En 2014, fort de déjà plusieurs dramas à son actif, le réalisateur Kim Won-seok livre sa vision du monde de l’entreprise à la chaîne tvN avec le drama Misaeng. Peut-être est-ce là l’une des plus belles productions sérielles de la péninsule coréenne, entièrement disponible sur Netflix.
Jang Geu-rae, qui vivait jusque-là de petits boulots et de sa passion pour le jeu de Go, est contraint de décrocher un emploi plus conventionnel dans une grande entreprise d’import-export de Séoul. Il a 26 ans, aucune expérience, est peu confiant, et n’a jamais fait de grandes écoles, ce qui le différencie radicalement de ses camarades et rivaux stagiaires pour qui le mystérieux piston de Jang Geu-rae est injuste. C’est au sein de l’excentrique équipe 3 du département des ventes qu’il tentera de trouver sa place et de gagner la confiance de ses coéquipiers.
Lorsqu’un projet décide de s’attaquer au monde de l’entreprise, des cols blancs, du quotidien d’un employé et de la pression qui en découle, nombrs de cinéastes choisissent d’adopter un ton dramatique proche du thriller au cynisme bien senti (Money de Park Noo-ri, Default de Choi Kook-hee, The Terror Live de Kim Byung-woo et tant d’autres). Aussi la Corée du Sud est-elle internationalement reconnue comme place forte des finances et du commerce en Asie, où beaucoup évoluent dans un environnement bureaucratique difficile, astreignant et inflexible vis-à-vis des protocoles, des traditions ou de la hiérarchie. Comme au Japon, en parler est complexe, mais Kim Won-seok débarque avec Misaeng, une comédie anormalement douce sinon réconfortante, sillonnant aussi bien le drame que la romance (à l’image des ondes positives transmises par Reply 1988, aussi sur Netflix).
Ce récit d’émancipation est porté par le timide mais non moins attachant Jang Geu-rae (interprété par Yim Si-wan), sans expérience et contraint malgré lui de rejoindre une boîte d’import-export – sous la recommandation d’un mystérieux supérieur – où il devra trouver sa place parmi les têtes sur-diplômées sorties de l’université qui se mènent une guerre concurrentielle pour décrocher un poste à temps plein. Un florilège de personnages tantôt réservés, tantôt lunatiques, mais toujours charmants, accompagnent le jeune dérouté dans son parcours. Du chef d’équipe implacable de la Team Sale 3 (Lee Sung-min) à la stagiaire ambitieuse (Kang So-ra) en passant par l’orgueilleux du département (Kang Ha-neul), tous sont bien décidés à lui mettre des bâtons dans les roues. Les valeurs véhiculées par la série restent simplistes, mais vont en un sens à l’encontre du fonctionnement local. Jang Geu-rae, sans compétences mais joueur assidu de Go, apprendra à tourner ses talents d’observation et de stratégie à son avantage, prônant ainsi les qualités de l’individu au sein du groupe. Par ailleurs, « misaeng » est un terme du jeu signifiant « vie incomplète », soit exactement ce que ressent le héros de la série.
Misaeng reflète toutes les particularités, de la plus incompréhensible et douteuse à la plus amusante, du capitalisme coréen à l’échelle de l’entreprise. Boire avec son supérieur au point de finir saoul sur le bas-côté ? C’est possible. Aller fumer sur le toit toutes les dix minutes quitte à ce que la productivité de l’équipe en pâtisse ? Théoriquement impossible, mais tout le monde le fait. Grâce à ces moments de répit, où l’on apprend à aimer les protagonistes au travers de leurs doutes, personnalités et discussions, les scènes de tension dans les bureaux (lors d’un krach ou d’un pépin) gagnent l’implication émotionnelle du spectateur, qui se prend au jeu et se bat pour la réussite des employés. Traiter un si grand nombre de personnages sur un même pied d’égalité impose finalement le respect, et quitter ce petit microcosme à l’issue des 20 épisodes s’annonce aussi dur que le plus déchirant des drames.
Au même titre que Mad Men aux USA, Misaeng est devenu un véritable phénomène de société en Corée du Sud. La série dépeint de manière juste la vie de bureau, au premier comme au second degré, avec toutes les satires et les critiques du système que cela implique, tout en transformant le plus modeste des employés en héros. 20 épisodes de bonheur à dévorer depuis le riche catalogue de dramas sur Netflix.
Richard Guerry.
Misaeng de Kim Won-seok. 2014. Corée du Sud. Disponible sur Netflix.