EN SALLES – Copyright Van Gogh de Haibo Yu et Yu Tianqui Kiki Yu

Posté le 23 décembre 2021 par

Réalisé en 2016, le documentaire Copyright Van Gogh s’est frayé un chemin vers nos salles françaises. En nous plongeant dans le quotidien d’un atelier de reproduction d’art en masse, le film dresse surtout l’émouvant portrait d’un artiste en crise qui s’interroge sur l’art, la création et ce que Van Gogh en aurait pensé. A voir au cinéma le 22 décembre 2021.

En Chine, des peintres recopient à grande échelle les œuvres de Van Gogh ou d’autres artistes de renom. Par la suite, les « œuvres » sont exportées partout dans le monde pour être vendues aux touristes.

Les reproductions d’œuvres de grands maîtres fleurissent à chaque recoin des boutiques souvenirs d’Europe et il n’est pas rare d’en retrouver, ne serait-ce qu’en carte postale, dans les intérieurs d’appartements ou de bureaux. La perspective d’apercevoir l’envers du décor d’un business aussi familier que développé était alors assez intrigante. L’histoire de Dafen, ce quartier de Shenzen créé par un homme d’affaires hongkongais à la fin des années 80 dans l’objectif de centraliser une production industrielle, est en elle-même totalement folle et mériterait son propre film. Copyright Van Gogh pose clairement ce contexte, mais l’évacue rapidement pour se concentrer sur la communauté qui occupe Dafen et resserre progressivement son regard sur l’un de ses membres le plus habité par les artistes qu’il imite à longueur de journées. Le film qui en résulte est alors une sensible réflexion sur la notion d’artiste et de création, pleinement conscient du cynisme inhérent à son sujet mais refusant farouchement d’y céder.

Copyright Van Gogh se découpe en deux parties clairement délimitées. La première est une immersion documentaire assez classique dans le quotidien du quartier. Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu filment de longues séquences au sein de l’atelier, donnant à voir les artistes au travail mais également leurs foyers, toujours liés, de près ou de loin, au travail effectué. Pleinement investis dans leur sujet, les cinéastes laissent l’image être portée par le mouvement constant de la communauté, rythmée par les commandes et la précision du coup de pinceau. Le quartier de Dafen est alors présenté comme un microcosme existant en quasi vase clos (toute la famille est copiste à des niveaux différents, les artistes vivent pratiquement ensemble, le rapport au monde extérieur est limité). Si la précarité est évidente et évoquée, le film choisit de davantage souligner l’étonnante vivacité de l’environnement ainsi que la fierté que les artistes tirent de leur travail. Pour une partie du groupe, le savoir-faire acquis par nécessité s’est transformé en passion dévorante et en une recherche de la perfection dans la copie qui touche à la dévotion envers l’auteur de l’œuvre originale. Dans ce petit monde, on vit et on parle Van Gogh en espérant un jour toucher à la grâce devant les originaux du maître.

Cette étonnante approche est incarnée par le visage hyper expressif de Xiaoyong Zhao, un des peintres de l’atelier dont le regard guide tout le film. Pilier de la communauté, à la fois pragmatique et rêveur, professeur et élève, la figure commence par désarçonner avant de devenir profondément émouvante dans sa fascination quasi-mystique pour Van Gogh. A travers lui s’amorce la deuxième partie du film, qui opère un changement d’environnement (les Pays-Bas puis la France) amenant Copyright Van Gogh sur le terrain du récit initiatique, hanté par la question de ce qui fait un artiste (ou un artisan). Ceci passe par une déconstruction de son protagoniste qui, hors des murs de son atelier, est tour à tour confronté à la réalité économique du secteur qu’il alimente (une scène très réussie le voit déambuler dans la boutique et réaliser que ses reproductions sont vendues 20 fois plus chères que le prix auquel il les achète) et à la réalité des œuvres originales auxquelles il accède enfin dans une séquence assez bouleversante au musée Van Gogh d’Amsterdam. Au lieu de s’attarder sur la première désillusion, le film s’engouffre totalement dans les implications de la seconde, nous emmenant dans un road trip, le « Van Gogh tour », qui laisse le groupe de Dafen exprimer ses doutes et ses interrogations librement et sans réserves. La réalisation se fait ainsi plus évaporée et les effets de montage plus présents, comme pour figurer cette forme de crise de foi traversée par les peintres. Copyright Van Gogh quitte alors la distance de la forme documentaire pour flirter avec le rêve, ou plutôt, le trip de la conscience amenée par une remise en question profonde par Xiaoyong Zhao de son travail et donc de sa vie entière. Si la présence fantasmatique de Van Gogh, tantôt espérée (« si nous pensons à lui constamment, il pourrait apparaître« ) tantôt atteinte (une visite sur sa tombe qui marque le point final de la quête) provoque des moments réellement touchants, le film cède un peu trop à une emphase maladroite, notamment avec une musique omniprésente, qui surligne là où les visages et les échanges étaient bien suffisants. Par ailleurs, malgré sa durée resserrée, Copyright Van Gogh s’attarde, et se répète, un peu trop dans sa partie européenne, amenuisant ainsi la force du retour dans la communauté et la résolution finale.

Le film n’est pas toujours le plus adroit et il se laisse un peu trop guider par sa figure centrale, délaissant des aspects contextuels qu’il aurait été intéressant de développer en parallèle de la réflexion créatrice. Néanmoins, en assumant un angle bien plus introspectif que ce qu’on l’aurait pu attendre, il propose une réflexion passionnante, et finalement très universelle, sur la notion de création mais aussi sur la manière dont on peut/doit se libérer de ses idoles pour l’atteindre. Malgré toutes ses lacunes et ses naïvetés, Haibo Yu et Tianqi Kiko Yu savent joliment remettre les artistes au centre. A la question complexe de l’intégrité face à la copie, la simplicité désarmante de leur réponse ne manquera pas de mettre le spectateur face à ses éventuelles contradictions. Ce que Copyright Van Gogh perd en didactisme, il le gagne alors en sensibilité qui rend l’ensemble très attachant, à défaut d’être renversant. Le film se conclut ainsi sur une exhortation à la liberté (artistique, créatrice, philosophique) qui fait plutôt du bien.

Claire Lalaut

Copyright Van Gogh de Haibo Yu et Tianqi Kiko Yu. Chine-Pays-Bas. 2016. En salles le 22/12/2021