VIDEO – In the Mood for Love de Wong Kar-wai

Posté le 8 janvier 2022 par

In the Mood for Love, le chef d’œuvre de Wong Kar-wai est, après sa récente ressortie en salles, désormais disponible dans une somptueuse édition collector restaurée 4K chez La Rabbia.

Hong Kong, 1962. M. Chow, rédacteur en chef d’un journal local et Mme Chan, secrétaire de M. Ho, emménagent avec leurs conjoints, le même jour, dans des appartements voisins, le premier chez M. Koo et la seconde chez Mme Suen. La femme de M. Chow est souvent absente et le mari de Mme Chan est fréquemment parti à l’étranger. Très vite, ils vont comprendre que leurs conjoints respectifs entretiennent une relation amoureuse adultère en secret. Ensemble, M. Chow et Mme Chan vont tenter de saisir les éléments de la rencontre des deux amants et surtout la façon dont est né cet adultère. Mais l’amitié débouche rapidement sur d’autres sentiments.

Dans un de ses plus beaux films, Chungking Express il avait fallu à Wong Kar-wai deux parties distinctes pour exprimer ce qu’il parvient merveilleusement à associer dans cet In the Mood For Love. Dans la première, c’était le mystère, la mélancolie et la solitude urbaine à travers la rencontre entre Lin Ching-hsia et Kaneshiro Takeshi et pour la seconde partie, candide et exaltante entre Faye Wong et Tony Leung Chiu-wai. Ici Wong Kar-wai en fait donc un tout cohérent auquel on peut ajouter la dimension nostalgique de Nos Années sauvages. Sous sa liberté et sa fougue manifeste, Chungking Express est un film tout aussi maîtrisé et stylisé que In the Mood for Love même si ce dernier apparaît plus ouvertement comme l’apogée visuelle d’un Wong Kar-wai qui saura apporter un tour plus maladif à son imagerie dans 2046 avant de sombrer dans sa propre caricature édulcorée avec My Blueberry NightsWong Kar-wai capture par son sens de l’atmosphère la solitude des personnages. La vie de couple morne de Mme Chan (Maggie Cheung) se devine ainsi par l’absence du mari, visuelle tout d’abord, avec sa seule voix lors des échanges avec son épouse pour signifier son existence.

La femme de M. Chow (Tony Leung) est, elle, réduite à l’état de silhouette indistincte et de conversations téléphoniques fantomatiques avant de totalement disparaître du récit à son tour. Wong Kar-wai procède ainsi par des motifs répétitifs pour signaler l’esseulement des héros, les heures supplémentaires de Tony Leung dans un bureau désert, les multiples sorties nocturnes de Maggie Cheung pour acheter son repas et s’échapper un temps de cet appartement où elle étouffe. Les deux se croisant de plus en plus souvent dans leurs pérégrinations, chaque frôlement, regard, se voit imperceptiblement chargé d’un sens plus fort. Le réalisateur évite toute lassitude dans ces répétitions en y insérant de brefs moments bouleversants telle cette scène où Maggie Cheung en quête d’une présence va faire la conversation à une voisine sans prévenir tandis que l’on lit toute la détresse dans son regard. Lorsqu’arrive la fameuse révélation du double adultère, l’histoire d’amour peut naître. Là encore, pour comparer avec l’autre grand récit romantique du réalisateur, Chungking Express, tout est opposé. L’un est moderne, percutant et juvénile tandis que In the Mood For Love semble plus figé et codifié, faussement froid. Cette sur-stylisation dans les postures très étudiées du couple (où même la manière de fumer une cigarette et souffler sa fumée est chargée de sens), dans le mime sur lequel repose leur rapport (reproduire des éléments du rapprochement qui a provoqué la liaison de leur conjoint) est un reflet de l’époque très différente où se déroule In the Mood For Love, le Hong Kong du début des années 50.

Le fétichisme de Wong Kar-wai tient autant de la nostalgie que du fait d’enfermer les personnages dans le rôle que leur donne cette société. Maggie Cheung au sommet de son aura glamour dans ses longues robes fendues à fleurs n’est qu’une prisonnière des apparences tout comme Tony Leung gominé et tiré à quatre épingles, les deux n’osant jamais le rapprochement physique manifeste attendu. C’est sur cette retenue que repose finalement la force de cette histoire d’amour et Wong Kar-wai, après avoir longtemps tâtonné lors du tournage à rallonge, l’a bien compris en coupant au montage la vraie scène d’amour où les héros couchaient ensemble dans la fameuse chambre d’hôtel 2046. Wong Kar-wai rend certainement le plus bel hommage qui soit au Brève Rencontre de David Lean qu’il s’approprie en y ajoutant une dimension supplémentaire par cette façon qu’ont les personnages de répéter les situations passées et fantasmées de leur conjoint adultère pour se guérir de leurs blessures. On sent le basculement opéré dans la dernière partie (et l’amour qui unit désormais les personnages) lorsqu’ils répètent cette fois leur propre séparation future et prolongent ainsi ce sentiment d’attente.

Maggie Cheung, poupée de porcelaine prête à se briser à tout moment, est magnifique d’émotion rentrée (la fameuse scène de fausse séparation où elle craque…) et Tony Leung Chiu-wai rayonne encore par sa présence magnétique et fragile. Le long épilogue fait d’espoir, de renoncement et de regret est d’une grande poésie. Un des plus beaux films de son auteur dont on attend qu’il retrouve à nouveau de tels sommets.

BONUS

In the Mood of Filming (17 mn) est en fait un extrait du documentaire consacré à Christopher Doyle et réalisé en 2007 par Yves Montmayeur. Il est visible dans sa durée complète de 50 mn sur le Blu-Ray de My Heart is that EternalRose édité par Spectrum Films, et ici, l’on en garde la partie consacrée à In the Mood for Love avec notamment le retour du directeur photo sur les lieux de tournage quelques années après. L’occasion de savourer des anecdotes et de comprendre certains choix artistiques et logistiques de Wong Kar-wai.

2 ou 3 choses sur Wong Kar-wai (27 mn) : un portrait du réalisateur, sur le tournage du film. Très intéressant dans la manière dont l’urbanité hongkongaise et ses mues constituent une inspiration pour lui dans les possibilités qu’offre l’histoire des bâtiments, des rues et de ses habitants. Maggie Cheung témoigne notamment de la « méthode » aussi stimulante que contraignante du réalisateur où l’atermoiement, l’observation, l’attente font totalement partie de la démarche artistique. Le plan initial est amené à être totalement bouleversé par ce qui se déroule sur le plateau, ce qui demande une totale immersion dans le projet comme l’explique Tony Leung. Une démarche laborieuse mais finalement excitante pour les équipes du réalisateur.

Un making-of (52 mn) d’époque riche en images de tournages inédites, interviews de Tony Leung et Maggie Cheung donnant leur vision de l’histoire et du cheminement de leurs personnages. Ils reviennent aussi avec Wong Kar-wai sur le long processus créatif du film dont la direction aurait pu être très différente.

Trois scènes coupées (24 mn) visibles avec ou sans les commentaires de Wong Kar-wai. On ressent dans la suppression de ces trois scènes la volonté d’épure et de mystère du réalisateur qui, par leur absence, éludent tout élément narratif ou formel trop explicatif. Le réalisateur est par ailleurs assez peu disert en commentaire et il s’attarde surtout sur la volonté de retranscrire l’atmosphère de la Chine des sixties.

La fin alternative (8 mn) située à Angkor, au Cambodge où, de même, l’épure et la retenue ont été privilégiées en éliminant un moment-clé mais fort touchant.

Une note sur le making-of (17 mn) qui semble surtout en être une version raccourcie et alternative sans doute présentée aux médias à l’époque, avant la sortie du film. On retrouve donc en plus resserré le propos et certaines archives du making-of présent sur le Blu-Ray.

Tony Leung en musique (4 mn) avec le clip d’une chanson enregistrée pour le film. Contrairement à certains de ses collègues acteurs hongkongais comme Leslie Cheung ou Andy Lau, la carrière de chanteur de Tony Leung dans la cantopop fut éphémère et peu couronnée de succès. En tout cas, il se montre tout à fait convaincant sur ce morceau au clip filmé dans l’esprit mélancolique et romantique du film.

La bande-annonce française (1mn34) de la ressortie salle récente. Envoûtante, sensuelle et mystérieuse, elle ravive autant les souvenirs des connaisseurs qu’elle avive la curiosité des néophytes.

Un livret de 50 pages contenant le fac-similé du dossier de presse d’époque avec biographie des acteurs, de l’équipe technique, des photos exclusives, ainsi qu’un passionnante interview cannoise de Wong Kar-wai en 2000 pour la revue Positif.

Justin Kwedi.

In The Mood For Love de Wong Kar-wai. Hong Kong. 2000. En DVD, Coffret Collector (Blu-Ray + Blu-Ray 4k) et Digipack Collector (Blu-Ray + Blu-Ray 4k) chez La Rabbia le 01/12/2021