Le Festival des 3 Continents 2020 en ligne a vu sa sélection s’étoffer de quelques classiques, et parmi eux, le film Sri-lankais The Wasps are Here (Bambaru Avith) de Dharmasena Pathiraja, sorti en 1978 et restauré par l’Asian Film Archive. Il aurait dû être projeté dans ces conditions dans la sélection Cannes Classic du Festival de Cannes 2020. Ce long-métrage du réalisateur engagé est un portrait aussi acide que pessimiste de l’entrée du capitalisme dans les moindres recoins du monde.
Dans un petit village de pêcheurs, une bande de jeunes entrepreneurs, menés par Victor, se trouvent pris en tenailles par la population locale. Victor est en effet amoureux d’Helen, et cela est réciproque. Mais Cyril, un habitant, était promis à Helen. Après une grave altercation entre Cyril et Victor, Anton, le représentant des pêcheurs, fait s’élever les villageois contre la bande.
The Wasps are Here est considéré comme le chef-d’œuvre de Dharmasena Pathiraja, cinéaste important du Sri Lanka et qu’il convient de redécouvrir de toute urgence. Ce film de 1978 ne propose pas un simple message à propos des méfaits de l’occidentalisation des sociétés. La demi-douzaine de personnages principaux, répartis en deux groupes – les jeunes venant de la ville d’un côté, les pêcheurs issus de la ruralité de l’autre – sont victimes d’un choc des cultures, conduisant à un dialogue de sourds. Car ce que génère la romance entre Victor et Helen est plus profond qu’un simple sentiment de jalousie. Anton et Cyril éprouvent un ressentiment quasiment xénophobe à l’égard de la bande de Victor. Ce dernier n’est d’ailleurs jamais présenté comme un entrepreneur malfaisant. Au contraire, on trouve Weerasena dans son groupe d’amis, un hippie qui s’adonne aux théories communistes, et Francis, un jeune homme simple, de prime abord à l’écart de toute animosité et qui voue à Victor une solide amitié. La diversité de ces profils offre un panel tout en nuances de la jeunesse, romantique, idéaliste, active, parfois contradictoire, et permet au scénario d’être tiré vers des directions intéressantes.
En effet, le scénario de The Wasps are Here est loin d’être ronflant. Les mésententes entre les personnages s’accentuent et s’emballent rapidement, dans une mise en scène qui, par moment, délaissent un certain sens du naturalisme ou du réalisme socialiste pour virer vers le cinéma de genre, en l’occurrence le film noir. La séquence de l’altercation en pleine nuit, dans un noir et blanc profond (une composante du film noir), suivie d’une tragédie et d’une attaque vengeresse à la machette, dénotent une volonté de montrer une violence dure et inévitable. Le speech final de Weerana, écœuré des évènements, qui théorise le communisme face à une foule concernée, mais qui l’ignore complètement, achève d’établir l’intention du réalisateur : la construction d’une impasse totale, dans laquelle les notions élémentaires d’empathie et d’écoute n’existent pas pour laisser place à la violence et l’entre-soi face aux autres.
The Wasps are Here est un film complet et complexe. Complet, car il allie les meilleurs effets de plusieurs types de cinéma, comme dit plus haut, le naturalisme et le film noir, afin de se montrer et engagé sur le fond et sidérant sur la forme. Complexe, car le système relationnel des protagonistes est loin de tomber dans le simple manichéisme des paysans écrasés face au rouleau-compresseur de la modernité. Au contraire, le personnage le plus engagé dans le socialisme est Weerasena, alors que les pêcheurs ouvrent les hostilités face à Victor et n’entendent rien au discours de Weerasena. Le film n’incrimine cependant aucun personnage, il ne fait qu’établir le fossé qui les sépare et comment les phénomènes de changements dans les sociétés, si rapides, aboutissent à bousculer les humeurs et attiser la méfiance à l’égard des autres.
The Wasps are Here est un film de son temps. Il témoigne des influences étrangères au Sri Lanka, et fait état d’une certaine mentalité dans les campagnes. Sa portée n’a cependant pas de limite dans le temps ou dans l’espace. Les fossés générationnels et de condition, à l’intérieur de toutes les sociétés, sont un sujet brûlant qui paraît toujours actuel. Le film de Dharmasena Pathiraja a su capter ce sentiment précis de rupture et l’a transcendé. Il nous reste ces images de mots et de maux, de sang et de bois, dans un décor balnéaire paradisiaque. The Wasp are Here est un film qui se montre capable de synthétiser de grandes choses inhérentes à la condition humaine, et il est agréable de le voir restauré ainsi, pouvant à présent être exploité dans les meilleures conditions possibles.
Maxime Bauer.
The Wasps are Here de Dharmasena Pathiraja. Sri Lanka. 1978. Projeté dans le cadre du Festival des 3 Continents 2020.