EN SALLES – Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof : Ombres en lumière

Posté le 1 décembre 2021 par

L’auteur du beau Un Homme intègre poursuit, avec Le Diable n’existe pas, film ambitieux et fragmenté, Ours d’or en 2020, une œuvre courageuse et singulièrement politique. C’est en salles dès aujourd’hui !

Comment Mohammad Rasoulof, cinéaste iranien dont on connaît les persistants démêlés avec son gouvernement, peut-il encore aujourd’hui réaliser un film aussi ambitieux, d’une telle durée (2h30) et autour d’un sujet aussi délicat, pour sa propre situation comme celle de ses collaborateurs, que la peine de mort ? C’est au moins l’une des questions que l’on se pose avant, pendant, et après la vision du Diable n’existe pas. Composé de quatre sketchs (« fragments », moins connoté, serait un mot plus adéquat), le film se veut un accompagnement de trajectoires distinctes, dont le lien n’est pas une évidence, autour donc d’un sujet dont Le Pardon traita récemment avec puissance. Le risque du film fragmenté étant bien sûr de ne pas savoir gérer l’alternance, la succession non articulée de récits autonomes, Rasoulof a fait le choix bénéfique de la diversité de styles et d’ambiances.

Naturaliste, la première partie nous présente Heshmat, homme d’une quarantaine d’années, dans son quotidien de bon mari et père de famille attentif, via une succession de scènes courtes exposant une vie bien ordinaire. Avant que les dernières de cette bonne trentaine de minutes lèvent le voile sur sa profession en un enchaînement de plans proprement glaçant. Suit un tout autre monde, où l’on partage, dans un dortoir de prison cohabité par au moins six hommes, les tourments du jeune Pouya, appelé, dans le cadre de son service militaire, à effectuer dans quelques heures sa première exécution. Le novice ayant planifié une évasion nocturne avec sa fiancée Tamineh, on devient observateur de la naissance d’une rébellion, à ses risques et périls. Lui aussi appelé, le beau Javad a obtenu une permission pour rejoindre dans une maison de campagne, à l’occasion de son anniversaire, sa promise, la magnifique Nana. Après la légèreté des retrouvailles, la confrontation avec une vérité insurmontable, dont il est responsable, rabat totalement les cartes de leur destin commun. Enfin, Darya, étudiante en médecine d’origine iranienne élevée en Allemagne, vient passer quelques jours chez son oncle Bahram et son épouse Zaman. Séjour finalement révélateur d’une vérité remettant toute sa vie en jeu.

C’est un choix de rester flou dans la recension des détails de ces fragments, tant la réussite du film tient précisément à sa faculté à cultiver une incertitude, le doute quant au cheminement de chaque récit. Si un spectateur attentif peut certes anticiper ce que les personnages ignorent encore, le cinéaste parvient plus d’une fois à nous détromper. Ce titre, Le Diable n’existe pas, dit bien que les choix souvent radicaux, jamais anodins de ses protagonistes principaux ne tiennent pas à la seule division entre bonnes et mauvaises intentions, innocence et culpabilité. On peut certes avoir un rejet soudain pour un personnage jusqu’ici plutôt « respectable » (Heshmat par excellence, Javad dans une moindre mesure) ; admirer Pouya tout en constatant que son acte individuel aura fatalement des répercussions sur la vie de tous les témoins et complices plus ou moins directs de son projet de fuite. Mais ce qui fait de Rasoulof un bon cinéaste et du Diable n’existe pas, sinon un chef-d’œuvre (le dialogue peut parfois être trop explicite, certaines résolutions assez déceptives), au moins un film tenant largement la distance de son ambition, c’est une foi totale dans les rudiments de la mise en scène : frontalité, alternance intuitive des échelles de plans, foi dans la durée, la stase, le mouvement. L’incarnation.

Sidy Sakho.

Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof. Iran. 2020. En salles le 01/12/2021

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