VIDEO – Mr. Six de Guan Hu : compartiments à Beijing

Posté le 24 septembre 2021 par

Parmi les sorties Spectrum Films de 2021 se trouve Mr. Six, un film que Guan Hu a réalisé en 2015, bien avant d’exploser le box-office chinois avec La Brigade des 800. Retour sur ce thriller dramatique dont le personnage principal est campé par le cinéaste Feng Xiaogang.

Mr. Six est un ancien criminel. Dans la banlieue de Beijing, il est respecté et écouté pour régler les différends, y compris s’il faut s’interposer face aux agents de police. Sa relative tranquillité dans un quotidien à mi-chemin entre souvenirs de sa bande mafieuse et retraite méritée est bouleversée lorsque son fils est enlevé par une bande de délinquants juvéniles. Il est accusé d’avoir dragué la copine de leur boss et rayé sa Ferrari en représailles des invectives de ce dernier. Mr. Six propose de le dédommager, alors qu’il n’a pas un sou. Il va donc collecter de l’argent auprès de ses soutiens. Mais la situation dégénérera et il ne sera pas au bout de ses peines.

Mr. Six n’est ni un blockbuster chinois devant demeurer lisse pour plaire au plus grand nombre, ni un film indépendant au budget modeste voué à tourner en festivals. Il s’agit d’un film de moyenne envergure, capable de mettre en scène des vedettes renommées dans des contours scénaristiques intrigants. Ce genre de production chinoise est peu diffusée à l’international. Mais à l’instar d’autres industries cinématographiques à maturité, ces productions de moyenne taille sont pourtant propices, si ce n’est à l’innovation totale, à une prise de risques en matière de développement, pour mieux surprendre, perdre ou saisir le spectateur.

Le metteur en scène Guan Hu s’essaie, dans Mr. Six, à développer diverses couches narratives. Si le spectre mafieux plane sur tout le film et lui donne sa tonalité générale, l’intrigue est compartimentée de telle manière que la fin d’une partie ne laisse rien augurer de la suivante. Pour cela, Guan Hu s’appuie sur les décors de Beijing. Le premier segment de l’intrigue se déroule dans la banlieue, dans un milieu populaire de retraités ; sorte d’image d’Épinal de la Chine véhiculée dans les premiers films des cinéastes des cinquième et sixième générations : un pied dans la campagne fraiche du nord-est, des petites ruelles et des déplacement à vélo. Ce passage se déroule à l’image de la vie que mène à ce moment le personnage de Mr. Six : celui d’un retraité, d’un petit vieux, dont le passé de voyou impose le respect jusqu’à la jeunesse de son milieu mais qu’il tend à vouloir laisser dans les limbes. Le second compartiment est une progression dans l’urbanité, un retour dans son milieu d’origine et donc dans une criminalité plus viscérale, puisqu’on rentre au centre de Beijing après un passage de course poursuite en voiture sur l’immense autoroute. Le troisième compartiment se situe dans un milieu bourgeois, où l’antagoniste de Mr. Six, interprété par Kris Wu, semble tout droit issu du milieu de la C-pop, porte des tenues extravagantes et roule dans de multiples voitures de luxe. Le franchissement de ces compartiments est abrupt, et une fois l’enjeu indiqué – aller chercher son fils  – la perte de repère est si totale qu’il est impossible de présager des péripéties et des violences à venir. Le film de Guan Hu se montre très malin et prend bien garde à ne tomber dans aucun gimmick du film à suspense – il n’y a par exemple aucun fusil de Tchekhov. L’intérêt que peut porter le spectateur à cette proposition réside en partie dans cette mise en scène progressive, mais aussi dans la composition de Feng Xiaogang qui porte le film à bout de bras. Son phrasé impeccable, son air renfrogné qui montre qu’il a vécu assez de choses pour ne rien craindre, son air détaché qui le met au-dessus de la mêlée, font de Mr. Six un protagoniste tout à fait charismatique.

S’il y a une intention qui se dessine passée la moitié du film, il s’agit bien de la fracture générationnelle. Une ancienne bande de voyous a affaire à des délinquants littéralement au-dessus des lois. Le code d’honneur des anciens membre des triades est jeté au rebus. Guan Hu fait là tourner une spécificité de la narration du cinéma chinois continental : le ressenti du malaise social est dans l’intériorité des personnages et ne se manifeste pas immédiatement par des effusions d’insultes ou de coups. Les protagonistes se jaugent, se testent, l’une des deux parties tente le compromis, et lorsque l’un dépasse les limites, il subit une clé martiale qui l’arrête mais ne l’invalide pas. La mise en scène prend le temps de montrer cette confrontation psychologique et on ne peut que constater l’impasse dans laquelle les protagonistes se placent, menant ainsi à une rupture nette.

Mr. Six devient alors un film au suspense haletant, prenant certaines directions artistiques tout à fait intéressantes, tant narratives que picturales – l’autruche qui fuit l’enfermement est un moment délicieux. La toute fin du film se démontre toutefois décevante : la scène de la guerre des gangs finale est filmée du point du vue du rythme d’un vieillard fatigué, ce qui la rend désagréable ; et elle est précédée d’une action de Mr. Six incohérente dans sa diégèse et qui rappelle, sans doute, que le bureau de censure a mis son grain de sel dans la production.

Bonus de Spectrum Films

Guan Hu par Brigitte Duzan (14 minutes). Brigitte Duzan, spécialiste en cinéma et littérature chinois, revient sur la carrière atypique de Guan Hu et le présente comme l’un des meilleurs cinéastes chinois actuels. On y apprend que Guan Hu a débuté en 1994 avec une comédie, genre qui deviendra sa spécialité, et qu’il est parfois improprement affilié à la sixième génération. Bien que les dates concordent, Guan Hu n’a pas le même profil underground que des cinéastes tels que Jia Zhang-ke ou Wang Xiaoshuai, lui qui a toujours eu à cœur d’obtenir les visas de censure, quitte à valoriser le fond qu’il a mûrement pensé modulo quelques ajustements de forme. Le bonus se présente avec un carton qui précise le pourquoi de l’absence du film Cow de ce qui devait être un double Blu-ray comme annoncé dans la communication de Spectrum Films. Le master était inexploitable. Nous aurions bien voulu voir Cow, mais Spectrum Films joue la transparence et cela est louable.

Présentation de Panos Kotzathanasis (5 minutes). Panos Kotzathanasis du site anglophone Asian Movie Pulse présente Mr. Six et ses composantes – intrigue, acteurs, qualités – avec fluidité. Son avis est une vue limpide sur le film.

Modules promotionnels (35 minutes). Découpé en plusieurs modules, le premier, de quatorze minutes, est le seul qui vaille vraiment le détour. Guan Hu et Feng Xiaogang sont interrogés minutieusement sur la façon dont il ont abordé le film. Il est intéressant d’écouter Feng Xiaogang, qui est cinéaste et seulement occasionnellement acteur, ainsi que la façon dont est perçu ce grand nom du cinéma chinois parmi l’équipe.

Maxime Bauer.

Mr. Six de Guan Hu. Chine. 2015. Disponible en combo DVD/Blu-ray chez Spectrum Films le 31/08/2021.

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