Le Festival Kinotayo a sélectionné en séance spéciale une pépite à ne pas rater : Junk Head, réalisé par Hori Takehide.
Des tournages chaotiques, des productions interminables et des projets plus ambitieux que raison, il y en a eu et il y en aura toujours, particulièrement dans le cinéma d’animation. A l’origine sorti sous forme de court en 2013, Junk Head s’est fait désirer, à tel point qu’on ne l’attendait plus en long-métrage comme prévu. Mais après 7 ans de réalisation, le cinéaste autodidacte et polyvalent Hori Takehide présente finalement la version finale de son chef-œuvre, presque entièrement concocté par lui-même.
Dans un futur lointain, le monde est dominé par des machines et des mutants. Les humains, atteints d’une étrange maladie qui les empêche de se reproduire, envoient un androïde trouver un remède miracle dans les entrailles de la Terre peuplées de créatures mortelles.
A l’instar de Mad God de Phil Tippett, présenté également cette année en festival, Junk Head traîne derrière lui des années voire des décennies de galère. Il s’agit également d’un long-métrage de science-fiction horrifique en animation stop motion, dont le protagoniste est un mystérieux visiteur envoyé aux confins du monde, dans des profondeurs désormais vétustes, habitées d’abominables créatures et auto-formées autour de mythologies complexes. Hori Takehide nourrit son ouvrage d’une appartenance stylistique, très japonaise culturellement, à savoir le cyberpunk. Même si le sous-genre devient aujourd’hui populaire, victime de ce qu’il dénonce, rien de ce Junk Head ne s’apparente à une impression de déjà-vu, bien au contraire.
Pour quiconque est un tant soit peu friand des univers imaginés par le mangaka Nihei Tsutomu, la connexion esthétique et thématique avec Junk Head se fait d’elle-même. Comme dans BLAME!, le personnage principal que nous suivons est en mission dans les abîmes technologiques de la planète, à la recherche d’un terminal génétique, que porterait un mutant dans ses souches (littéralement, puisqu’il serait un arbre-monstre). Il rencontrera et affrontera toutes sortes de créatures cauchemardesques infusées aux sillicates de Nihei et aux monstruosités difformes de Jérôme Bosch. Le labyrinthe architectural présenté a de quoi donner le vertige, tant l’ensemble des structures est érigé à un degré plus cyclopéen que jamais, jusqu’à la narration verticale et non pas linéaire qui nous entraîne en même temps que le héros de plus en plus profond vers le plancher du monde, si tant est qu’il y en ait un.
Comme bien souvent dans les pièces rattachées au cyberpunk, il est question de hiérarchie sociale dystopique allant des plus démunis, les Clones dans les bas-fonds, aux plus étoffés, les humains à la surface. S’ajoutent également des réflexions relatives au transhumanisme, à la place de l’Homme parmi les machines, ou à la violence, toutes semblant ici pointer du doigt les exclus du système japonais, incarnés par les habitants des sous-sols que l’on juge avant de connaître. Certains, malgré leur apparence repoussante, s’avèrent étonnement empathiques, voire même attachants dans leur fragilité ainsi que leur maladresse. C’est là que l’ambiance de Junk Head détonne, lorgnant autant du côté du drame existentiel et du body horror que de la comédie noire, avec des personnages hauts en couleur baragouinant un japonais à l’envers, ou des borborygmes incompréhensibles, et que l’on se plaît à suivre sur différents paliers de l’organisation souterraine. C’est ainsi que Hori Takehide donne naissance à l’un des films d’animation les plus singuliers qui existent, dont l’immense lore qui le compose s’annonce aussi fascinant que sordide.
Il ne reste qu’à attendre Junk Head en salles l’année prochaine, en 2022, sous la très bonne étoile d’UFO Distribution. Un projet d’une telle ampleur et d’une telle audace mérite son audience.
Richard Guerry.
Junk Head de Hori Takehide. Japon. 2017. Projeté à Kinotayo 2021.