VIDEO – Gallants de Clement Cheng et Derek Kwok

Posté le 19 janvier 2022 par

En 2010, les jeunes réalisateurs Clement Cheng et Derek Kwok sont repérés par Andy Lau affublé de sa casquette de producteur, pour livrer un hommage énamouré aux films d’arts martiaux d’antan. Il en résulte ce film de kung-fu à tendance comique : Gallants, disponible à présent en combo Blu-Ray/DVD chez Spectrum Films.

Cheung, agent immobilier, est un loser pur jus, cible des moqueries de ses collègues et destinataire des crasses de sa hiérarchie. Ayant provoqué l’ultime gaffe qui a fait débordé le vase, il est envoyé en campagne régler une affaire : une ancienne école de kung-fu, transformée en bar, est menacée de saisie. Il y découvre deux élèves âgés veillant sur leur maître, plongé dans le coma depuis 30 ans. Pleinement touché par leur âme, il veut à son tour apprendre le kung-fu, devenir leur disciple et sauver leur école de la saisie !

À l’orée de 2010, le cinéma hongkongais peine à retrouver l’aura qu’il a jadis connu, y compris jusque dans les années 2000, décennie durant laquelle Johnnie To a continué à montrer la ville au port parfumé sous toutes les coutures et d’une bien belle manière. C’est alors l’occasion pour des cinéastes moins connus, avec une ambition locale, de faire leur cinéma à eux, libéré des contraintes inhérentes à la production d’actioners et de polars, genres qui ont rendu Hong Kong mythique aux yeux des cinéphiles du monde entier. Les créateurs de Gallants ne s’y trompent pas, dans la mesure où ils convoquent un espace moins exploré par ces mêmes cinéphiles : la comédie cantonaise, adossé à une teinte nostalgique du kung-fu. Certes, Jackie Chan en a été l’étendard, mais il n’y a guère eu de place pour les autres représentants du genre, ou du moins, pas auprès du grand public à l’export. Avec ces couleurs, l’utilisation de ces registres fictionnels, Gallants se veut un regard dans le rétroviseur – avec notamment l’apparition de nombreuses stars vieillissantes du kung-fu pian, autant qu’un regard tendre sur tous ses personnages, la vieille génération et la nouvelle garde. Ces douces émotions peuvent être aussi bien humoristiques, dans la façon dont Teddy Robin, aussi petit qu’il est, dresse à coups de latte tout son monde, que mélancolique. Le personnage de Teddy Robin, par son âge avancé, sa petite taille et son goût pour les femmes, rappelle par ailleurs un grand maître d’arts martiaux de la fiction, Tortue Géniale dans Dragon Ball, lui-même inspiré des films de Jackie Chan des années 1970 : la boucle est bouclée.

La fermeture de l’école de kung-fu dont il est question provoque une sensation de finalité, et la tristesse qui va de pair. En corolaire, Tsai Ming-liang, dans Goodbye, Dragon Inn, disait au revoir à l’époque glorieuse des cinémas chinois et de son film étendard de 1967, Dragon Inn de King Hu. Gallants se situe dans ce sillon, avec moins de pesanteur certes. Quant à l’humour, il ne s’agit pas d’y aller à grands coups de gags, mais plutôt de réaliser un portrait en tendresse de notre héros, au physique soi-disant ingrat et commettant bourde sur bourde. De ce mélange des genres, au service d’une évocation des arts martiaux, les deux réalisateurs hongkongais en obtiennent un film doux, qui en fétichisant un certain cinéma, font appel aux sens du spectateur et lui rappellent des sensations agréables.

L’intention de base des réalisateurs se heurte toutefois à quelques limites. En jonglant entre un humour doux et une mélancolie douce, l’intrigue se cherche et fini par tomber dans un mélodrame relativement classique et sans grandes surprises. La caractérisation des personnages n’est pas non plus marquée par un sens aigu de la psychologie, tous étant animés par des choses très simples (veiller sur le maître, faire quelque chose de sa vie, etc.) et sans que le scénario ne donnent corps à leurs idéaux de manière grandiose. Etant donné la charge épique de l’intrigue du film par instant, il aurait été judicieux de donner de l’épaisseur aux protagonistes. Le premier rôle féminin du film, campé par l’actrice continentale JJ Jia Xiaochen, en manque grandement. Le film est agrémenté, évidemment, de scènes de kung-fu, mais elles s’avèrent plutôt fades ; la faute au mélo qui vient parasiter le charisme que pourraient dégager les personnages. Le principal combat, celui du disciple campé par Bruce Leung, face au champion adverse, plus jeune que lui, peine à ne pas lasser, tant l’emphase est portée sur la vieillesse du personnage et sa difficulté à retrouver ses forces physiques d’avant. Le combat traîne, mais il est heureusement sauvé par quelques « fatalities », appuyées par un plan dessiné, qui offrent une nouvelle saveur artistique au film. Malgré tout, un léger goût amer demeurera : voir d’anciennes stars du film de kung-fu telles que Chen Kuai-tai, Michael Chan et Lo Meng absents de l’action finale a quelque chose de regrettable. Ce sont les aléas des petites productions hongkongaises comme à l’âge d’or, les réalisateurs n’ayant eu les moyens de respecter leur script jusqu’au bout, mais qui ici manifeste un déséquilibre dans la mise en scène.

Gallants est une variation du cinéma hongkongais tel que nous le connaissons. Il donne la part belle à une jeune génération d’acteurs et rend hommage à ceux qui l’ont forgée. Bien que le film se cherche dans son déroulé, il faut y voir l’incarnation du balbutiement qui anime l’ancienne et la nouvelle garde. Et si finalement, c’était le message de Derek Kwok et Clement Cheng : comment se réinventer ? L’âge d’or est dans le passé et l’industrie chinoise dépouille Hong Kong de ses talents et ses moyens créatifs. Gallants n’apporte pas la solution, mais par la fraîcheur de son propos, il aura lancé des pistes créatives.

Bonus de l’édition de Spectrum Films

Présentation d’Arnaud Lanuque (18 minutes). Arnaud Lanuque décrit parfaitement la force et les limites du film. Sa force, c’est en 2010 de revoir du kung-fu comme on l’aimait dans les années 1970. La faiblesse, c’est de voir cet hommage « figé ». Arnaud Lanuque revient également sur les particularités du cinéma hongkongais des années 1970 à 2010, en détaillant pour chaque décennie la place du kung-fu pian et le poids de plus en plus prépondérant de l’industrie cinématographique chinoise, coproductrice de nombreux films hongkongais à la suite des accords 2004, et notamment de Gallants. Il précise en quoi le film n’est pas une kung-fu comedy au sens où on l’entend, et que son influence comique provient plutôt de Stephen Chow dans les années 1990. Il détaille, comme à l’accoutumée, le profil des acteurs, ici en insistant sur Chen Kuai-tai et Bruce Leung. Il ajoute quelques mots sur les carrières en demi-teinte des réalisateurs Derek Kwok et Clement Cheng, et les met en perspective du déclin du cinéma hongkongais des années 2010, qui peine à faire émerger des nouveaux talents. La présentation est une nouvelle fois très complète, avec un sens mesuré des mots, que ce soit pour peser les qualités ou les problèmes du film, d’autant au vu du contexte de production sinistré.

Gallants au Far East Film Festival d’Udine par Frédéric Ambroisine (archive de 2010, 16 minutes). Voilà un montage élégant de la première européenne du film en Italie en 2010. Nous y suivons Clement Cheng, Derek Kwok et Frédéric Ambroisine, garant de la mémoire de l’industrie cinématographique hongkongaise, lors de deux journées de festivals. On y croise les festivaliers, les interprètes et animateurs, et surtout, un Patrick Lung Kong emballé. Surtout, les mots des réalisateurs à propos de leur film, laissés à la presse et lors de leurs interventions, parsèment la vidéo.

Interview de Clement Cheng et Derek Kwok par Frédéric Ambroisine (archive de 2010, 36 minutes). Cette longue interview permet, plutôt que développer l’ambition des réalisateurs, d’évoquer tous les sujets périphériques à la réalisation d’un film de kung-fu cantonais dans une industrie hongkongaise en déclin. Les films de kung-fu des années 70 et 80 ont durablement marqué cette génération de réalisateur, tout comme la musique rock infusée par Teddy Robin, qui fut leur mentor lors de leurs études de cinéma à la Hong Kong Director’s Guild. Dès lors, les influences qui traversent le film, les nombreux clins d’œil et hommages, deviennent une évidence lorsque l’on écoute les deux jeunes metteurs en scène, qui selon leurs dires, ont gardé leur cœur d’enfant. Car c’est l’un des sujets les importants du film : la jeunesse du cœur. Par ailleurs, Derek Kwok évoque le tournage du combat final, et les contraintes de temps et d’état de fatigue des acteurs. C’est pourquoi il n’y a qu’un seul combat, alors que toutes les stars du film auraient dû se livrer au corps à corps.

Commentaire de Clement Cheng, recueilli par Frédéric Ambroisine (archive de 2010, 40 minutes). En bon complément de l’interview des deux réalisateurs réalisés à Udine quelques semaines plus tard, ce commentaire de Clement Cheng permet paradoxalement un meilleur détail des qualités du film, de l’intention originale de Cheng et Kwok, de leur amour du cinéma de kung-fu et de la dure vie de jeune réalisateur à Hong Kong, jusqu’à la précarité la plus totale. Clement Cheng évoque sa relation avec chaque acteur du film, comment Teddy Robin a été casté, que la présence de Bruce Leung et Chen Kuai-tai était absolument indispensable… Des anecdotes très intéressantes sur la construction d’un film nostalgique.

Making-of (49 minutes). L’habituel module promotionnel des films permet d’interroger (de manière consensuelle) à peu près toutes les parties prenantes du film, tous les acteurs, les deux réalisateurs et le producteur exécutif Gordon Lam Ka-tung. Hormis l’enregistrement du générique de fin en rap par l’acteur-rappeur MC Jin, nous n’assistons finalement qu’à peu de séquences de fabrication du film, hormis de loin et sans commentaire direct.

Maxime Bauer.

Gallants de Derek Kwok et Clement Cheng. Hong Kong. 2010. Disponible en combo Blu-ray/DVD chez Spectrum Films le 21/12/2021.

Imprimer


Laissez un commentaire


*