NETFLIX – All of Us Are Dead de Cheon Seong-il

Posté le 26 février 2022 par

Si quelques productions télévisées coréennes ont rencontrés un réel succès comme Kingdom et Hellbound, Squid Game a complètement redéfini les codes en faisant littéralement péter les compteurs. All of Us Are Dead, disponible sur Netflix, semble suivre une destinée tout aussi glorieuse dans les cimes du box-office en ligne. Mais qu’a cette énième itération en mode zombie de plus que les autres ?  

Depuis quelques années, la plateforme de streaming Netflix cherche à augmenter son vivier de production en ligne en investissant dans des pays producteurs de contenus cinématographiques et télévisuels reconnus. Sur le marché asiatique, la Corée du Sud est apparue comme une mine d’or grâce à production locale très active et surtout réputée pour sa qualité et son éclectisme. Les dramas semblent depuis quelque temps puiser allégrement dans les webtoons, nouvelle source intarissable d’histoires qui ont déjà séduit un public de lecteurs s’étendant de l’Asie aux USA. Comme ses confrères américains qui adaptent toutes sorte de liscences issus du medium comics, All of us are dead trouve son inspiration dans un récit séquentiel numérique publé en 2011 racontant une invasion zombie dans un lyée coréen.

Le zombie, quant à lui, et depuis sa première représentation dans le cinéma moderne des années 60, en pleine mutation du genre hollywoodien, est passé d’une figure de la contre-culture à une icône populaire du genre horrifique. Si cette créature semble depuis, avoir perdu de son mordant à force de récupération industrielle par la culture geek, jusqu’à en perdre tout son sens de subversion, elle finit par trouver un souffle nouveau du côté de l’Asie et plus particulièrement en Corée du Sud avec le choc de Dernier train pour Busan.

Si actuellement ce type de films, et plus encore, sa déclinaison virale de films d’infectés prend un tout autre sens et s’impose comme un miroir déformant de notre monde en crise, cette nouvelle série All of Us Are Dead créée par Cheon Seong-il embrasse son caractère politique en prenant de front un problème qui gangrène la société coréenne et pas que, à savoir le harcèlement scolaire. Un thème annoncé dès la scène d’ouverture dans sa description frontale et violente du martyre que subit le fils du professeur de science du campus de Hyosan, roué de coups par les brutes du lycée. Son comportement défensif, presque enragé, apparaît alors comme le premier symptôme d’un virus (im)mortel créé par un père, véritable génie scientifique, impuissant devant la détresse de son fils et en butte au silence et l’inaction des autorités compétentes. Sur le temps du premier épisode, le show runner et son équipe artistique posent le décor, à savoir l’immense campus de Hyosan qui semble accueillir tous les ados de la ville, et présentent ses nombreux personnages d’étudiants, de professeurs et de parents d’élèves. Rapidement sont énoncés les enjeux de survie, d’abord en milieu scolaire puis face à l’épidémie mortelle qui se répand à une vitesse galopante dans l’enceinte de l’établissement puis en dehors. Le créateur décrit sous le vernis d’un genre horrifique ce passage à l’âge adulte qui apparaît comme un rite cruel et impitoyable et va libérer cette catharsis qui concentre toutes ces frustrations, et les peurs.  

All of Us Are Dead parvient non sans mal à trouver une forme d’équilibre entre les codes d’un genre bien balisé pour mettre en valeur ses thématiques et trouve dans les mécaniques du drama coréen, pas toujours subtiles, une efficacité du récit. La série réussit dans un même temps à enrichir les caractères stéréotypés de ses personnages. Cette situation d’urgence pousse ses jeunes protagonistes à se révéler, à enlever leur masque social et s’affirmer tels qu’ils sont dans cette situation d’urgence. Une crise propice pour révéler les alliances et les trahisons, les antagonismes et les sentiments refoulés. Si chacun des personnages aura le droit à sa petite histoire et développement substantiel, il y a ce personnage féminin du groupe de survivants, habillé de son gilet rose, dont on ne retiendra guère le nom et qui restera un mystère pour le spectateur. Est ce une volonté des scénaristes, dans un but plut réaliste des dynamiques de groupe, d’introduire un personnage pour le moins secret et auquel aucun autre  de ses camarades ne va finalement s’intéresser dans le fond. On aura le droit, bien sûr, aux sentiments amoureux inavoués du couple principal de lycéens porté par l’excellente Park Ji-hoo, révélée dans l’excellent House of Hummingbird de Kim Bo-ra, et qui donne quelque intérêt à ce jeu un peu longuet de je t’aime moi non plus. Son prétendant, lui, gagnera plus en caractère dans sa rivalité avec la brute du lycée, à qui Yoo In-soo prête ses traits à l’increvable méchant charismatique qui chasse sans relâche le groupe de survivants. 

Cette quasi invulnérabilité de cet harceleur borgne apparaît clairement comme une incarnation de ce mal qui corrompt la jeunesse, un mal épidémique que les autorités ne semblent pas prendre en compte, comme le montre si bien le principal de l’établissement plus intéressé par la réputation de son lycée que par les violences que subissent ses élèves. Si aucun des jeunes ne parvient à en venir à bout, c’est peut-être tout simplement que son origine ne vient pas du système scolaire mais qu’elle prend racine dans des failles plus profondes de la société. Cette lutte entre le jeune héros et son nemesis trouve son point d’orgue dans la scène spectaculaire se passant dans la bibliothèques du lycée.

Au fur et à mesure du récit, les enjeux s’étendent au rythme de l’épidémie et introduit de nouveaux personnages et survivants, multipliant de ce fait les points de vue sur cette crise épidémique. Si l’histoire s’éparpille dans les sous intrigues et perd parfois en cours de route son sujet principal, elle entend donner un panorama plus large des problèmes de la société coréenne. Peut-être parce qu’elles sont périphériques, ces trames scénaristiques paraissent sous exploitées voire un peu trop caricaturales. On aurait aimé voir un développement plus pertinent sur l’armée, destination obligatoire des jeunes hommes après les études et épreuve toute aussi difficile et violente que le lycée, et qui semble répéter ad nauseam les mêmes clivages. Le périmètre s’arrête malheureusement à la base militaire et zone de quarantaine et ne s’étend au-delà que le temps d’un flash info. C’est dommage car l’auteur s’autorise pourtant à fustiger, le temps d’une scène, les autorités religieuses et leurs hordes de bigots, ce qui est pour le moins subversif. Mais il rentre vite dans les clous et ne sortira plus de cette frontière. Peut-être se garde-t-il de côté quelques thématiques bien brûlantes pour la prochaine saison.  

Si on peut sentir une frustration en raison de la concentration des intrigues et des enjeux, la série, consommée d’une traite, paraîtra assez répétitive dans sa progression narrative et mériterait d’être raccourcie de deux épisodes au moins. Cela ne l’empêche pas de mettre la barre assez haut en terme de production value. Ses réalisateurs s’en donnent même à cœur joie dans les scènes d’action, notamment cet incroyable plan séquence qui ouvre le second épisode et qui décrit l’assaut du réfectoire bondé d’étudiants par une horde de zombies affamés. Un beau moment de bravoure. Et pour ce qui est du gore, on peut dire qu’ils ont les coudées franches. L’histoire, quant à elle, s’enrichit à mesure qu’elle tente de décrire la survie des personnages en abordant des détails pratiques et plus réalistes dans certaines situations. Cela apporte une forme de crédibilité à leurs apitoiements, tout comme le soin apporté aux maquillages des acteurs qui, à mesure que l’histoire progresse, reflètent sueur, fatigue et manque de sommeil, bien loin des looks cools des stars de K pop. 

Si la série All of Us Are Dead ne parvient pas toujours à surpasser certains clichés inhérents au dramas coréens et au genre même du zombie, sa patine technique, l’efficacité de son récit et ses personnages attachants, tous au service d’une même thématique sociale forte et universelle, sont les ingrédients de son succès ô combien mérité. Avec son traitement frontal et sa réelle dévotion au genre dénué de tout cynisme et de discours méta (quoique), All of Us Are Dead est un modèle de réussite dans le genre, sans pour autant atteindre les sommets de Kingdom. 

Martin Debat

All of Us Are Dead de Cheon Seong-il. Corée du Sud. 2022. Disponible sur Netflix