Le Film de la semaine – Ma’Rosa de Brillante Ma Mendoza : Une mauvaise nuit

Posté le 30 novembre 2016 par

Loin de ses années de forte exposition, l’auteur de Serbis et Kinatay poursuit sa route avec exigence et modestie. Ma’ Rosa, qui valut cette année à Cannes le Prix d’Interprétation Féminine à Jaclyn José, est son meilleur film depuis Lola (2010).

Très en vue à la fin des années 2000 (en gros, de John John à Lola), Brillante Ma Mendoza s’est fait plutôt discret après l’échec de Captive en 2012. La sortie de Taklub en début d’année n’a de ce fait suscité aucune passion. Comme si, passée la découverte, le travail de portraitiste social de Mendoza, sa mise en lumière des malheureux des Philippines d’aujourd’hui, n’intéressaient plus la critique, ni même son petit public. D’où le fait que le Prix d’Interprétation féminine attribué à Cannes à Jaclyn José n’ait pas manqué de surprendre. Un film de Brillante Mendoza pourrait donc encore tenir une place de choix dans un grand festival, sept ans après le Prix de la Mise en Scène mérité du stupéfiant Kinatay ? Il faut croire.

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Ma’ Rosa est en tout cas en droite ligne de ce que nous connaissons et aimons de ce cinéma. On y suit dans la première partie les agitations très quotidiennes d’une famille de commerçants d’un quartier pauvre de Manille. Ma’ Rosa (Jaclyn José), la cinquantaine, est une femme entreprenante, très soucieuse de la bonne conduite de ses quatre enfants. Son mari, Nestor (Julio Diaz), semble un peu plus se laisser vivre. Parallèlement à leur échoppe, ils arrondissent leurs fins de mois dans le trafic de narcotiques. Ce business interlope, qu’ils ne sont sans doute pas seuls à pratiquer dans le quartier, est ce par quoi se détache un peu de mystère, dans ce qui ressemble d’abord à une modeste chronique.

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C’est en effet au motif de ce trafic qu’un soir la police s’introduit de force chez Rosa et Nestor. Manifestement dénoncés, ils sont conduits au poste sous les yeux des voisins et surtout de leurs enfants impuissants. L’irruption de l’exception dans la chronique provoque dans le film un rebond, consolidé par les scènes au commissariat. Ma’ Rosa et son mari, les flics le leur précisent très vite, ont une chance d’être libérés sans procès, à la condition de réunir au plus tôt (si possible dans les heures qui suivent) une somme conséquente. Face à la corruption policière, le petit trafic de famille apparaît finalement assez bénin. C’est aux enfants que revient de trouver l’argent, quitte à emprunter les voies les plus scabreuses.

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Alors que Raquel, l’étudiante prometteuse (Andi Eigenmann, la véritable fille de l’actrice Jaclyn José), fera le tour de la ville pour demander de l’aide à la famille, Erwin, l’aîné (Jomari Angeles), tente de vendre quelques biens, dont la télé familiale. Mais c’est Jackson (Felix Roco) qui prend l’initiative la plus folle, en vendant son corps à un homme mûr. Si la caméra de Mendoza n’est jamais accusatrice, il y a une douleur à observer ces très jeunes gens poussés dans leurs retranchements par cette situation critique. Douleur d’autant plus forte quand on sait que pour l’écriture, le cinéaste et son scénariste Troy Espiritu se sont inspirés d’une histoire vécue en 2012 par l’un des acteurs du film.

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On connaît le talent de Brillante Mendoza pour la captation des ambiances, l’installation d’une atmosphère. Si tout ce qui nous est montré reste fictionnel, on ne peut s’empêcher d’être saisi par la facture documentaire de chaque plan. Les quartiers de Manille sont aussi habités que l’était le cinéma dans Serbis (2008). On devine, par le biais des déplacements et du regard des enfants de Ma’ Rosa, que leur cas n’est pas particulier, que d’autres, sur lesquels ne s’attarde pas longtemps la caméra, auraient tout aussi bien pu être protagonistes de cette histoire. La porosité entre singularité et universalité est prégnante.

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Sans manquer de force, Taklub peinait à maintenir l’attention, tant les enjeux y étaient dilués, tant la part semi-documentaire semblait noyer les protagonistes principaux dans le bain de la grande histoire (la survie des rescapés du typhon Yolanda). Même si le point de vue du cinéaste reste inattaquable, le sujet s’y révélait trop vaste pour le récit, en faisant moins un film qu’un spot humanitaire. En se recentrant, dans Ma’ Rosa, sur une situation très précise et une poignée de personnages, Mendoza retrouve quelque chose de la puissance de Kinatay, où le sort d’un seul personnage (un jeune homme kidnappé) donnait une idée de la tension politique d’un pays.

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Les scènes au commissariat sont particulièrement brutales. Rosa, contrainte de dénoncer son fournisseur, le voit, une fois capturé, se faire tabasser comme un chien. Longtemps immobile, on en vient à le croire mort, lorsque sa compagne est à son tour convoquée et prévenue qu’elle ne pourra le récupérer que moyennant finance. De chronique, le film aura pris en un peu plus d’une heure la dimension angoissante d’un thriller. La tension de l’attente de Ma’ Rosa et Nestor, incertains du succès de l’entreprise de leur progéniture, imprègne les lieux. La possibilité que le film s’achève sans résolution se fait peu à peu ressentir.

C’est bien la fin justement, on le devine, qui aura conduit le jury de Georges Miller à distinguer Jaclyn José. Si sa composition tout au long du film est honorable, on ne se dit pas forcément, en la regardant, qu’elle éclipse celles d’une Adèle Haenel chez les Dardenne, une Kristen Stewart chez Assayas, voire, soyons fous, une Isabelle Huppert chez Verhoeven. Le principe de dilution propre à l’art de Mendoza n’a pas vocation à valoriser une performance d’acteur. Sauf que, sans dévoiler l’issue du film, le dernier plan, focalisé sur le visage de Ma’ Rosa, a une force indéniable. S’y lit un mélange de honte, de résignation et de dignité, face à la violence d’un système voué à broyer de toute manière ses pauvres. L’accomplissement de ce beau film tient peut-être à ce seul instant.

Sidy Sakho

Ma’Rosa de Brillante Ma Mendoza. Philippines. 2016. En salles le 30/11/2016.

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