VIDEO – Tri-Star de Tsui Hark : les étoiles du cinéma hongkongais

Posté le 22 mai 2021 par

En 1996, la rétrocession de Hong Kong à la Chine est proche, et les grands noms du cinéma de la colonie britannique s’apprêtent à partir vers Hollywood. Cette année de battement voit Tsui Hark réaliser Tri-Star, une comédie du nouvel an. Resté inédit en France, le film est désormais disponible en Blu-ray chez Spectrum Films en combo avec The Chinese Feast.

Un prêtre catholique séduisant confesse une prostituée alors que celle-ci cherchait seulement à échapper à ses maquereaux et usuriers en se réfugiant dans l’isoloir. La jeune femme a une particularité : elle rit lorsqu’elle est malheureuse. Pris d’affection pour elle, le curé va tout faire pour la sortir, elle et ses copines, de ce milieu malfamé. Cela inclut d’habiter chez elles et de trouver un moyen de rembourser leurs dettes…

Un an après après The Chinese Feast, Tsui Hark rempile et compose sa seconde et dernière comédie du nouvel an pour Raymond Wong. Il embauche les deux stars de ce précédent film : Leslie Cheung, interprétant un prêtre qui fait craquer les mariées, et Anita Yuen, qui se donne à fond dans l’exubérance. La recette prend toutefois une moins bonne saveur que The Chinese Feast.

L’intrigue souffre d’un manque de punch et se repose en trop grande partie sur la seule présence de ses stars. Leslie Cheung tombe rapidement la soutane et son statut de prêtre n’est plus qu’une idée, car ni son jeu ni son charisme ne laisse transparaître une dévotion religieuse. Une fois vêtu comme un homme ordinaire, la facette comique de l’histoire s’affaiblit, d’autant que, pour masquer les lacunes du scénario, il se montre monolithique dans l’optique de rappeler qu’un prêtre est une personne sérieuse qui ne se vautre pas dans l’amusement. À cette époque, les films de Hong Kong se montaient et se produisaient toujours assez rapidement, et c’est sans doute l’une des raisons à cet échec en matière de caractérisation du personnage, qui pèche aussi bien dans son écriture que dans sa direction. Anita Yuen compense en se montrant haute-en-couleurs – elle est d’ailleurs mieux écrite, ses inversions d’humeur étant une belle trouvaille mais malheureusement peu exploitée. L’évolution du personnage d’Anita Yuen est le segment le plus intéressant : elle débute vêtue du plus mauvais goût, pour faire ressentir le monde de strass et de stress dans lequel elle vit, puis finit lookée dans des tons plus sobres et unis, symbole de la paix retrouvée grâce à l’action du prêtre. Parallèlement, son exubérance se canalise pour offrir une composition plus mélodramatique. Clairement, Tsui Hark s’est senti plus inspiré dans la peinture du protagoniste de Yuen que celui de Cheung.

Aux héros cités, viennent s’ajouter d’autres personnages et autant de rouages scénaristiques laborieux. Un policier campé par Lau Ching-wan arrive sur le chemin du curé, qu’il prend malencontreusement pour un membre des triades. Complètement cabotin, le personnage de Lau est écrit de telle manière qu’il nuit au rythme de la comédie et de l’enchaînement des actions. Les principaux gags du film viennent de son personnages ainsi que de son comparse joué par Sunny Chan et s’imbriquent de manière soudaine à l’intrigue, sans grand impact ni puissance. Après avoir été chorégraphe pour Tsui Hark, Hung Yan-yan rempile comme acteur (on l’avait aussi vu dans The Blade et The Chinese Feast). Si les deux précédentes expériences s’avéraient réussies grâce à l’inspiration du réalisateur, y compris pour un rôle non martial, son air énervé et vindicatif ne masque pas ici la réutilisation totale de tous les gimmicks du petit chef mafieux. De Tsui Hark, on attend une recette plus enlevée, d’autant qu’il a avoué que la comédie était l’un de ses genres cinématographiques, et qui peut se montrer ô combien jouissif, notamment dans les mains d’un réalisateur aussi avisé.

S’il y a bien un intérêt à trouver à Tri-Star, c’est de l’aborder en duo avec The Chinese Feast, tels que proposé par l’éditeur Spectrum Films. Il s’agit en effet dans les deux cas de films du nouvel an lunaire réalisés par Tsui Hark pour Raymond Wong avec Leslie Cheung et Anita Yuen, sur deux années successives. L’évolution entre ces deux œuvres traduit le basculement qui se déroulait alors dans l’industrie cinématographique de Hong Kong. Au box-office, l’échec de The Blade a été cuisant pour Tsui Hark en 1995. Tri-Star est une comédie bien plus convenue que The Chinese Feast, et si ce dernier a été le meilleur succès pour Tsui à Hong Kong, le second devait absolument rencontrer le même succès. C’est ce qui arriva, mais la finalité artistique est plus décevante.

Bonus de Spectrum Films

Présentation d’Arnaud Lanuque (12 minutes). Arnaud Lanuque nous gratifie une nouvelle fois de ses larges connaissances en matière de cinéma de l’île au port parfumé. Il revient sur la genèse du film, les productions Raymond Wong et le parcours de Tsui Hark et ses acteurs dans les environs de l’année 1996. Chacune des interventions de notre spécialiste est l’occasion d’un focus sur l’histoire du cinéma hongkongais, édicté avec aisance et une connaissance qui semble sans faille. Son commentaire le plus intéressant au sujet de Tri-Star concerne la représentation de l’Église catholique à Hong Kong, et son traitement par Tsui Hark, plutôt bienveillant là où le réalisateur s’est montré bien plus critique à l’égard du bouddhisme.

Leslie Cheung par Arnaud Lanuque (12 minutes). Si le personnage de Leslie Cheung déçoit dans Tri-Star, cela n’enlève rien aux qualités immenses et à la popularité de ce grand acteur. Arnaud Lanuque profite de ce double programme pour brosser le portrait de ce comédien iconique, tragiquement disparu en 2003, sonnant ainsi en quelque sorte la fin de l’âge d’or du cinéma hongkongais. Lanuque fait allusion rapidement à sa naissance et sa famille pour se concentrer sur sa carrière de chanteur de cantopop et ses débuts plus timides dans le cinéma. Il évoque ses plus grands succès que sont Le Syndicat du crime de John Woo et Adieu ma concubine de Chen Kaige et sa collaboration avec Wong Kar-wai. Il consacre enfin un large passage de son analyse sur l’homosexualité de Leslie Cheung et en quoi la question de son orientation sexuelle a généré des débats sur la place publique au point qu’il la cacha pendant très longtemps. Il termine par évoquer le destin parallèle de sa grande amie, Anita Mui, décédée la même année que lui d’un cancer. Cette courte analyse ne fait ressortir aucun scoop pour les plus passionnés du cinéma hongkongais, mais a le mérite de résumer très clairement le parcours de Leslie Cheung, informant ainsi les profanes et restant agréable à écouter pour tout le monde.

Maxime Bauer.

Tri-Star de Tsui Hark. Hong Kong. 1996. Disponible en Blu-ray chez Spectrum Films en mars 2021.

Imprimer


Laissez un commentaire


*