VIDEO – L’Homme du Président de Woo Min-ho

Posté le 4 novembre 2020 par

Le cinéma sud-coréen semble aujourd’hui trouver son compte dans le thriller politique, à la fois héritier logique aux films de gangsters et témoin des heures sombres que la péninsule a traversées. L’Homme du Président (2020) de Woo Min-ho s’inscrit dans cette lignée et sera disponible dès le 4 novembre en Blu-Ray et DVD chez The Jokers Films.

1979, Corée du Sud. Le président Park Chung-hee, après 18 ans de régime autoritaire et de répression démocratique, est assassiné. Que s’est-il passé à compter de 40 jours avant cet évènement ?

Fort de déjà plusieurs films sur la mafia et la politique coréennes, Woo Min-ho articule ici son œuvre autour de plusieurs dialogues. Il s’agit tout d’abord d’un hommage plus qu’évident aux illustres chefs-d’œuvre du nouvel Hollywood, à savoir Les Hommes du président et Les Trois Jours du Condor. Ainsi sont transposés les codes du genre aux spécificités épineuses de la Corée du Sud, dont l’histoire se retrouve saccagée par une sorte de despotisme autoritaire et martial.

L’Homme du Président nous plonge en plein cœur de ce système véreux régi par l’immoralité et l’inconfiance envers son peuple comme ses propres alliés. Nous suivrons tout du long ces manigances de l’ombre au travers du regard de Kim Gyu-pyeong, interprété par Lee Byung-hun, le directeur de l’Agence de renseignement coréenne, la KCIA. Espionnage, contre-espionnage, trahisons et corruption rythment ce récit à fleur de peau, non seulement situé en Corée mais également aux Etats-Unis et même en France. Nous comprenons alors que le film traite de ce qu’on appellera plus tard le « Koreagate », dénoncé par l’ancien directeur de la KCIA, réfugié politique aux USA. Il est donc bien venu de la part du cinéaste de délocaliser les enjeux pour appuyer sur la géopolitique internationale, sans pour autant s’abstenir de critiquer l’intervention de son pays. Raconter une telle histoire semble important pour le public coréen, désireux d’appliquer son devoir fondamental de mémoire, afin de ne pas oublier les coulisses de l’explosion économique du pays qui se déroula sous le long mandat du fameux dictateur militaire.

L’Homme du Président hérite de tout le savoir-faire formel autant que narratif du cinéma coréen. Une parabole se dévoile immédiatement avec 1987: When the Day Comes sur les manifestations démocratiques de juin, A Taxi Driver sur les révoltes de Gwangju, Joint Security Area, The Age of Shadows ou encore Steel Rain pour sa dystopie nord-coréenne. Tous sont le savant mélange du film d’action et d’espionnage. Mais là où certains se focalisent d’avantage sur les innombrables petites mains opérant dans l’ombre, Woo Min-ho choisit de dresser le tableau d’une implacable solitude. Le personnage de Kim Gyu-pyeong semble unique maître à bord, ne révélant que très rarement les tenants et les aboutissants de ses ordres. Il navigue seul dans les locaux immaculés de la KCIA, de nuit comme de jour à son bureau, pendu au téléphone, se rendant maintes fois à l’étranger, et fatalement bouc émissaire du gouvernement dès que quelque chose ne se déroule pas comme prévu. D’une façade ne laissant transparaître ses émotions pourtant réelles, il se retrouve seul face au désordre du monde, subissant des valeurs auxquelles il ne croit plus.

Ce dernier ainsi que le président Park Chung-hee sont de fidèles amis ayant combattu ensemble lors de la révolution. Si l’un est consterné de la tournure que prend l’exécutif, l’autre, conscient de son sort, développe une paranoïa obsessive qui l’amènera à se tourner vers d’encore plus abjects conseillers. Une rivalité s’instaure alors entre le chef du KCIA et le Ministre des armées, Kwak Sang-cheon, individu dénué de morale accroché comme une sangsue au pouvoir. C’est empêtré dans de lourds dilemmes que Kim Gyu-pyeong tentera tant bien que mal de raisonner le Président, de se confronter à l’antagonisme intérieur, de protéger la fidélité qui lui reste, comme envers l’ancien directeur du KCIA traqué par ceux qu’il a trahi, Park Yong-gak. Nulle rédemption ne se dessine à l’horizon. Le personnage de Kim Gyu-pyeong s’apparente à un martyr dévoué, tiraillé et surtout victime de ses propres dérives. La confiance ne semble tenir qu’à un verre de makgeolli qu’il échange avec le Président, comme si leur complicité d’antan était elle-même révolue, ou du moins corrompue. Il ne faudra pas plus de quarante jours et quarante nuits pour comprendre la raison de son assassinat. A chacun de délibérer sur sa légitimité.

La mise en scène s’offre quant à elle de jolis moments sans pour autant se distinguer de ses pairs. Bien que l’esthétique vintage soit très soignée et agrémentée de parfaites symétries, tout le rythme repose sur les dialogues. Eux-mêmes se permettent parfois de tisser un lien avec la dimension symbolique, comme lorsque Kwak Sang-cheon conseille au Président de conserver ses discours télévisuels en noir et blanc, faisant à la fois écho à la politique rétrograde qu’il mène et aux scènes de flashbacks monochromes montrant son avènement au pouvoir post-révolution.

Toutefois, cette démarche peut vite s’avérer fouillie voire fastidieuse à suivre aux yeux de celui qui ne se passionne pas pour le genre, notamment à cause des nombreux lieux et temporalités où nous emmène le film, s’abîmant de trop rapides et faciles transitions. Nous pouvons également lui reprocher, comme à bien des films coréens, de surdramatiser certaines scènes pour décrocher une larme aux plus coriaces. En témoigne la musique très présente, peu discrète, accentuant surtout l’immersion. Mais l’abnégation de Kim Gyu-pyeong pour sa nation ainsi que l’intérêt qu’il porte à ses camarades sonnent vrai, et c’est en cela que l’on se prend d’empathie pour la figure qu’il incarne, faut-il le préciser, magistralement interprétée. Les fondements dramaturgiques, pour reprendre Michel Chion, relèvent bel et bien de problèmes de nature éthiquement philosophique, à l’image d’une iliade à la conquête du juste dans un monde de pantins qui ne l’est pas.

Pour l’anecdote on ne peut plus croustillante : la fille du Président en question, Park Geun-hye, fut également présidente en 2012 mais destituée en 2017 pour abus de pouvoir et corruption.

Somme toute assez convenu dans son déroulement, L’Homme du Président est loin d’être une œuvre devant laquelle le spectateur reste de marbre. Woo Min-ho insuffle une véritable tension dans son récit confrontant confiance et trahison, avec le brio que l’on connaît des metteurs en scène locaux. Tout ce puzzle politique semble se dérober comme du sable entre nos mains, jusqu’à l’annoncée et pourtant surprenante apothéose, aussi lourde de sens que brillante de portée. Assurément l’un des films coréens de l’année que nous pouvons découvrir en DVD/Blu-Ray le 4 novembre grâce à The Jokers Films, à défaut d’avoir pu représenter le Pays du Matin calme au Festival du Film Coréen à Paris.

Richard Guerry

L’Homme du Président de Woo Min-ho. Corée du Sud. 2020. Disponible en DVD/Blu-Ray chez The Jokers Films le 04/11/2020.

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