VIDEO – Le Pardon de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha

Posté le 15 février 2022 par

Passé par le Compétition du 71e Festival de Berlin, cette fable morale participe de l’assise du cinéma iranien au panthéon des meilleurs au monde ces derniers mois. Moins exposé que Le Diable n’existe pas (Ours d’Or – Berlin 2020), La Loi de Téhéran (Grand Prix et Prix de la Critique – Reims Polar 2021) ou Un Héros (Grand Prix – Cannes 2021), Le Pardon, disponible en DVD depuis le 1er février chez KMBO, offre pourtant à son duo d’auteurs l’occasion d’explorer, avec intimité, les limites juridiques consubstantielles à la peine de mort.

Si l’Iran reste l’un des pays les plus prisés en festival et toujours l’un des plus chéris par les cinéphiles européens, c’est parce que mieux qu’aucun autre, il explore avec complexité et humanisme les cas de conscience et les ressorts moraux de la vie humaine. Que ce soit chez Kiarostami, PanahiMakhmalbaf, Farhadi ou Rasoulof (pour ne citer qu’eux), la vie et son enfer pavé de bonnes intentions s’y déploient avec profondeur. La co-réalisatrice et actrice principale Maryam Moghadam le déclare elle-même : « L’une des qualités spécifiques du cinéma iranien est sa transparence quant aux problèmes humains et sociaux rencontrés dans le pays, malgré la censure qui y est forte. Les films qui arrivent à dépeindre cette réalité peuvent exercer une grande influence. Ils permettent de créer des ponts entre le peuple d’Iran, d’ordinaire isolé, et le reste du monde ; une fenêtre grâce à laquelle ils peuvent se voir ».

 

Iran, de nos jours. La vie de Mina est bouleversée lorsque son mari est condamné à mort. Elle se retrouve seule, avec leur fille à élever. Un an plus tard, elle est convoquée par les autorités qui lui apprennent qu’il était innocent. Alors que sa vie est à nouveau ébranlée, un homme mystérieux vient frapper à sa porte. Il prétend être un ami du défunt et avoir une dette envers lui.

Le tout commence par un extrait de la sourate de la Vache (Al-Baqarah), la plus longue sourate du Coran : « Et rappelez-vous lorsque Moïse dit à son peuple : « Allah vous a ordonné d’immoler une vache. » Ils dirent : « Nous prends-tu en moquerie ?« . De ce point de vue, le titre original (La Ballade d’une vache blanche) apparaît plus opportun que le choix du titre français. La sourate soulève la question de l’indignation naturelle des hommes et des femmes face à l’apparence injustice de la fatalité divine. En résulte, dans le film, un ressort tragique, antique presque, comme Antigone : la rébellion d’une femme face à la loi. Sur ce sujet, la co-réalisatrice s’est aussi exprimée : « Malgré l’aspect moderne de la vie iranienne, les lois sont basées sur la charia islamique. La vache dans les cérémonies religieuses fait généralement référence au sacrifice. Dans notre film, la vache blanche est une métaphore d’un innocent condamné à mort et dans le Coran la sourate dite « de la vache » renvoie à la loi du Talion (« Quessas »). Le Quessas impose une réciprocité ou une restitution en cas d’atteinte à la personne, où par exemple une valeur monétaire est affectée à la vie humaine ou même à des parties du corps« .

Inspiré de l’histoire vraie de la mère de l’actrice, qui s’appelait comme la protagoniste Mina, et de son père condamné à mort et sans jugement  pour des raisons politiques, Le Pardon est une exploration autobiographique du rapport des femmes (et notamment des mères) à la peine de mort. Complémentaire de Yalda, la nuit du pardon, ce film-ci s’en distingue par trois faits, importants ou anecdotiques : la place de l’imaginaire coranique pour formuler l’enjeu moral et le hiatus social en question, le métro de Téhéran (vu pour la première fois dans un film iranien), la représentation d’un enfant atteint de handicap physique (la surdité).

Cependant, ce que le film donne à voir d’universel, c’est l’injustice à laquelle l’épouse et les deux frères du condamné à mort sont confrontés lorsqu’on leur apprend que le défunt s’est avéré, un an après, innocent. À partir du dédommagement de 270 000 tomans qui leur est proposé, va se dérouler tout un panel de changements auxquels seront confrontés tous les personnages, y compris le juge. La froideur clinique de la mise en scène sert d’écrin apparemment neutre pour servir le scénario et l’interprétation des acteurs. Toutefois, un motif de cadrage revient souvent : des personnages apparaissent en petit au cœur d’un plan d’ensemble, pris dans la profondeur de l’espace, comme ce plan où Mina se recueille sur la tombe de son mari, sous un ciel de plomb. Le co-réalisateur Behtash Sanaeeha déclare à ce sujet : « Nous utilisons souvent les éléments architecturaux pour créer l’atmosphère de nos films. Les couloirs et les escaliers, ainsi que les portes et fenêtres qui s’ouvrent et se referment, amènent le spectateur à réfléchir à ce qu’est la liberté. Nous essayons toujours d’apporter du minimalisme et de la simplicité dans nos films, en évitant les mouvements de caméra non nécessaires ou les mises en scène trop compliquées« .

Le scénario reste la force principale du Pardon. Scellant des relations éminemment dramatiques entre les personnages, construit autour de révélations progressives aux répercussions tragiques, le film avance dans une sérénité assourdissante. Dans tout cela, un espace réside pour que le spectateur puisse rester juge de ce qu’il voit et entend (le film jouant justement beaucoup sur l’indicible et le non-dit).

BONUS

Le DVD offre deux bonus, d’une durée de 20min chacun.

Un entretien tourné en octobre 2021 du couple de co-réalisateurs sur l’origine du projet, leur mode de collaboration, la faculté de Maryam Moghadam à être actrice principale et réalisatrice…

Puis un making of du tournage. Très intéressant, il permet notamment de voir les coulisses d’un tournage iranien (qu’on présume bien différent d’un français ou d’un états-unien) et d’une réalisation intimiste. Anti-spectaculaire, ce bonus permet de saisir l’artisanat d’un plateau de cinéma, les répétitions avec le planning de tournage au mur, le comparatif entre les séquences du film et les instants de prises de vue, toute la logistique technique d’un « prêt-à-tourner » .

Flavien Poncet

Le Pardon de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha. Iran. 2020. Disponible en DVD chez KMBO le 01/02/2022