Festival Allers-Retours 2020 – Present.Perfect de Zhu Shengze : en quête d’attention

Posté le 12 février 2020 par

Present.Perfect de Zhu Shengze est un documentaire ayant pour sujet le réseau social des live-streaming en Chine. Nous l’avons vu au Festival Allers-Retours 2020. Il avait auparavant reçu le Tigre d’Or au Festival de Rotterdam.

Le live-streaming est la possibilité de se filmer en direct sur une plateforme dédiée et d’être vu par des millions de personnes simultanément. Les utilisateurs laissent des messages à l’« animateur » qu’il peut lire instantanément et sur lesquels il peut réagir. Il existe même un système de don d’items, échangeables contre de l’argent réel. En 2016, le phénomène est à son paroxysme en Chine, et la réalisatrice Zhu Shengze, dans une démarche d’archivage, a sélectionné un panel de vidéos qui constituent deux heures de documentaire : le film Present.Perfect.

Ici, la démarche n’est pas de montrer les vidéos les plus amusantes, ou même seulement de dresser un portrait vaste et nuancé de la Chine des réseaux sociaux. L’intention est beaucoup plus radicale : Zhu Shengze a sélectionné des « animateurs » spécifiques qu’on pourrait qualifier de personnes marginalisées dans la société. Sur les deux heures de film, nous suivons plusieurs vidéos des mêmes streameurs : il y a le jeune homme de trente ans dont la croissance s’est arrêtée et qui se questionne sur sa sexualité, le chanteur de rue en quête désespérée d’existence quelque part dans le pays et sur les internets, un homme gravement brûlé qui essaie de se reconstruire à travers un témoignage sur le web, une mère célibataire qui témoigne de sa situation d’ouvrière, une personne en situation de handicap qui streame tout en faisant la manche… Les « personnages » qui nous sont présentés ont des conditions de vie particulièrement difficiles, piégés entre la misère, le handicap et une certain détresse psychologique dans leur façon de vouloir capter l’attention.

Au fur et à mesure que le métrage se déroule, les séquences légèrement attendrissantes auxquelles on peut assister au début se déportent vers des vidéos qui relèvent bien plus de la tragédie. Le fait de suivre plusieurs animateurs sur la durée permet, malheureusement, de les voir s’enfoncer dans leur quête d’affection. À ce titre, le chanteur des rues est particulièrement emblématique : il sillonne la Chine, se fait jeter des endroits où il se place et on se moque de lui. Lorsque les commentaires deviennent trop méchants, il pleure et dit ses quatre vérités à son public. Ce genre de scène est très révélatrice de la culture de la recherche de célébrité, qui nourrit des aspirations mais devient rapidement destructrice pour les plus fragiles. N’est-ce pas, au final, le message que notre société laisse partir à la dérive ses membres à travers la promesse des nouvelles possibilités des réseaux sociaux, avec la complicité de ces plateformes ?

Present.Perfect ne le dit pas réellement, il montre, à un instant T, un phénomène de masse dans un pays à la forte population et dont le développement a sans doute été trop fulgurant pour ne pas en laisser une partie sur le bas-côté. Le documentaire est pour cela instructif, et il est intéressant de se demander comment il serait perçu dans 50 ou 100 ans, telle une trace du passé, un document d’époque. Instructif donc, mais sans ce recul, le film est tout de même peu digeste. La mise en scène est minimale, dans la mesure où, outre le choix des séquences, elle se résume à un chapitrage arbitraire inscrit en lettres de couleurs sur des vidéos passées en noir et blanc. Ces dernières proviennent de captation de smartphones, la qualité de l’image est donc basse. Tout cela sur deux heures provoque le sentiment de longueur excessive – peut-être le métrage aurait-il du être raccourci.

On ressort donc mitigé de Present.Perfect. En tant que film, il est pesant dans sa globalité. Mais il dispose d’indéniables qualités intellectuelles qui nous amènent tout de même, au sortir de la projection, à nous questionner sur le rapport de la société chinoise au narcissisme.

Maxime Bauer.

Present.Perfect de Zhu Shengze. Chine. 2019. Projeté lors du Festival Allers-Retours 2020.

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