plaisir et d’opulence à l’occidentale, mais ceci est une façade. Ancienne concubine d’un nanti lui ayant laissé sa fortune, elle se partage entre les bras de jeunes amants pour son plaisir et ceux de riches protecteurs plus âgés afin de maintenir ce train de vie. Dans les deux cas, Weilong, comme elle le découvrira, constitue un appât de choix pour les intérêts de sa tante.

Ann Hui suit très fidèlement la trame du roman, mais sans choisir une voie et tonalité autre que lourdement explicative. Eileen Chang nous faisait découvrir les codes de cette société dont le vernis moderne dissimulait une veine patriarcale, mais dont les femmes assumant leurs perdition/corruption devenaient complices plutôt que victimes. L’aspect dominant/dominé prenait le pas sur la notion de genre, Mme Liang s’offrant à son tour un jeune protégé démuni à entretenir et duquel profiter. Tout le livre reposait sur une subtilité entre l’explicite et l’implicite de ces rapports viciés des individus. Le souci est que Ann Hui n’opère aucun choix narratif, thématique ou même esthétique pour traduire les nuances du livre. Le stupre ambiant n’est ni explicite dans les scènes de sexe timorées (ce qui aurait pu être un apport par rapport au livre), ni implicite dans l’atmosphère et le discours puisque les dialogues, situations et fausses bonnes idées formelles (la dichotomie couleur/noir et blanc mettant en parallèle le passé de la tante et le présent de Weilong) ne font que surligner lourdement des éléments aisément compréhensibles.

Le film aurait pu se rattraper en endossant, faute de cruauté, le romanesque désespéré du roman. N’ayant pas l’ambition et le sens froid du calcul de sa tante, Weilong va se perdre par amour pour le viveur métis George Qiao (Eddie Peng). Séducteur incapable de s’attacher et conscient de sa nature corrompue, il n’acceptera une union « officielle » avec Weilong qu’à la condition d’être entretenu. La fadeur du casting peine à rendre poignant ce dilemme et alors qu’à travers quelques ellipses subtiles, l’avilissement de Weilong marquait chez Eileen Chang. Ici, tout est est dit et montré sans laisser la moindre place à l’ambiguïté, au non-dit. Ann Hui dresse quelques pistes évoquant sa filmographie passée (les relations filiales difficiles ou encore le déracinement comme dans Song of the Exile (1990) notamment) mais sans la flamme, l’émotion.

Love After Love n’est donc dans l’ensemble qu’une coquille vide trop illustrative qui pèche par absence de direction forte. Les moyens sont là à travers une reconstitution fastueuse, les costumes d’Emi Wada (pour ce qui est sans doute son dernier film), la bande-originale de Sakamoto Ryuichi, la photo de Christopher Doyle. Mais tout cela ne semble viser qu’à façonner un bel écrin (la photo de Doyle plus pétaradante que stylisée) plutôt qu’une esthétique en adéquation avec le propos. Un livre d’image impersonnel et longuet pour ce qui sera une des rares déceptions venues d’Ann Hui.

Justin Kwedi

Love After Love de Ann Hui. Chine. 2020. Disponible sur MUBI

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