BLACK MOVIE 2020 – HOUSE OF HUMMINGBIRD de Kim Bo-ra

Posté le 8 février 2020 par

Le premier long-métrage de Kim Bo-ra, House of Hummingbird, triomphe dans le circuit festivalier depuis sa première et vient de remporter le prix du jury et celui des jeunes au Festival Black Movie à Genève.

L’histoire se déroule à Séoul, pendant l’été 1994. Eun-hee est collégienne. Elle cherche sa place entre des parents qui se disputent, une sœur aînée qui fait le mur et un frère qui a la main lourde. Elle a un petit-ami mais n’est pas très populaire à l’école. L’arrivée d’une nouvelle professeure dans l’institut privé où elle prend des cours de chinois va changer la façon dont Eun-hee voit le monde qui l’entoure.

 

Rares sont les premiers films aussi maîtrisés, que ce soit formellement, dans la direction des acteurs, ou dans la narration. House of Hummingbird est pourtant de ceux-là. Traversé par la grâce de la première à la dernière image, le film nous transporte dans l’âge fragile de l’adolescence, au sein d’un pays qui connaît lui aussi une transition importante.

Le quotidien de Eun-hee est compliqué : petite dernière d’une fratrie, c’est son frère qui centralise tous les espoirs de ses parents qui se disputent constamment. Elle subit régulièrement les violences de son aîné et trouve refuge à l’extérieur de la maison, auprès de ses amis ou de son petit-ami. On apprend au détour d’une conversation avec sa meilleure amie, que cette violence domestique est banalisée, et que son amie la subit également. Plus généralement, on comprend que cette violence est celle d’un pays machiste, hanté par une décennie de brutalité et en pleine transition économique.

Ce qui impressionne dans le film de Kim Bo-ra, c’est sa capacité à mettre en parallèle avec une fluidité déconcertante une Eun-hee qui grandit avec un pays qui subit lui aussi des mutations. La sphère intime de l’héroïne est montrée avec délicatesse et douceur, pour autant, la menace n’est jamais loin : la violence d’un frère, le manque d’attention et d’amour, la recherche de soi dans un pays qui n’autorise pas les individus à sortir de la norme. Kim Bo-ra ne désigne jamais les victimes, ni les bourreaux. Elle dresse le constat d’un pays à un moment précis de son histoire et l’impact que cela a sur la cellule familiale et ses membres.

Le film est à l’image de sa musique, composée par Matija Strniša. Au premier abord, c’est la douceur et le charme qui le caractérisent, un élan pop, jusqu’à l’arrivée de vagues de mélancolie qui envahissent alors le cadre. Les scènes s’enchaînent dans une ambiance aérienne, parfois clippesque : on se balade main dans la main, on danse avec des amies, on fume ses premières cigarettes en secret. Puis tout à coup, c’est un dur retour à la réalité : « Il y a tellement d’absurdité, n’est-ce pas ? ». Cette phrase prononcée par Young-ji, la professeure de chinois de Eun-hee, illustre parfaitement cet âge où l’on commence à voir le monde avec des yeux moins innocents.

Kim Bo-ra invoque le cinéma d’Edward Yang dans ce qu’il a de plus beau : la poésie du quotidien, la volonté de montrer un pays à travers un récit personnel. Pour autant, elle trouve son propre style et nous offre un regard féminin, bienveillant mais lucide sur ce qu’est l’entrée dans l’âge adulte dans une Corée où il aurait été plus simple d’être un homme. On peut regretter de petites longueurs sur la dernière partie du film, que l’on pardonne volontiers, tant l’ambition formelle et narrative de la réalisatrice n’est jamais un frein à l’émotion et la sincérité.

House of Hummingbird est un film atmosphérique, dont la musique résonne bien après le générique de fin. Reste en nous la question posée par Young-ji à Eun-hee, et qui hante notre visionnage dès lors qu’elle est posée : « Parmi tous les gens que tu connais, combien comprennent ce qui se passe en toi ? »

Marie Culadet

House of Hummingbird de Kim Bo-ra. Corée. 2018. Projeté au Black Movie 2020.

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