VIDEO – The Chinese Feast de Tsui Hark : fructueuse comédie du nouvel an

Posté le 11 mai 2021 par

En 1995, Tsui Hark se voit proposer la réalisation d’un film pour le nouvel an lunaire, et en profite pour travailler autour d’un sujet qui lui fait envie depuis des années : la bonne cuisine ! Il en ressort une comédie culinaire décomplexée, The Chinese Feast, connue aussi sous le titre Le Festin chinois. Spectrum Films nous offre un double Blu-Ray de la version restaurée, accompagnée de Tri-star.

Refusant d’intégrer la pègre locale, un jeune homme tente de devenir chef cuisinier. Maladroit, il ne parvient pas à se qualifier à un concours. Il termine larbin dans un petit restaurant, dont le patron embauche aussi sa propre fille, une excentrique aux cheveux rouges. Le patron accepte le défi d’un autre chef, excellent mais rapace, attiré par son affaire. Ils devront se livrer à un duel de cuisine en reproduisant le fameux banquet des Mandchous. Abandonné par ses collaborateurs, le patron envoie à Canton sa fille et notre héros quérir l’aide d’un chef cuisinier déchu, l’ancien plus grand chef du monde…

En 1995, Tsui Hark et l’industrie du cinéma hongkongais sont à l’apogée. Depuis quelques années fleurit une tradition, celle du film du nouvel an, promue par Raymond Wong. Entre le producteur qui a éprouvé sa recette et le réalisateur qui enchaîne les chefs-d’œuvre depuis le début de la décennie, une entente s’installe sur la teneur du film qui sied aussi bien aux aspirations artistiques de Tsui que la volonté de créer une nouvelle œuvre grand public pour Wong. Tsui insiste : le film du nouvel an doit avoir un ton positif, car cela augure une année débutée dans la bonne humeur pour les Chinois. Lui, qui est un fin gourmet, laisse s’exprimer tout son talent de conteur fantasque dans The Chinese Feast, comédie dans laquelle les duels culinaires sont apparentés à des affrontements martiaux. Des vernis romantiques et cartoonesques viennent se greffer pour aboutir à un long-métrage d’une grande générosité.

The Chinese Feast peut d’abord compter sur son quatuor d’acteurs hauts en couleurs. Leslie Cheung laisse libre cours à son charme naturel pour composer un prince maladroit, qui navigue entre le milieu des mauvais garçons et celui du jeune travailleur paumé. Son regard plein de chaleur perce derrière ses lunettes de soleil rondes. Anita Yuen est une partenaire de choix et met le feu au métrage, par son excentricité extrême. Ses cheveux rouges fusionnent avec la plastique générale du film, qui fait référence aux cérémonies culinaires chinoises, donc bardées d’un rouge vif à tous les étages. Et lorsqu’elle abandonne ses cheveux rouges, son regard et son sourire traduisent la profondeur de son jeu et l’osmose qui existe avec Leslie Cheung. Il est loin le temps où Kenny Bee était le héros romantique des comédies taïwanaises de Hou Hsiao-hsien au début des années 1980. Dans son giron, à Hong Kong, à l’ère de la fantaisie de Tsui Hark, il est aussi truculent que les autres. De chef guindé, ridiculement sérieux dans son travail, il devient une épave lubrique après avoir échoué à concilier réussite professionnelle et vie personnelle – sa chambre à Canton est recouverte d’affiches pornographiques et de poupées gonflables. Le film se plait à jouer avec son image de beau jeune premier un brin démodé, mais l’intègre parfaitement au délire généralisé, et avec beaucoup de bienveillance. Chiu Man-cheuk est l’aura la plus positive de The Chinese Feast. Son visage constamment souriant et chaleureux traverse le film et emmène les héros dans la bonne direction. À la fois jeune et haut placé, il traduit le sentiment de dynamisme du Hong Kong de 1995. La même année, il sera le sabreur manchot de Tsui Hark dans The Blade, une toute autre histoire…

La narration est articulée autour de séquences-clés, des scènes culinaires qui montrent la maîtrise de Tsui Hark en matière de mise en scène. Sa société, la Film Workshop, n’aura jamais aussi bien porté son nom, tant la valorisation des plats et le montage malin relèvent de l’artisanat. Graphiquement, les plats sont plein de couleurs et de formes variées, et quiconque n’est pas avisé en matière d’effets spéciaux aura bien du mal à distinguer ceux fabriqués en véritables aliments ou ceux truqués. Une chose les réunit : ils ont tous l’air succulents et fantaisistes. À côté de cela, Tsui Hark use de gags à la portée cartoonesque avec beaucoup d’amusement, à l’image de la scène du poisson dans le premier quart, dans laquelle tout le monde s’assomme et s’accole en baignant dans le jus pour essayer de l’attraper. La longue partie finale consacrée au banquet est ancrée dans son temps, de par sa valorisation d’un concours surréaliste dans lequel un groupe de personnages bien intentionnés et fiers affrontent un individu qui a tous les défauts, est de mauvaise foi et tout aussi fier. Le cousinage avec certains shonen manga est évident, tant les cultures populaires hongkongaises et japonaises se se sont inspirées l’une et l’autre depuis l’essor des films de kung-fu et des jeux vidéo. Le plan final n’est que pure célébration de la communauté hongkongaise, loin du marasme de la rétrocession à venir.

Avec The Chinese Feast, Tsui Hark réalise un film plus majeur dans sa filmographie qu’on ne l’imagine de prime abord. Tsui Hark est presque avant tout le cinéaste de Histoires de Cannibales et de Zu, les guerriers de la montagne magique, un cinéma bariolé qui puise dans la dynamique du comic-book pour former des morceaux d’humour colorés et satyriques. The Chinese Feast possède tout cela, avec derrière lui un appareil productif solide pour permettre à Tsui d’offrir un travail d’orfèvre dans la sérénité. Les trucages n’ont pas pris une ride et la bonne humeur est toujours aussi efficace. La réponse du public est sans appel : ce sera le plus gros succès commercial de Tsui Hark au box-office hongkongais. En France, il tapera dans l’œil des distributeurs et sera sur nos écrans en 1998. Aujourd’hui encore, le film est toujours aussi apprécié des cinéphiles.

Bonus et master de Spectrum Films

Le premier disque du « coffret Tsui Hark » de Spectrum Films, qui contient The Chinese Feast, comporte de nombreux et longs bonus. Autrefois édité dans un DVD dont la boîte était plus jolie que l’intérieur, le master HD de Spectrum rend enfin honneur au film. Le grain est impeccable, la netteté au rendez-vous et les couleurs, chatoyantes. Certains bonus proviennent de l’ancienne édition, d’autres sont made in Spectrum.

Interview de Tsui Hark (2005, 50 minutes). Tsui Hark revient pour l’édition française du DVD sur le film à succès qu’il a réalisé 10 ans auparavant. À l’image du long-métrage, les questions sont bon enfant et permettent à Tsui Hark de parler aussi bien de son inspiration à l’époque que des anecdotes autour du film. Ainsi dit, il ne considère pas The Chinese Feast comme un film de commande, car il n’a fait qu’adapter une idée qu’il lui trottait dans la tête depuis longtemps à l’occasion d’une proposition de film pour le nouvel an. À une époque où le cinéma hongkongais cartonne à l’international pour ses films d’action, Tsui Hark rappelle les vertus de la comédie cantonaise, un genre plus méconnu, et de son lien avec le nouvel an lunaire, qui tient plus de la logique (démarrer du bon pied l’année avec une histoire positive) que d’une réelle tradition. Il évoque le tournage, mené dans la bonne humeur générale, et la particularité d’avoir à disposition quatre chefs cuisiniers. Il décrit les scène de cuisine comme des scènes d’action, dans lesquelles des chefs cuisiniers deviennent les doubleurs/cascadeurs lorsqu’il s’agit d’exécuter des gestes de cuisine trop précis pour les acteurs. Au détour, quelques questions culinaires lui sont posées, rapport au film d’une part (la recherche esthétique des plats était importante mais selon lui, il n’y a avait pas de temps à accorder un soin particulier pour que cela soit vraiment goûteux), mais aussi à sa vision de la cuisine chinoise et française. Il détaille méticuleusement ses plats fétiches et les plats qu’il fantasme pour ses films, de quoi donner à l’eau à la bouche de ceux qui regardent cette interview. Enfin, en 2005, Leslie Cheung venait de nous quitter, et Tsui Hark rappelle quel homme agréable il était sur les tournages.

Présentation de Tsui Hark (2 minutes). À l’occasion de la projection en septembre de 2020 de The Chinese Feast sur les écrans parisiens, Tsui Hark offre une courte présentation du film aux spectateurs français. La principale information de ce bref bonus consiste en son assertion sur l’importance de la cuisine dans la culture chinoise et ses vertus artistiques.

Présentation d’Arnaud Lanuque (15 minutes). Toujours en poste à Hong Kong, Arnaud Lanuque nous gratifie une nouvelle fois d’une solide présentation pour Spectrum Films. En quinze minute, il balaie les origines du cinéma de Tsui Hark à la Cinema City et celles de la comédie du nouvel an, instaurée par le producteur Raymond Wong en 1988. Il explique que Tsui Hark a su s’extirper des canons commerciaux et peu artistiques de Wong pour offrir une œuvre qui lui tenait à cœur et qui reste son plus gros succès au box-office hongkongais. Arnaud Lanuque évoque la carrière de Tsui Hark et indique que le début des années 1990 est l’âge d’or du réalisateur, dont l’apothéose se situe en 1995 avec The Chinese Feast et The Blade, avant le déclin inexorable du cinéma de la colonie britannique. Surtout, Lanuque parvient à donner quelques informations subtiles et capitales sur la culture hongkongaise, que ce soit à propos des pratiques du nouvel an lunaire et de l’utilisation du temps libre pendant les jours de congés, aussi bien que sur l’origine de la richesse des restaurants de la ville au port parfumé. La présentation brasse de nombreux sujets au point de devenir plus qu’une simple accroche au film, un petit documentaire, qui plus est, très joliment mis en scène devant et à l’intérieur d’un restaurant local.

Documentaire « Le Festin passe à la casserole » (19 minutes). Ancien bonus DVD, il s’agit d’une présentation très générale des différentes cuisines régionales chinoises, qui nous amènent aux commentaires du chef Vong sur les séquences culinaires du film. Globalement, quelques informations intéressantes sont données sur la cuisine chinoise, dans sa largeur et sa variété, tout comme le chef a quelques commentaires amusants sur ce qui relève de la gastronomie et ce qui relève de l’imagination fantaisiste de Tsui Hark. Le tout se révèle toutefois un peu court et aurait mérité d’aller plus en profondeur, notamment sur l’analyse des composantes culinaires de The Chinese Feast.

Scène coupée et explication (3 minutes). Ce bonus montre la scène d’action du film et explique par un bref carton qu’il s’agit d’une séquence que l’on a demandé à Tsui Hark de rajouter pour créer une version internationale, la version director’s cut ayant en lieu et place une séquence chantée. Cette pastille informative a le seul mérite de nous faire savoir qu’une version hongkongaise du film existe. Sans remettre en question la version à laquelle nous avons accès (la séquence d’action est réalisée d’une main de maître là où les séquence chantées relèvent d’un goût local, auquel le public occidental est souvent réticent), il est fort dommage que l’éditeur ne nous ait pas fourni cette séquence chantée que nous n’avons jamais vue en complément. Dans l’idéal, nous aurions rêvé des deux versions du film sur le disque, comme cela se fait souvent sur le marché vidéo pour les films d’exploitation remontés pour différents marchés.

Podcast Capture Mag (15 minutes). Suite à la projection du film au Club de l’Etoile, à Paris, en septembre 2020, l’équipe de Capture Mag organise un petit podcast pour aborder divers sujets pêle-mêle autour du film. L’intervention de Rafik Djoumi soulève des pistes intéressantes, notamment à propos de la qualité d’auteur qui n’a pas été donnée à Tsui en Occident, alors que The Lovers a failli être sélectionné à Cannes en 1994, et que lorsque Tsui montre des cuisiniers à l’œuvre et leurs luttes intestines, il parle en réalité du milieu du cinéma qu’il connaît.

Commentaire audio de Tsui Hark : une piste sonore permet d’entendre Tsui Hark commenter les scènes de cuisine, seulement elles. On apprend ainsi des choses surprenantes, telles que la sculpture de tofu au début du film qui est réellement composée de cet aliment (mais moulée, car impossible à sculpter en réalité). Tsui Hark expose certains trucs de mise en scène, comme l’utilisation de gélatines de projecteurs, pour montrer l’émotion d’un personnage. Grosso modo, l’intervention du réalisateur permet de savoir comment est « mis en scène » le plat que nous voyons à l’écran, et cela est d’autant plus intéressant que Tsui Hark, en maître fantasque des effets spéciaux qu’il est, nous fait constamment nous demander le long du film s’il s’agit de réels plats ou de plastique. Nous en avons ainsi la réponse, et nous pouvons qu’admirer sa vision colorée et généreuse de la mise en scène.

Maxime Bauer.

The Chinese Feast de Tsui Hark. Hong Kong. 1995. Disponible en Blu-Ray chez Spectrum Films en mars 2021.

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