Cinéma du Réel 2021 – A River Runs, Turns, Erases, Replaces de Zhu Shengze

Posté le 15 mars 2021 par

Le Festival du Cinéma du Réel est l’occasion de voir des films empreints d’un œil neuf et aiguisé sur notre époque moderne. À cette édition en ligne de 2021, A River Runs, Turns, Erases, Replaces de Zhu Shengze ne fait pas moins que retourner sur le lieu d’origine du grand drame actuel qui nous secoue tous depuis un peu plus d’un an : la ville de Wuhan en Chine, à travers des plans sur le vide qui la parcourt, la vie qui reprend, et les pleurs de ses morts du Covid-19.

A River Runs, Turns, Erases, Replaces suit un dispositif simple, puisqu’il est constitué d’un ensemble de plans fixes d’une durée plutôt allongée, offrant des vues sur le Yang-Tsé-Kiang, les travaux publics d’immeubles et de ponts, quelques festivités nocturnes et les jeux de lumières qui l’accompagnent, aux alentours de l’été 2020, date à laquelle Wuhan s’est réveillée KO de la pandémie et a commencé un long processus de remise en route de son quotidien. Le documentaire respire d’un point de vue narratif autant que l’émotion s’intensifie lorsqu’apparaissent, à environ chaque quart du film, la lettre d’un proche d’une victime du Covid-19, simplement écrite à l’écran, par-dessus un plan de décors. Évocation d’un lien fort ou regrets de n’avoir pas pu passer plus de temps ensemble, ces mots sont bouleversants et vibrants, et le silence assourdissant du film ne fait que décupler leur impact. Les disparus sont des pères, des maris, des frères, des grands-mères… Le Covid-19 a endeuillé de nombreuses familles et c’est là la vocation du film de Zhu Shengze : un exercice de catharsis, comme pour avancer en même temps que la vie reprend à Wuhan, et ce bien que le lourd silence planant sur la ville continue de mettre en relief les échos de cette catastrophe.

Le film s’ouvre sur une séquence de vidéo surveillance. Ce faisant, Zhu Shengze inscrit un motif dans sa filmographie, puisque son précédent documentaire, Present.Perfect, utilisait les images de live-streaming d’une célèbre application pour faire le portrait de tout un pan de la société chinoise dans ses facettes les plus fragiles. Le travail autour de ces vidéos captées par des organisations officielles, privées ou d’État, offrent des perspectives quant à l’étude du cinéma chinois continental, lorsque l’on connaît tous les enjeux de la vidéosurveillance d’État dans le pays – un sujet lancé telle une bombe par Jia Zhang-ke dans le tout dernier plan des Éternels. Pour l’heure, les documentaires de Zhu Shengze consistent principalement en un ensemble d’images assemblées plus ou moins de manière organisée mais documentant la société chinoise avec précision.

Les plans mettent surtout en valeur des éléments de décors ou des vues larges sur le Yang-Tsé-Kiang – au centre du film telle une obsession, comme s’il était autant le signe de la vie que la force qui va soigner les blessures par l’oubli, le titre du film résonnant comme une crainte. Les humains ne sont toutefois que rarement absents. Soit ils sont visibles tels des points dans l’image, à la façon d’Abbas Kiarostami, soit un appareil est en mouvement, une fumée s’échappe d’une cheminée, et l’on sait que la vie est là quelque part dans cet univers.

Ces composantes théoriques étant énoncées, il faut toutefois bien dire que la forme et le montage de A River Runs, Turns, Erases, Replaces sont beaucoup trop vagues et étirés et mettent à épreuve la patience du spectateur-cinéphile le plus acharné. Le premier plan, celui de la vidéosurveillance, ne comporte aucune information capitale pour le film en lui-même, s’étend sur plus de cinq minutes et fait entendre une longue sirène parfaitement agaçante. Cette entrée en matière n’est pas la meilleure et amorce l’idée d’un film-concept qui gagnerait à être raccourci. Cela n’enlève pas la beauté de ce silence et la caisse de résonance qu’il offre aux hommages des victimes.

Maxime Bauer.

A River Runs, Turns, Erases, Replaces de Zhu Shengze. Chine/Etats-Unis. 2021. Programmé Festival du Cinéma du Réel 2021 en ligne.

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