Xue Lian Trilogy of Lust Julie Lee Wa-yuet

VIDEO – Trilogy of Lust de Julie Lee Wa-yuet : la mariée était en rouge sang

Posté le 7 juin 2021 par

Étonnant film que Xuè Liàn / Trilogy of Lust, œuvre hongkongaise de 1995 qui repousse les limites de la Catégorie 3 grâce au dévouement et à la mise à nu, au sens propre comme au figuré, de Julie Lee Wa-yuet, réalisatrice, scénariste et actrice principale de ce coup de poing sordide, violent et pornographique.

Le scénario de Xuè Liàn (soit littéralement amour de sang et exploité à l’international sous le titre Trilogy of Lust) est simple : un pêcheur hongkongais, ancien étudiant en médecine et fraîchement célibataire, s’achète une nouvelle femme en Chine : Ah Chi (interprétée par Julie Lee Wa-yuet). Il s’est « débarrassé » de la précédente sans qu’on sache comment mais son comportement malsain et violent laisse entendre qu’il a pu l’assassiner… Après lui avoir fait passer un examen gynécologico-médical, il en fait son objet sexuel… mais avant cela, une initiation s’impose : cours théoriques sur l’esthétique du corps nu en feuilletant les dizaines de magazines érotiques, et cours pratiques auprès d’une prostituée. Rapidement, Ah Chi, cloîtrée chez elle en raison de son statut clandestin, rencontre Ah Jen, le livreur de fruits et légumes, son seul contact avec le monde extérieur, qui devient rapidement son amant… pour le meilleur et pour le pire.

Avant de s’attarder sur Xuè Liàn, il est nécessaire de le replacer dans son contexte artistique : le Hong Kong des années 90 et son cinéma extrême distribué dans ce qu’on appelle la Catégorie 3.

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La Catégorie 3 à Hong Kong : cimetière de l’amoral

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En 1988, l’Autorité des licences de télévision et de divertissement de Hong Kong met en place un système de catégorisation des films afin que les enfants et adolescents ne puissent pas voir librement des œuvres violentes ou érotiques alors en vogue. Cette catégorisation a été établie à la suite du succès du Syndicat du crime de John Woo et de la crainte de voir une jeunesse librement biberonnée aux gunfights et aux jets d’hémoglobine, par delà toute morale. Rétrospectivement, plusieurs films seront classés selon ces catégories, comme le brûlot nihiliste L’Enfer des armes de Tsui Hark. La Catégorie 3 indique qu’« aucune personne de moins de 18 ans n’est autorisée à louer, acheter ou regarder ce film au cinéma ».

hong kong categorie 3

Alors que la Catégorie 3 n’est pas un genre en soi, elle va permettre à des réalisateurs d’explorer le plus sordide et le plus malsain de l’âme humaine. Dès que le film est interdit aux mineurs, les réalisateurs ne sont plus soumis à l’autocensure et peuvent laisser cours à leurs volontés les plus baroques (pour rester poli). Polars sanglants, comédies sexy, thrillers érotiques, délires gores… de nombreux genres vont s’épanouir comme autant de fleurs vénéneuses. La Catégorie 3 deviendra même rapidement un argument commercial pour augmenter le nombre d’entrées au cinéma et les ventes en vidéoclub. Si tous les films classés Catégorie 3 ne sont pas des œuvres purement d’exploitation (Viva Erotica de Derek Yee et Lo Chi-Leung ou Happy Together de Wong Kar-wai sont rangés dans la Catégorie 3), on ne peut s’empêcher de citer les films les plus extrêmes, provocateurs, grotesques et trash comme The Untold Story (1993) et Ebola Syndrome (1996) de Herman Yau mettant en scène des criminels sociopathes. Une continuité fictionnelle des films Mondo et des shockumentaires mais également des productions les plus érotiques, horrifiques et sadiques de la Shaw Brothers des années 70. 

C’est dans cet univers de l’excès et de la provocation que va évoluer la carrière cinématographique de Julie Lee Wa-yuet.

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L’étonnante histoire de Julie Lee Wa-yuet

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La carrière de Julie Lee Wa-yuet ferait un très bon scénario. Une comète qui s’est essayée à la chanson, au mannequinat, au cinéma et au commerce de bijoux. Née Choi Chung-Lai en 1956 et fille adoptive d’un ancien responsable de la Compagnie de bus de Kowloon, elle se marie une première fois à l’âge de 19 ans à un certain Riva (nom qu’elle gardera plus tard pour son éphémère carrière de chanteuse canto-pop – un extrait à écouter ici pour les curieux). Elle divorce rapidement pour épouser un deuxième mari qui s’avérera être bisexuel (mais plus attiré par les hommes que les femmes) et adepte du sado-masochisme. Il mourra même au cours d’une séance S&M trop extrême (petite dédicace à David Carradine au passage).

Entre 1992 et 1994, Julie Lee Wa-yuet va jouer des seconds rôles dans plusieurs films Catégorie 3, notamment Dr Lamb de Danny Lee et Billy Tang (1992) et The Untold Story, cité plus haut. Mais Julie veut plus. À près de 40 ans, il est peu probable qu’un réalisateur lui donne un premier rôle dans des films sexy et trash, et ce malgré sa beauté peu discutable. Soutenue par son troisième mari, Thomas Freitag, également adepte du S&M, elle décide de passer derrière la caméra et de réaliser ses propres films dans lesquels elle pourra exprimer son exhibitionnisme prononcé. Et pourquoi s’empêcher de baiser réellement devant la caméra ? Pourquoi ne pas tout montrer ? 

Xue Lian - Trilogy of Lust Julie Lee Wa-yuet

Elle écrit, produit, réalise (ou co-réalisé avec Mou Tun-fei – connu pour ses films d’exploitation violents dont l’effroyable Camp 731 – c’est compliqué de savoir qui a filmé quoi et quelle est l’implication de Mou Tun-fei dans le projet) et joue le premier rôle dans Xuè Liàn / Trilogy of Lust… qui existe dans plusieurs versions, avec et sans les scènes explicites de sexe. Et quand on parle de scènes explicites, il ne s’agit pas d’inserts porno tournés par d’autres acteurs et actrices comme cela était fréquent dans des productions européennes (les exemples les plus connus étant Crime à froid de Bo Vibenius avec Christina Lindberg en 1973 ou les multiples versions des films de Jess Franco dans les années 70). Non ; ici il s’agit bien de la distribution originale qui se livre corps et âme dans de multiples ébats, en solo, à deux ou à trois. Et le choc est réel. Xuè Liàn n’est pas qu’un simple film provocateur ; il y a un réel discours politique que nous aborderons dans quelques instants.

Julie Lee Wa-Yuet récidive quelques mois plus tard avec Huet Len / Trilogy of Lust 2 (co-réalisé avec Ishikawa Jiro mais une nouvelle fois, il est compliqué de connaître le degré d’implication de chacun), un thriller érotique sur une femme traumatisée par un viol collectif pendant son enfance et qui s’adonne à des séances S&M et au meurtre ritualisé de chacune de ses proies. Sans scène explicite cette fois-ci, ce deuxième volet n’est qu’un enchaînement de scènes de sexe et de meurtres, sans progression narrative ni enjeu dramaturgique. Un film convenu (enfin… tout dépend du degré d’ouverture d’esprit du spectateur et de son goût pour le thriller érotique), exagérément grotesque et répétitif.

À la même époque, Julie Lee Wa-Yuet publie un livre de photographies érotiques, The Divine Comedy (aujourd’hui difficilement trouvable… et à des prix indécents), qui prolonge ses désirs exhibitionnistes et de succès scandaleux. Nous parlons d’une époque où Madonna publiait son livre SEX, où Sharon Stone connaissait le succès grâce à son hypersexualisation dans Basic Instinct et où Anna Nicole Smith, ancienne playmate, défrayait la chronique. Toute provocation était bonne à prendre pour dynamiser sa carrière. Mais cela ne fonctionne pas pour Julie qui, malgré quelques scandales assumés (donner des interviews complètement nue, affirmer qu’elle adore jouer les rôles de femme violée ou qu’elle a vraiment joui lors des scènes explicites de Xuè Liàn, poser seins libres devant un lieu de culte de Hong Kong) ne connaît pas le succès escompté. Elle est moquée par les médias et la profession. Sa carrière à Hong Kong ne décollera jamais.

Julie Lee Wa-yuet

En 1997, afin de disparaître définitivement de Hong Kong, elle feint son propre suicide par surdose médicamenteuse (et le fait médiatiser dans la presse). Direction les États-Unis pour une nouvelle vie, éloignée du star system et du cinéma (à part un rôle principal dans le bien nommé A Ghost de Douglas Jackson, sorti en 2001, aux côtés de… Michael Madsen !). A New Career in a New Town pour mentionner sans plus de raison David Bowie. Cette fausse annonce de suicide est aujourd’hui bien connue mais à une époque où Internet était encore peu développé, peu de gens pouvaient enquêter et découvrir que ce suicide était bidon. Et d’ailleurs, qui s’en souciait ?

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Politique de l’exploitation, exploitation de la politique

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Revenons donc sur notre sujet principal : Xuè Liàn / Trilogy of Lust. Passé l’étonnement de voir des scènes de sexe explicites et l’exhibitionnisme très démonstratif de Julie Lee Wa-yuet, on se retrouve devant un film d’exploitation brut de décoffrage sur la séquestration sexuelle, la vie de pauvres gens dans un Hong Kong rural, la corruption et l’extrême violence du capitalisme. La scène d’ouverture est symptomatique : des poissons vivants déposés sur un étal de marché, sur le point de succomber hors de l’eau, en « s’asphyxiant » à l’air (im)pur. Commencer un film par de la cruauté animale n’est pas anodin. Le scorpion mangé par des fourmis rouges dans La Horde sauvage de Sam Peckinpah, des cochons tués à la chaîne dans un abattoir dans Insiang de Lino Brocka ou le dépeçage d’un buffle dans Silip d’Elwood Perez. Triste condition humaine…

La topographie principale du film est tout à fait sadienne : un village de pêcheurs au bord d’un lac, accessible uniquement par bateau. Un lieu isolé propice à toutes les perversions sans avoir à se soucier du voisinage et des autorités. Une topographie qui sera reprise dans L’Île de Kim Ki-duk quelques années plus tard.

Xue Lian Trilogy of Lust Julie Lee Wa-yuet

Femme “achetée” pour quelques milliers de dollars, Ah Chi doit suivre des cours pour éveiller sa sexualité et satisfaire les goûts de son “mari”. Ah Chi apprend à se maquiller et à mimer des poses sexy en feuilletant avec assiduité des dizaines de revues érotiques. Elle doit même regarder et prendre des notes lors d’une passe entre son mari et une prostituée. Une scène assez grotesque sur la mécanique des corps où l’acte sexuel n’est vu que par le prisme d’une performance de figures détournées du kamasutra. Ah Chi découvrira vite (très très vite !) sa nymphomanie jusqu’à être émoustillée par une anguille au point de l’embrasser et de la manier lascivement comme un pénis gorgé de sang. Ah Chi ou la femme libérée par la séquestration et le sexe, énième antienne encore une fois sadienne qui fera florès dans la franchise japonaise Perfect Education

Xuè Liàn est enfin un film sur les rapports entre la Chine et Hong Kong, 6 ans après les manifestations de la place Tiananmen et 2 ans avant la rétrocession. Avec l’angoisse et la peur que Hong Kong soit rapidement absorbée et détruite par la Chine. Angoisse présente dans une partie des films hongkongais des années 90, y compris dans la Catégorie 3 qui sert de défouloir violent et amoral, avec un sous-texte éminemment politique. Dès le début du film, la Chine est peinte comme un pays de ploucs, rural et militaire, qui ferme les yeux devant la vente d’êtres humains… On y brûle de l’encens devant un tableau de Mao. Le vendeur de femmes affirme d’ailleurs à son ami militaire : “Les capitalistes de Hong Kong sont comme des aristocrates !”. Ceci écrit, les Hongkongais du film ne sont pas vraiment peints sous un meilleur jour mais on ne voit jamais le Hong Kong urbain : ce dernier, symbole de prospérité économique et de liberté, sera uniquement aperçu à la fin du film. 

Xue Lian Trilogy of Lust - Julie Lee Wa-yuet

Dans la séquence finale, Ah Chi prononcera un discours explicite contre la Chine : “Toute ma famille a été tuée pendant la Révolution culturelle. J’ai vécu toute seule avec mon frère en espérant une vie meilleure après l’obtention de son diplôme à l’université. Mais il a été tué à l’été 1989”. Ah Chi regrette même d’avoir détruit l’avenir et la vie d’un jeune Hongkongais… avant d’improviser un mariage tragique qui vire au double suicide. Funèbre présage de la rétrocession et du mariage forcé entre la Chine et Hong Kong. Ce discours politique à la dernière bobine rappelle la séquence finale dans Vixen de Russ Meyer qui, après 60 minutes de la plastique généreuse d’Erica Gavin (“l’art sert à s’essuyer les yeux” comme l’écrivait Karl Kraus), se conclut par un discours ouvertement marxiste et révolutionnaire, pro-cubain, lors d’un plan-tribune typiquement soviétique.

Si Xuè Liàn a des défauts, il n’en reste pas moins un film d’exploitation de bonne facture qui se démarque des autres films de Catégorie 3 par son sexe explicite et les performances hors norme de ses acteurs et actrices, Julie Lee Wa-yuet en tête. Une magie qui n’opérera pas dans le fade Huet Len / Trilogy of Lust 2.

Marc L’Helgoualc’h

Xuè Liàn / Trilogy of Lust  et Huet Len / Trilogy of Lust 2 – Portrait of a Sex Killer de Julie Lee Wa-yuet. Hong Kong. 1995. Disponible en import DVD