FCCF 2017 – Journey to the West: The Demons Strike Back de Tsui Hark

Posté le 3 juillet 2017 par

Il existe des films qui relèvent tant du fantasme de cinéphile qu’il faudrait un alignement des astres pour que ce rêve devienne réalité. On ne sait quelle divinité fut louée, toujours est-il qu’un de ces rares événements a bien eu lieu. Le Roi de la comédie cantonnaise s’est offert les services du Dieu du cinéma chinois pour mettre en scène l’un des fleurons de la littérature populaire chinoise. Ainsi naquit Journey to the West: The Demons Strike Back que l’on a pu découvrir lors de la 7e édition du Festival du Cinéma Chinois en France (FCCF) !

Il est étonnant qu’une telle union n’ait pas eu lieu plus tôt, notamment au cours de l’âge d’or du cinéma hongkongais, avant la rétrocession, quand la créativité battait son plein et que les deux hommes régnaient en maîtres sur le box office local. Après un passage à vide, une tentative infructueuse dans le Nouveau monde, et le besoin pour ces artistes de s’adapter à de nouvelles règles et un nouveau public, il aura bien fallu une décennie pour qu’ils se remettent en question. Les voilà enfin de nouveaux sur leurs trônes respectifs. Tsui Hark cinéaste génial a depuis Detective Dee reprit goût au cinéma et s’est trouvé dans cette nouvelle franchise adaptée des célèbres romans de Robert Von Gulik de nouveaux défis, notamment dans les nouvelles technologies, remaniant sans cesse sa conception de la mise en scène. Quand à Stephen Chow, l’homme est devenu plus discret et semble depuis CJ 7 avoir abandonné pour de bon les écrans ne se consacrant qu’à la réalisation et la production. Son précédent film The Mermaid fut un réel succès, et on pouvait apercevoir en caméo son comparse Tsui Hark jouer un milliardaire excentrique. Un clin d’œil qui semblait confirmer auprès du public une rumeur folle circulant depuis quelques temps : le souhait du comique fou de consacrer la mise en scène de la suite des aventures du roi singe au génial cinéaste. Pas si improbable que cela. Surtout que les récits de Sun Wukong, héros simiesque de la culture populaire et mythologique chinoise se sont illustrés dans le monde au travers de son avatar San Goku dans le manga et anime Dragon Ball. Il a depuis subi une remise au goût du jour initiée par Stephen Chow en personne, personnage emblématique qu’il avait lui même interprété en 1994 dans le diptyque de Jeff Lau. Outre la franchise concurrente réalisée par Soi Cheang que nous avons commenté dans ces colonnes fut produit un long métrage d’animation et nous avons appris récemment que sortira fin 2017 Wu Kong avec Eddie Peng dans le rôle titre, sous la direction de Derek Kwok qui avait lui même co-réalisé le premier volet de Journey to the West aux côtés de Stephen Chow, encore lui!

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Pour ces Nouvelles pérégrinations vers l’Ouest, changement de casting, avec en tête d’affiche le chanteur Kris Wu célèbre en Asie pour sa participation au boys band coréen Exo, dans le rôle du jeune moine, et Lin Gengxin (Kenny Lin), valeur montante du cinéma chinois. Il a quant à lui déjà collaboré par deux fois avec Tsui Hark pour interpréter le célèbre Roi singe. Seule la sublime Shu Qi reprend son rôle pour quelques plans en flash back.

Qu’on se le dise tout de suite, le film ne tient pas ses promesses. Il tient plus d’une parenthèse dans la filmo de Tsui Hark, tel un service rendu à un bon copain et l’envie de collaborer avec lui sur un projet commun. Le film est empreint de la marque des deux artistes sans pourtant en porter le sceau de l’un ou de l’autre. Une sorte de Buff entre deux prodiges. Chacun cherchant à jouer son solo et de relancer le tempo pour le suivant. Mais comme tout grand musicien, les deux compères connaissent par cœur la partition. On se retrouve donc avec un film certes bordélique, mais qui contient de bons moments de comédie et des scènes d’action épiques et fascinantes.

Kenny Lin en Roi singe

Kenny Lin en Roi singe

Suite à une scène d’ouverture fantaisiste rappelant les aventures de Gulliver, le film démarre sur du Stephen Chow pur jus, avec nos deux héros en villégiature parmi un groupe de saltimbanques qui demandent à ces squatteurs de faire preuve d’un peu d’efforts pour gagner leur vie. La démonstration tournera forcément à la catastrophe. On retrouve ici la scène typique du personnage qui ne parvient pas à intégrer les fautes de son arrogance, se croyant au dessus des gens du petit peuple, interprété par un groupe de comédiens aux physiques grotesques, aux postiches et maquillages outranciers. Cette communauté de bateleurs subit donc les foudre d’un Wu Kong bagarreur et capricieux. Un exercice qui laissera libre court à Tsui Hark de faire l’illustration de ses talents de mise en scène, usant d’ effets numériques et de bullet time étourdissants. Mais le grand moment de comédie reste tout de même cette scène absurde mettant en scène un roi bedonnant qui souhaite se débarrasser de son harem, dont les membres féminines semblent très attachées à leurs fonctions et privilèges.

Et concernant les moments de bravoure, nous retiendrons surtout deux séquences pour leurs virtuosités dans l’utilisation de la caméra et la science du découpage filmique. D’abord, une visite dans une auberge tenue par une tenancière qui cache derrière ses charmes sa nature arachnéenne et le climax final durant lequel Wu Kong, sous l’apparence d’un singe géant, combat un faux Bouddha en or, en chevauchant son nuage magique et maniant son bâton avec dextérité et force.

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Il reste tout de même l’une des grandes composantes du cinéma de Tsui Hark, les personnages féminins. Ces femmes sont le cœur de son cinéma, et ce dernier film n’est pas en reste. D’abord Yao Chen dans le rôle d’une bonzesse qui tient plus du charlatant que du guide spirituel, qui vient quémander de l’aide auprès du moine pour aider le roi à retrouver ses esprits Son sourire radieux cache quelques rancœurs tenaces. Et de l’autre, Félicité, superbe personnage partagé entre ses sentiments et ses besoins de conjurer le sort qui la condamne à une vie spectrale. Ce personnage aussi tragique qu’attachant est interprétée par Lin Yun, la belle découverte de The Mermaid qui nous fait de nouveau la démonstration de l’étendue de ses talents d’actrice.

Lin Yun

Lin Yun

Le film, en revanche, souffre de baisses de rythme, de scènes dialoguées trop longues et a bien du mal à réembrayer dans l’action du récit. Quant aux effets spéciaux, ils pâtissent d’une production trop rapide et de manque de moyens. Pourtant Tsui Hark a de nouveau fait appel aux sociétés de SFX coréennes qui ont confectionné les plans des ses précédents films. Mais ce raté est souvent sujet de moqueries et d’auto-dérision de sa part. Déjà dans les bandes annonces du film mettant en scène le réalisateur et son acolyte producteur, ils se moquaient de la qualité des effets spéciaux. Point de vue qu’il justifie même par l’entremise d’un dialogue entre la bonzesse et le moine, lors du cortège. En effet, toutes les démonstrations de ses supposés pouvoirs ne sont que des grossiers tours de passe passe. Tsui Hark défend une idée qu’il exerce depuis les débuts de son cinéma. Conscient de ne pouvoir rivaliser avec Hollywood sur ce terrain, il a toujours préféré l’idée de mise en scène à l’exécution de celle-ci.

Yao Chen

Yao Chen

Ce qui a souvent sauvé les effets spéciaux sur les récentes productions Tsui Hark est son utilisation virtuose de la stéréoscopie 3D. S’il y a bien un cinéaste qui a compris comment fonctionnait cet outil technologique et qui s’en amuse avec une inventivité renouvelée à chaque métrage, c’est bien lui. Or, le film fut présenté lors du festival en 2D et la perte de cette dimension est sûrement très préjudiciable au plaisir et la qualité de visionnage. Pourtant chaque composition de plans, agencement des couleurs et des contrastes suggèrent les effets recherchés et cela rend le visionnage d’autant plus frustrant.

Cette séquelle Journey to the West n’est certes pas le chef d’œuvre espérée, la fusion de deux esprits géniaux qui accoucherait de la comédie d’action ultime. Il faut en effet revoir nos ambitions à la baisse, mais le plaisir est bel et bien là. Les deux cinéastes n’ont pas jeté leur talent au placard ! Point d’œuvre cynique ici, juste une collaboration qui donne lieu à des scènes délirantes, inventives, parfois désopilantes dans ses meilleurs moments. Et nous avons droit en bonus à la meilleure scène de fin de générique ! Ne nous plaignons pas, ces deux-là ils ont encore de la ressource.

Martin Debat.

Journey to the West: The Demons Strike Back de Tsui Hark. Chine. 2017.  Présenté au Festival du Cinéma Chinois en France.

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